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Au sortir du confinement, les Juifs français dénombrent leurs « pertes immenses »

Aucun chiffre officiel n'a été publié sur le nombre de morts dans la communauté - mais certains évoquent plusieurs milliers de décès

Le rabbin Michael Azoulay, (deuxième à partir de la droite), lisant la Torah avec des fidèles à la synagogue de Neuilly-sur-Seine, le 11 décembre 2017. (Crédit : Cnaan Liphshiz / JTA)
Le rabbin Michael Azoulay, (deuxième à partir de la droite), lisant la Torah avec des fidèles à la synagogue de Neuilly-sur-Seine, le 11 décembre 2017. (Crédit : Cnaan Liphshiz / JTA)

JTA – Les habitués de la synagogue de Neuilly-sur-Seine, en banlieue parisienne, surnomment son allée principale « l’embouteillage ».

Ce terme, souvent prononcé avec un clin d’œil, fait référence au goulot d’étranglement qui se forme plusieurs fois par jour lors des offices de cette synagogue populaire, située dans un bâtiment Bauhaus des années 1930, qui devient trop petit pour la communauté juive croissante du quartier.

La synagogue est si fréquentée qu’elle organise deux offices matinaux d’affilée. Les participants qui quittent le premier s’arrêtent souvent pour discuter avec la deuxième équipe.

Ce désagrément, que les administrateurs du site ont essayé de résoudre, est maintenant un souvenir précieux pour Moché Taïeb, un des rabbins de la synagogue.

A l’occasion de la pose de plaques de plexiglas dans le hall de sa synagogue vide, M. Taïeb précise que la disparition du goulot d’étranglement n’est qu’un des innombrables changements que la pandémie de Covid-19 a fait naître dans le judaïsme français.

Aucun chiffre officiel n’a été publié sur le nombre de morts parmi les juifs de France. Des entretiens avec des rabbins en France indiquent qu’entre 300 à 500 juifs sont morts du coronavirus – mais selon d’autres sources, les chiffres seraient beaucoup plus élevés. Le Consistoire a refusé de répondre à notre demande. Selon Evelyne Gougenheim, vice-présidente de la communauté du VIe arrondissement de la capitale, les chiffres sont plus élevés. « Il y a environ une semaine, il y a eu une réunion sur Zoom des présidents des communautés juives », a-t-elle déclaré, citée par le quotidien économique israélien Makor Rishon. « Le président, le Dr Joel Mergui [qui a lui-même survécu au COVID-19], a déclaré qu’il y avait environ 2 000 personnes en train de mourir à travers la France, ce qui représente environ 7 % de ceux qui sont morts en France », alors que la communauté juive de France représenterait 0,75 % de la population. « En une semaine, il y a eu 200 funérailles de Juifs à Paris », affirme-t-elle à Makor Rishon. « J’ai parlé à des membres de la Hevra Kadisha et aux médecins juifs, qui ont tous convenu que le nombre de morts était d’environ 2 000. »

Le responsable des pompes funèbres de Paris, Franck Vasseur, (à gauche), assiste aux funérailles d’une femme de 75 ans, en la seule présence de son mari, à droite, au cimetière du Père Lachaise à Paris, le vendredi 24 avril 2020. (AP/Francois Mori)

« Notre communauté est très chaleureuse : beaucoup d’embrassades, de baisers, de claques dans le dos », décrit M. Taïeb. « C’est en partie la raison pour laquelle les Juifs de France ont été si durement touchés par le virus. Et cela va devoir changer dans un avenir proche ».

La France a levé cette semaine certaines des restrictions strictes qu’elle avait imposées à la mi-mars, en rouvrant certaines écoles à la discrétion de leurs directeurs et directrices. Mais les écoles juives françaises sont restées en grande partie fermées, tout comme les synagogues.

« La gravité de la situation a rendu les Juifs français très prudents », indique M. Taïeb. « Nous ne sommes pas encore sortis de l’auberge, et tout le monde a peur d’une seconde vague d’épidémie ».

Les dirigeants du judaïsme français s’accordent à dire que cette culture de proximité est probablement une des raisons pour lesquelles leur minorité est surreprésentée dans le bilan national. Mais il existe d’autres facteurs.

La contamination parmi les Juifs français a été élevée parce que beaucoup d’entre eux travaillent comme médecins et autres professionnels de la santé, explique Gil Taïeb, vice-président du CRIF. (Il n’est pas apparenté à Moché Taïeb). « Ils se sont retrouvés en première ligne très tôt, parfois avant que les protections adéquates ne soient disponibles », estime-t-il.

L’un d’eux était Paul Alloun, un médecin généraliste de 60 ans qui a dirigé pendant près de 25 ans une clinique à La Courneuve (Seine-Saint-Denis), l’une des communes les plus pauvres et les plus touchées par la criminalité en France. Il est décédé le 23 avril dernier des suites de la COVID-19.

Il vivait avec sa famille dans la banlieue parisienne de classe moyenne de Saint-Brice-sous-Forêt et avait reçu de nombreuses propositions de travailler dans des centres médicaux flambant neufs, a fait savoir son fils, Elie, à la revue Le Quotidien du Médecin.

« Mais il a toujours refusé, préférant exercer dans un HLM, proche des gens qu’il soignait, des oubliés », a confié Elie.

Il explique que lorsque la maladie a fait son apparition, son père a commencé à gérer son cabinet tout seul, sans secrétaire ni assistante, pour limiter les risques d’infection. La municipalité ne lui a pas non plus fourni d’équipements de protection, déplore-t-il.

Une cliente donne un billet de banque pour payer une poissonnière avec un masque facial dans un marché de plein air à Paris, le mardi 12 mai 2020. (AP/Nicolas Garriga)

La moitié des shohatim (sacrificateurs rituels) de la communauté juive française ont également été contaminés par le virus, selon le rabbin Bruno Fiszon, le conseiller du Grand rabbin de France pour les questions d’abattage, et représentant du consistoire au Comité National d’Éthique des Abattoirs.

L’épidémie chez les shohatim a créé des pénuries de viande casher à petite échelle en région parisienne ou dans le Grand Est au moment des fêtes de Pessah, qui ont depuis été résolues, a indiqué M. Fiszon à l’hebdomadaire Actualité Juive.

Il y a eu aussi Pourim, la joyeuse fête qui a coïncidé avec le début de l’épidémie en France, juste avant la mise en place des mesures d’urgence. Cette fête a été reconnue comme l’un des principaux vecteurs de propagation du virus parmi les Juifs américains.

La synagogue de Neuilly-sur-Seine, France, le 11 décembre 2017. (Cnaan Liphshiz/JTA)

En France, Pourim est une grande fête populaire empreinte de jovialité et de légèreté qui réunit des centaines de personnes dans des synagogues bondées.

Plusieurs dirigeants de la communauté font partie de ceux que le virus a emportés.

André Touboul, un rabbin affilié au mouvement hassidique Habad Loubavitch, qui dirigeait l’un des plus prestigieux lycées français, est mort en mars de la Covid-19. Homme énergique, il avait 64 ans lorsqu’il est décédé, et sa disparition a choqué de nombreux membres de la communauté.

Les anciens élèves d’André Touboul, dont la photo a été prise en 2014 et qui est mort en mars 2020 des suites du coronavirus, se sont souvenus de leur défunt professeur en ligne avec beaucoup d’affection et de respect. (Avec l’aimable autorisation de Beth Hanna via JTA)

Autre perte importante : celle de Claude Barouch, décédé le 27 avril à l’âge de 72 ans. En tant que président de l’Union des patrons et des professionnels juifs de France, ou UPJF, il était un promoteur majeur des liens économiques entre la France et Israël et un leader dans la lutte contre l’antisémitisme.

A Neuilly-sur-Seine aussi, la communauté porte le deuil de certains de ses membres.

L’un d’eux, un retraité de 83 ans nommé Albert, avait l’habitude de rester pour les deux offices du matin, discutant avec des amis autour d’un café, se rappelle Moché Taïeb.

« Perdre des gens comme ça, ça laisse un trou béant », s’émeut M. Taïeb. « Ce sont des pertes immenses ».

Neuilly, où vivent plusieurs milliers de Juifs, a enregistré des dizaines de morts, indique le rabbin de 65 ans, père de trois enfants.

« Le point culminant a été atteint il y a environ deux ou trois semaines, lorsque chaque jour on entendait parler d’une autre personne que l’on connaissait, ou de ses enfants, et qu’il y avait un sentiment de peur réelle. C’est toujours le cas », confie-t-il.

Un autre fidèle, un homme de 75 ans du nom de Serge, est mort il y a deux semaines après avoir passé plusieurs semaines dans un état critique sous respirateur.

« Comme pour les autres, nous avons suivi quotidiennement les nouvelles de l’état de Serge, en priant pour lui. Son fils a fini par nous dire que nos prières n’avaient pas été exaucées », relate Moché Taïeb.

La communauté a prié pour Serge tous les jours durant, ce que le rabbin appelle un minyan [NdT : le quorum de dix hommes nécessaire à la récitation de certains passages de la prière et à la lecture de la Torah] virtuel, – des prières dirigées par un rabbin par visioconférence.

Un homme quittant la synagogue de Neuilly-sur-Seine, France, le 11 décembre 2017. (Cnaan Liphshiz/JTA)

Daniel Chabta, un Juif de Neuilly qui priait occasionnellement à la synagogue, a commencé à fréquenter le minyan virtuel presque tous les jours pendant le confinement.

« Je travaille dans un café et il a fermé, donc cela me donne un sentiment de continuité », explique M. Chabta.

Grâce à l’assouplissement des mesures de confinement à Paris et au-delà, les gens peuvent à nouveau se déplacer librement, y compris dans les parcs et jardins des départements classés vert restés déserts pendant près de deux mois. C’est un grand soulagement, confirme M. Taïeb, mais la vie communautaire juive est toujours interdite.

« En tant que communauté, nous attendons toujours de voir la lumière au bout du tunnel », conclut-il.

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