Avec des Bamba et du vrai houmous, une “makolette” israélienne ouvre à New York
Approvisionné presque entièrement avec des produits de l'État juif, Holyland Market est une aubaine pour les expatriés à la recherche des goûts et des odeurs du pays
Jacob Magid est le correspondant du Times of Israël aux États-Unis, basé à New York.
NEW YORK – Holyland Market est situé dans le quartier de l’East Village de Manhattan, mais un aperçu de ses allées étroites vous emmène directement en Israël. Dans ce lieu fourni presque entièrement de produits israéliens, vous pourriez facilement vous laisser convaincre que vous allez casser la croûte à Tel Aviv, Jérusalem, Kiryat Shmona ou Ashkelon.
Si vous n’avez visité ni entendu parler de l’une de ces villes, un passage par le mini-marché de St. Marks Place sera probablement une expérience déconcertante.
Ce fut le cas la semaine dernière lorsqu’un jeune Latino d’une vingtaine d’années est entré dans Holyland et a demandé au caissier où se trouvaient les jus. Après avoir été dirigé vers l’arrière du magasin, le client, paré d’une manche de tatouages à chaque bras, a traversé la section réfrigérée avant de ralentir pour étudier les produits, qu’il n’avait manifestement pas l’habitude de voir.
Peut-être que ce sont les piles de houmous, de salade de chou, de megbouba épicé et de crèmes et caviars d’aubergines qui l’ont déstabilisé. Ou peut-être que ce sont les sacs de chips Bamba, Bisli et Doritos aux blasons hébreux sur les étagères d’en face qui l’ont fait réfléchir.

Quoi qu’il en soit, c’était suffisant pour que le jeune homme marmonne dans sa barbe « Qu’est-ce que c’est que ce bordel ? » avant de remarquer enfin les jus empilés à côté de la pâte à tartiner au chocolat Hashachar et de grandes boîtes en plastique de halva.
Mais après s’être d’abord senti soulagé d’avoir trouvé ce qu’il cherchait, ce sentiment s’est rapidement dissipé lorsque ses yeux ont fini de parcourir les bouteilles de jus aromatisés de la marque Prigat.
« Vous n’avez pas de marques normales comme Dole ou Tropicana ? » cria-t-il du fond du magasin.
« Non, désolé », répondit le caissier. « Mais les marques que nous avons sont tout aussi bonnes. »
Apparemment peu convaincu, le premier client s’est dirigé vers la porte. Sur son chemin, il a croisé un Israélien qui parlait au téléphone en hébreu.
Ce sabra s’est dirigé directement vers la section tehina, a attrapé un conteneur de Har Bracha et s’est dirigé vers le comptoir de sortie.

« Vous ne pouvez pas télécharger des Bamba »
Le propriétaire de Holyland, Eran Hileli, a affirmé que les expériences des deux clients dont ce journaliste a été témoin sont assez typiques de la bodega d’East Village.
« J’ai des millions d’histoires », a-t-il déclaré lors d’un entretien téléphonique avec le Times of Israel. « Vous apprenez à reconnaître immédiatement les gens qui entrent sans avoir la moindre idée de l’endroit où ils se trouvent. »
« Ils voient les drapeaux israéliens [accrochés au-dessus de la caisse] et essaient d’en apprendre un peu plus, mais il ne faut pas dépenser trop d’énergie pour eux parce qu’ils n’achèteront souvent pas beaucoup. »
« Ensuite, vous avez les Israéliens qui entrent et essaient de discuter les prix avec vous, sans comprendre pourquoi ils ne sont pas aussi bas qu’au shouk [marchés israéliens en plein air] », a-t-il raconté, un peu amusé.
« Mais il y a aussi beaucoup de gens bien qui ne se plaignent pas, achètent ce dont ils ont besoin et vous remercient simplement d’exister. »
Né à Givatayim et âgé de 48 ans, Hileli a ouvert Holyland en 2004. Avant il vendait des disques de musique au même endroit, et il décrit cette reconversion comme une question de « survie ».

« L’industrie évoluait. Les gens n’achetaient plus vraiment de musique », a-t-il déploré. Les clients entraient dans le magasin, écoutaient de la musique, puis rentraient chez eux pour l’acheter sur l’ordinateur.
« Mais vous ne pouvez pas télécharger des Bamba », a-t-il plaisanté, expliquant sa décision de commencer à vendre ces chips de maïs soufflé au beurre de cacahuète avec les centaines d’autres produits israéliens qui garnissent les étagères de Holyland.
L’affaire a marché et les clients ont afflué dès le départ grâce à l’emplacement de la supérette au cœur de l’East Village, qu’Hileli appelle « Little Israël ».
De la makolette au musée
« Quand j’ai ouvert, j’étais le seul à Manhattan à vendre ces produits », a-t-il déclaré, se rappelant les premières années de prospérité jusqu’à la crise financière de 2008.
À ce moment-là, de nombreux Israéliens – qui représentaient à l’époque 80 % de sa clientèle – ont fui la ville, le forçant à s’adapter pour attirer également d’autres clients. Aujourd’hui, les Israéliens représentent environ 60 % de sa clientèle, le reste étant composé à moitié de Juifs américains et de tous les autres.
Hileli rend justice au goût croissant des Américains pour les produits méditerranéens, tels que le houmous et même les feuilles de vigne, pour avoir envoyé à son entreprise une vague de nouveaux clients réguliers qui savent qu’ils peuvent compter sur Holyland pour subvenir à leurs envies moyen-orientales toute l’année.
Mais rien n’y fait, ce sont les sabras qui achètent le plus, dit Hileli.

« Ce sont les gros acheteurs qui viennent chercher leur Atlit [café turc], leur Kariot [céréales de petit-déjeuner remplies de crème au nougat] et leur soupe pré-cuisinée Osem », a-t-il déclaré, pour différencier les Israéliens des acheteurs nés aux États-Unis qui se contentent généralement d’un ou deux produits par visite.
Néanmoins, la nouvelle vague de clients a conduit à offrir une plus grande variété de produits non-israéliens tels que les chips et les bières, incontournables dans les bodegas de New York.
« Il y a beaucoup de gens qui viennent chercher des chips et ce faisant, ils découvrent un lieu unique que j’aime considérer comme un musée », a déclaré Hileli, tout en admettant que le mini-marché n’inspirait pas toujours une telle curiosité dans le quartier.
Dans le contexte des récentes manifestations raciales qui ont suivi l’assassinat de George Floyd par la police, Holyland a reçu plusieurs appels téléphoniques d’Américains mécontents accusant le magasin de soutenir « un pays qui tue des Palestiniens. Ils nous insultaient et raccrochaient », a déclaré Hileli.
« Là encore, nous avons également vu des gens qui sont venus crier des trucs à propos de Jésus et qui se sont enfuis. New York regorge de fous », a-t-il ajouté.

Un lieu de rassemblement pour les expatriés
L’expérience des clients israéliens est assez différente. Le propriétaire de Holyland affirme qu’ils ne viennent pas simplement acheter ce dont ils ont besoin pour repartir aussitôt ; ils viennent également pour bavarder.
« Ils veulent parler de Bibi, ils veulent parler de Trump, ils veulent parler de leur vie », a déclaré Hileli.
Mais contrairement au mini-marché standard ou à la makolette en Israël, qui ne desservent généralement que le quartier où ils se trouvent, Holyland attire de façon unique des clients expatriés originaires de tout Israël.
« Et cela signifie que vous devez avoir des produits qui les satisfont tous, car les gens originaires de Jérusalem ont des goûts très différents de ceux de Tel Aviv ou ceux de Haïfa », a déclaré Hileli.
Ces dernières années, Holyland a dû aussi s’adapter à la concurrence des supermarchés casher de la ville qui se sont également mis à vendre des produits israéliens, ainsi que des plus grandes chaînes d’épicerie telles que Fairway et Seasons, qui peuvent se permettre de les proposer à des prix plus intéressants.
Cependant, Hileli a déclaré qu’il avait été en mesure de rester dans la course en « limitant les dépenses et en n’étant pas trop gourmand en ce qui concerne mes revenus ».
« Il faut savoir jouer le jeu », a-t-il dit avec une certitude typiquement israélienne.

« Un souvenir dans une bouteille »
Lorsqu’on lui a demandé comment il pouvait se permettre de s’appuyer autant sur des marchandises importées d’Israël compte tenu de leurs coûts additionnels, Hileli a reconnu qu’il devait les vendre à des tarifs légèrement plus élevés.
« Mais ils ne sont pas trop chers » a-t-il assuré, soulignant que « les produits israéliens sont considérés comme de haute qualité, donc les gens sont prêts à payer davantage pour se les procurer, de même que pour des produits français ou italiens. »
« Les gens demandent souvent l’équivalent de produits israéliens tels que le fromage à pâte molle à 5 % [blanc], mais cela n’existe pas vraiment », a-t-il affirmé, en référence au petit-déjeuner israélien classique.
Mais même en tenant compte du fait que les Israéliens qui ne peuvent pas survivre sans Bamba, Milky (flan au chocolat mousseux et fouetté), et les diverses épices méditerranéennes proposées à Holyland, le choix de consacrer plusieurs étagères aux shampooings israéliens est déroutant.
Mais Hileli a assuré que le produit se vendait, en grande partie grâce par « nostalgie », selon lui.

« C’est un souvenir dans une bouteille », dit-il. « Je l’ouvre et cela me transporte immédiatement à la douche que j’aurais prise à mon retour d’une journée à la plage de Tel Aviv. »
Et il ne propose pas seulement des produits de douche sabra, mais aussi des produits de nettoyage fabriqués en Israël. Hileli a affirmé que beaucoup de ses clients israéliens ne juraient que par les marques fabriquées dans l’État juif.
« Les odeurs restent plus longtemps sur vos vêtements, tandis que le détergent de marque Tide s’estompe immédiatement », dit-il avec mépris.

Mais les Israéliens ne sont pas les seuls à profiter des produits uniques de Holyland. Hileli a affirmé que les allumettes et les bougies qu’il vend font un tabac auprès de clients de tous horizons.
« Les bougies américaines, vous les allumez et après une heure ou deux, elles sont finies. Mais mes bougies commémoratives israéliennes peuvent durer jusqu’à 26 heures », s’est-il vanté, ajoutant qu’il les vend même en gros aux restaurants de la région.
Tenir jusqu’aux vacances
Comme toutes les épiceries, Holyland a été contrainte de s’adapter au contexte de la pandémie de coronavirus. Mais Hileli a déclaré que son mini-marché avait bien fonctionné au cours des premiers mois de la pandémie, bénéficiant du vent de panique qui a poussé les Américains à faire des réserves et à remplir à ras bord leur garde-manger.
« Nos services de livraison en ligne existent depuis deux ans, mais ils ont vraiment décollé depuis le coronavirus », a déclaré Hileli.
Cependant, les affaires ont ralenti depuis mai, car les étudiants et les jeunes professionnels ont fui la ville hors de prix et sont allés travailler et étudier en ligne ailleurs.
« C’est un nouveau défi, mais j’essaie de tenir jusqu’à la fin des [grandes] vacances ; j’espère qu’alors les choses vont s’arranger », dit-il avec une bonne dose d’optimisme.
