Amsterdam : cette maison de retraite juive qui a payé un lourd tribut au virus
Beth Shalom s'efforce de contenir le virus et de répondre à cette question : aurait-elle pu faire mieux et plus pour sauver la vie de 26 résidents décédés de la maladie ?

AMSTERDAM (JTA) — La mission centrale revendiquée par la maison de retraite juive de la ville a toujours été la promotion d’un sentiment d’ouverture. Pour ce faire, l’établissement, appelé Beth Shalom, s’évertue à faciliter les interactions sociales entre ses résidents et le monde extérieur.
Ce foyer organise des concerts et des concours de gâteaux et abrite une petite synagogue régulièrement fréquentée par des Juifs venus de l’extérieur de l’institution. Il y avait aussi un café casher de qualité, avec des prix qui lui avaient permis de fidéliser une clientèle constante et des va-et-vient permanents.
Même l’architecture du bâtiment s’est pliée à cette thématique : Beth Shalom, qui a ouvert ses portes il y a trois décennies dans le sud d’Amsterdam, est la seule institution du genre construite avec un plafond en verre gigantesque et convertible.
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« Cette politique de portes ouvertes a été notre force parce qu’elle a garanti à nos résidents qu’ils pourraient tenir un rôle actif au sein de la communauté juive », commente Madelon Bino, administratrice de Beth Shalom, auprès de la JTA.
Mais le coronavirus a transformé cette force en faiblesse meurtrière, continue-t-elle.
Vingt-six de ses résidents sont décédés des suites du Covid-19, soit plus d’un cinquième des locataires. Madelon Bino explique que l’introduction du virus a été « précoce » en partie en raison de cette politique d’ouverture.
« Les gens entraient et sortaient. Nous ne savons pas comment le virus a pénétré ici », dit-elle.
Alors que le coronavirus se répandait dans la communauté de Beth Shalom, il a également infecté environ 40 % du personnel, dont Madelon Bino. Fiévreuse et fatiguée, elle s’est tenue à l’écart alors que la maladie dévastait son lieu de travail.
« Ça a été terrible. Tant de personnes sont tombées malades au même moment », s’exclame-t-elle.
Beth Shalom est entré en confinement le 20 mars, conformément aux politiques mises en œuvre par le gouvernement. Mais il était trop tard : la structure est devenue l’institution la plus frappée de la communauté juive néerlandaise, responsable de la majorité des décès des suites du coronavirus à l’intérieur de la communauté. Et certains clament dorénavant que l’institution aurait dû prendre plus de précautions et entraver la propagation du Covid-19.
Un grand nombre de ces défunts étaient des survivants de la Shoah – et notamment Tedje van der Sluis, âgée de 93 ans, dont le mari rencontré immédiatement après la Seconde Guerre mondiale s’est éteint au début de l’année.
L’histoire d’amour émouvante du couple, dans le sillage de la Shoah, avait été au cœur d’un documentaire très remarqué qui avait été diffusé sur une chaîne de télévision néerlandaise en 2018.

Tedje Van der Sluis, qui n’avait pas été testée au coronavirus, mais en présentait de multiples symptômes, souffrait de démence. Madelon Bino note que cet état a rendu difficile la pratique de la distanciation sociale.
« Les personnes âgées atteintes de démence, il est impossible de leur faire respecter un maintien des distances avec les autres. Ils oublient », explique-t-elle.
Ce sont les résidents touchés par ce syndrome qui « ont souffert le plus parce qu’ils ne parvenaient pas à comprendre ce qui arrivait, la raison pour laquelle ils ne pouvaient plus voir leurs proches : ce qui a eu un effet négatif sur leur état émotionnel », continue-t-elle.
Avec 40 % de son personnel contaminé et dans l’incapacité de travailler, Beth Shalom a recruté des bénévoles et autres aides extérieures qui étaient chargées de s’occuper des cas les plus graves tout en trouvant des solutions aux pénuries de personnel et d’approvisionnement, raconte-t-elle.
« Tout cela a été tellement soudain, un choc. Je me revois en train de discuter avec l’une des résidentes atteintes de la maladie et me tenant à côtés de son lit. Elle allait bien. Elle est morte une heure et demie après », se souvient Madelon Bino.
Malgré les défis à relever, certains critiques et membres des familles des résidents disent que Beth Shalom n’a pas été à la hauteur de la crise.
Le 24 avril, l’hebdomadaire juif néerlandais NIW a publié un reportage critique sur la réaction de Beth Shalom au virus. Il comparait l’établissement à la Maison Visser, une maison de retraite juive de La Haye, qui avait opté pour un confinement volontaire trois semaines avant Beth Shalom — avant même d’avoir une seule raison de soupçonner une contamination au Covid-19 parmi les résidents. La Maison Visser n’a enregistré aucune infection au virus meurtrier depuis.
Presque deux semaines avant le reportage, une organisation représentant des survivants de la Shoah, VBV, avait demandé au ministère de la Santé d’examiner « la possibilité que des erreurs aient été commises » à Beth Shalom lesquelles ont entraîné tant de décès dans la structure – un nombre de décès parmi les plus élevés de toutes les institutions des Pays-Bas.
Cordaan, une firme d’assistance médicale et sociale de plus de 6 000 employés, a pris le contrôle de Beth Shalom en 2014, la communauté juive en diminution aux Pays-Bas ne pouvant plus se permettre d’exploiter l’institution. Certains clament que ce transfert a été à l’origine d’une baisse de la qualité des soins et qu’elle a contribué à la dilution de l’identité juive de l’institution.
« Dans le passé, cette maison de retraite accueillait exclusivement des Juifs », avait déclaré Ernie Abraham, un septuagénaire résidant à Beth Shalom, à Het Parool en 2017. « Maintenant, c’est plus mélangé. Pas le
choix : ce n’est pas possible d’avoir des chambres vides ».
Madelon Bino, qui travaille pour Cordaan, clame que Beth Shalom a toujours suivi les instructions gouvernementales à la lettre et fait « tout, mais vraiment tout, pour aider nos résidents à traverser cette crise ».
Un avis qui n’est pas partagé par tout le monde. Dennis Pekel a confié Lex, son père, aux soins de Beth Shalom en 2019.
« Je m’attendais au moins à être tenu au courant de ce qu’il se passait, mais j’ai l’impression d’avoir été laissé dans l’obscurité », dit Dennis Pekel. « Et si je sais que c’est quelque chose qui est susceptible de se produire pendant les situations de crise, le manque de communication de la part de Beth Shalom a été scandaleux ».
Il rapporte que son père, un septuagénaire d’une grande sociabilité, est actuellement coupé du monde extérieur et qu’il ne parvient pas à maîtriser les outils de visioconférence.
« Je m’inquiète à son sujet parce qu’il se trouve dans un endroit où les cas de coronavirus sont nombreux, mais j’ai peur aussi qu’il ne sombre dans la dépression. Et le manque de communication de Beth Shalom ne nous aide pas », déplore Dennis Pekel.
Pour Madelon Bino, la vois discordante de Dennis Pekel est finalement une exception au sein de la communauté qui a « peu vécu l’expérience » du drame survenu à Beth Shalom parce que son père « n’est heureusement pas tombé malade ». Elle affirme que de nombreux proches des résidents ont été par ailleurs satisfaits de la gestion de la crise par l’institution. Elle reconnaît toutefois que la maladie a pris cette dernière par surprise.
Le nombre de cas confirmés de coronavirus est dorénavant en baisse à Beth Shalom, et il ne reste que trois porteurs de la maladie présumés qui se trouvent à l’isolement, ce qui permet aux employés d’améliorer la communication avec les membres des familles. Madelon Bino estime que le pic de coronavirus a été franchi au sein de l’établissement.
Jeudi, la ville a inauguré une nouvelle salle de visite à Beth Shalom, avec des murs peu épais en plastique qui séparent les résidents des visiteurs. L’endroit est désinfecté après chaque visite.
Il s’est également produit quelque chose qui a réchauffé le cœur de tous : Riwal, une entreprise exploitant des grues qui a été créée par un homme d’affaires israélo-néerlandais, a aidé les membres d’au moins une famille à rendre visite à leur aïeule, à travers la fenêtre de son appartement du troisième étage. La compagnie a invité les autres familles à utiliser gratuitement l’engin.

Mais Esther Voet, rédactrice en chef de NIW, dit que la communauté attend de ses institutions davantage que de suivre strictement les instructions gouvernementales dans les moments de crise.
La communauté a accès à « certains des meilleurs experts médicaux dans le pays, notamment aux épidémiologistes, et elle a aussi Israël », explique-t-elle, faisant référence à la mise en œuvre très précoce d’une politique de distanciation sociale hautement restrictive face à l’épidémie au sein de l’État juif, où environ 200 personnes ont succombé au Covid-19 (En contraste, les Pays-Bas n’ont jamais appliqué un confinement complet et enregistrent plus de 4 500 morts des suites de la maladie).
« La communauté juive dispose de nombreuses informations en interne qui ne paraissent pas avoir été utilisées à Beth Shalom », regrette Esther Voet.
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