Cinéma : une famille juive de NYC découvre que sa chère bubbe est une ex-nazie
Dans le film "The Last", l'actrice Rebecca Schull est au cœur d'une histoire effroyable sur une nonagénaire qui décide de révéler sa véritable identité à sa famille avant de mourir
Dans le film « The Last », la matriarche de 92 ans d’une famille juive de New York leur révèle un secret qui va les secouer au plus profond de leur chair. Claire, qui souffre d’un cancer du cerveau en stade terminal, décide de dire la vérité à ses enfants et petits-enfants : elle est une goy allemande qui se fait passer pour juive depuis la Seconde Guerre mondiale. Elle faisait même fièrement partie du parti nazi et travaillait comme infirmière, aidant des médecins assassins à Auschwitz.
Une confession à l’approche de la mort peut être difficile à avaler, mais celle-ci a fait l’effet d’une bombe – et constitue une hantise pour toutes les familles juives. Cette révélation survient au début de ce film cérébral. Le reste de ce film laborieux de deux heures s’articule autour du traumatisme émotionnel causé, chacun des membres de la famille réagissant différemment au cours de la semaine où Claire se prépare à partir pour l’Oregon, où elle prévoit de mourir par suicide médicalement assisté.
« The Last » est le septième film du réalisateur indépendant Jeff Lipsky. Pour lui, certains des meilleurs films jamais réalisés portent sur la Shoah (il a ainsi cité « La Liste de Schindler » et « Nuit et brouillard » lors d’une interview récente avec le Times of Israël). Néanmoins, le génocide n’était pas l’inspiration initiale de son nouveau film. Le réalisateur de 65 ans était en fait intrigué par la décision de son neveu et sa femme convertie de devenir des Juifs orthodoxes modernes.
« Ça a été l’étincelle, mais il me fallait une histoire, une dramaturgie », a-t-il expliqué.
Afin d’ancrer le passé de Claire dans un contexte historique réel, il a introduit dans son récit fictif de vrais nazis d’Auschwitz, dont les Dr. Carl Clauberg et Dr. Horst Schumann.
Le premier était chercheur en gynécologie ayant étudié les traitements à base de progestérone pour aider les femmes stériles à procréer. À Auschwitz en 1943 et 1944, il a ainsi mené de nombreuses expériences pour parvenir au développement d’une méthode de stérilisation de masse en injectant des toxines directement dans les utérus de 700 femmes, entraînant des douleurs sévères ou la mort.
Horst Schumann, qui travaillait à l’origine sur les programmes d’euthanasie nazis, fut envoyé à Auschwitz en 1941, où il a lui aussi réalisé des expériences médicales effroyables permettant la stérilisation.
Ces médecins nazis ont été reconnus comme des criminels de guerre, mais ont tous les deux échappé à un procès. Clauberg est mort en 1957, et Schumann en 1983.
Alors que Claire montre à sa famille sa cachette de vieilles photos, journaux intimes et courriers, elle leur confie que sa mère, une prostituée enceinte qui risquait de perdre son bébé (Claire) en raison d’une maladie, est venue chercher l’aide de Clauberg. Il n’a pas été en mesure de sauver sa mère, mais le bébé a survécu. Il a ensuite placé la petite Claire dans un bon orphelinat de Leipzig, où il lui rendait souvent visite, devenant une figure paternelle et mentor pour elle. Alors que la guerre approchait, Clauberg a inscrit Claire alors âgée de 14 ans dans un programme de formation infirmier, avant de la faire venir avec lui à Auschwitz.
« C’était l’endroit le plus sûr où je pouvais être », dit Claire, sans remords, à son arrière petit-fils juif orthodoxe moderne et à sa nouvelle femme Olivia.
Claire, excellemment interprétée par l’actrice Rebecca Schull, fait cette déclaration au cours d’un monologue quasi-ininterrompu de 45 minutes. L’actrice américaine a confié au Times of Israël qu’elle se sentait prête à relever ce défi — même à l’âge de 90 ans. C’est cela et le reste de sa prestation qui font l’intérêt du film.
« J’ai trouvé le scénario très choquant, mais j’ai accepté de le faire car c’est une histoire intéressante, et j’ai aimé mes précédentes nombreuses collaborations avec Jeff. Je ne peux pas dire que je n’ai pas un peu hésité avant d’accepter ce rôle. Je n’ai pas de compassion ou d’empathie pour cette femme », a-t-elle déclaré.
Née à New York, Rebecca Schull a consacré un été entier à mémoriser son long monologue, prononcée, comme tous ses autres dialogues, dans un accent d’Europe centrale convaincant. Elle s’est dit ravie de relever le défi de retranscrire l’histoire de Claire, le cœur du film.
« C’était intéressant d’essayer de comprendre qui était cette femme. Son seul mérite est d’être la matriarche d’une famille juive respectable. Ce qui, évidemment, contraste grandement du passé qu’elle confie », a estimé l’actrice.
Son histoire à elle est bien différente de celle de son personnage. Elle est issue d’une grande famille juive sioniste. Son grand-père maternel était Simcha Alter Gutmann, un éminent écrivain et éditeur de langue hébreu connu comme S. Ben-Zion, son nom de plume. Il a fondé la maison d’édition Moriah avec H.N. Bialik et Yehoshua Ravnitzki, et fit partie des premiers à s’installer à Tel Aviv. L’oncle maternel de l’actrice était le célèbre artiste israélien Nahum Gutman.
Sa mère quitta la Palestine sous mandat britannique pour New York afin d’obtenir un diplôme d’enseignante, c’est là qu’elle fit la connaissance du père de l’actrice. Lui aussi arrivait de Palestine et s’était rendu aux États-Unis pour faire des études de droit. Le jeune couple firent leur vie à New York. Rebecca Schull avait un frère cadet, l’écrivain, homme politique et démographe Ben J. Wattenberg.
« Mes parents et d’autres dans notre communauté juive ont été traumatisés lorsqu’ils ont découvert la Shoah », se souvient Rebecca Schull, qui n’était qu’une jeune adolescente à la fin de la guerre.
Dans « The Last », Claire, qui tombe enceinte de Clauberg à Auschwitz, parvient à se rendre aux États-Unis dans les dernières années de la guerre en se faisant passer pour une réfugiée juive. Le chasseur de nazis Efraim Zuroff du centre Simon Wiesenthal émet des doutes sur cette partie du récit du film. Il ne l’a pas vu, mais après avoir appris le scénario du film, il a assuré qu’il était impossible que Claire soit entrée aux États-Unis sous le statut de réfugiée juive.
« Les Juifs ont pu quitter l’Allemagne jusqu’en 1941 et la Pologne jusqu’en 1942, pas après. Mais même sans cela, les États-Unis n’autorisaient pas les Juifs à immigrer dans le pays », a expliqué Efraim Zuroff.
Le réalisateur défend son scénario. Comme Claire l’explique à Josh et Olivia, Clauberg lui a procuré des faux papiers grâce à de vieux contacts dont ils disposaient au sein de l’Agence centrale pour l’émigration juive à Vienne, et s’est servi d’or volé à des victimes juives d’Auschwitz pour les soudoyer. Le mariage non consommé de Claire au patriarche de la famille, Papa Moishe, était une union arrangée. Lui aussi était un fugitif nazi prétendant être un immigrant juif.
D’autres parties du film sonnent faux pour des spectateurs connaissant l’histoire et la vie des Juifs, notamment des références erronées au judaïsme conservateur. Ainsi, Josh et Olivia ne respectent pas les obligations vestimentaires orthodoxes modernes. Josh ne porte pas tout le temps sa kippa, et Olivia apparaît avec les cheveux non couverts et des vêtements et maillots de bain peu modestes.
Là aussi, le réalisateur défend ses choix, indiquant que cela reflétait son expérience, ayant grandi dans une famille juive conservatrice, et celle de son neveu et de sa femme, Juifs orthodoxes modernes.
Mis à part ces détails, le portrait d’ensemble du film est celui d’une famille dévastée par la confession impensable de Claire. Melody, son arrière petite-fille, est furieuse contre sa mère décédée — qui connaissait la vérité — pour ne pas lui avoir révélé. Le mari de Melody, Harry, un auteur de roman graphique, envisage de publier un livre inspiré par l’histoire de Claire et de se faire de l’argent sur ses péchés pour le confort financier de sa famille.
Josh traverse une crise existentielle lorsqu’il réalise qu’il n’est pas vraiment juif. Il organise rapidement sa conversion, et suggère sans conviction que la famille remette Claire aux mains de la justice. (Le spécialiste Ephraim Zuroff a indiqué que cela était possible, mais qu’il est plus facile de confirmer que quelqu’un était gardien dans un camp plutôt qu’une infirmière.)
Seule Olivia, qui a joyeusement adopté le judaïsme en tant que convertie, semble prête à essayer de comprendre Claire. C’est elle qui insiste pour accompagner Claire dans l’Oregon.
À la fin du film, on se demande ce qui a poussé Claire à infliger une telle peine à sa descendance. Il était apparemment important pour elle de révéler son secret avant de mourir pour préserver la mémoire de la mère qu’elle n’a jamais connue. Mais cela en valait-il vraiment la peine ?
Claire affirme qu’elle a agi par amour — ou cela relevait-il plutôt d’une cruauté perverse ? Voilà un secret qu’elle a emporté dans sa tombe.
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