Comment un effectif de 1 500 médecins a commencé à soigner des survivants de la Shoah
Après le 7 octobre, l'organisation à but non-lucratif LeMaanam a dû relever un nouveau défi : Répondre aux besoins médicaux des survivants, dont un grand nombre sont traumatisés par la guerre
96 % des 133 362 survivants de la Shoah encore en vie en Israël aujourd’hui avaient moins de 18 ans pendant la Seconde Guerre mondiale. Ils figurent tous parmi les citoyens les plus âgés du pays : leur moyenne d’âge est de 87 ans, le plus vieux ayant fêté, cette année, son 111e anniversaire. Le plus jeune a 78 ans.
Docteure en médecine interne, Tamara Kolitz a commencé à téléphoner bénévolement à certains de ces survivants. Des appels qui lui ont permis de mieux connaître les obstacles qu’ils affrontent lorsqu’ils ont besoin de soins médicaux dans le système public – certains obstacles que les autres Israéliens appartenant à la même catégorie d’âge ne rencontrent pas.
Quand la pandémie de COVID-19 s’était abattue sur le monde, les difficultés déjà connues par les survivants, en Israël, lorsqu’ils voulaient accéder au système de soins étaient devenues plus importantes encore dans la mesure où ils vivaient isolés, chez eux, ou qu’ils craignaient de s’aventurer à l’extérieur – une crainte qui avait persisté même après la levée des confinements. En réponse à cette situation, Kolitz avait commencé à s’interroger et elle avait demandé à ses collègues s’ils seraient prêts à tendre une main secourable à cette catégorie de la population particulièrement vulnérable.
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Kolitz raconte, au cours d’un entretien accordé au Times of Israel, cette semaine, qu’elle avait alors obtenu des centaines de réponses positives – et qu’elle en avait été bouleversée.
En résultat, elle avait lancé LeMaanam (« En leur honneur » en hébreu) au mois d’avril 2020. C’est une organisation à but non-lucratif qui fournit des soins médicaux appropriés et gratuits aux survivants de la Shoah.
Les services sont assurés par 1 500 médecins issus de toutes les spécialités et de tout le pays qui accordent bénévolement de leur temps dans leurs unités, au domicile des malades ou dans l’un des dispensaires mobiles de l’organisation – des petits camions aux couleurs de l’association où les patients peuvent être pris en charge pour des problèmes ORL, de dermatologie et d’ophtalmologie.
Kolitz, qui est endocrinologue à l’hôpital Sourasky de Tel Aviv et auprès de la caisse d’assurance-santé Maccabi, explique au Times of Israel les raisons pour lesquelles il est si difficile, pour de nombreux survivants, d’obtenir des soins.
« C’est parce qu’ils sont dans l’incapacité de faire ce qu’il faut pour prendre rendez-vous via internet ou parce qu’ils ont des problèmes avec la bureaucratie, une bureaucratie qui peut aussi faire perdre l’esprit, d’ailleurs, à quelqu’un de bien plus jeune », dit-elle. « Certains d’entre eux n’ont pas de famille susceptible de les emmener à un rendez-vous médical, ou ils sont cloués au lit. D’autres sont également méfiants face aux médecins en raison de ce qu’ils ont vécu pendant la Shoah ».
Mais le plus gros problème rencontré par les survivants est la longue attente pour obtenir un rendez-vous. « Il est inacceptable que des survivants doivent attendre trois à huit mois pour pouvoir rencontrer un spécialiste », s’exclame-t-elle.
Depuis l’ouverture de son call center, au mois de novembre 2020, LeMaanam a reçu environ 30 000 appels – la moitié en 2023 seulement – alors que l’organisation commençait à gagner en notoriété grâce à ses partenaires et qu’elle attirait l’attention des médias. Aujourd’hui, les bénévoles ont assuré 7 000 traitements.
« La majorité de ces traitements ont été administrés par nos médecins mais certains ont aussi été pris en charge par les centaines de professionnels de la santé qui font du bénévolat à nos côtés. Il y a parmi eux des ergothérapeutes, des physiothérapeutes, des psychothérapeutes ou des travailleurs sociaux », note Kolitz.
Vingt étudiants en médecine sont là pour répondre aux premiers appels téléphoniques des survivants. Une équipe formée d’étudiants, de managers et de coordinateurs s’assure que toutes les informations recueillies lors des rendez-vous sont bien enregistrées et que le suivi de chaque cas est effectué dans les règles. Le personnel cherche, dans un premier temps, à programmer les examens ou les traitements nécessaires dans le cadre du système public mais quand l’attente est trop longue, alors des services privés – et gratuits – prennent le pas.
Selon Kolitz, les services offerts par son ONG ont pris une importance nouvelle, ces derniers mois. Le 7 octobre et la guerre qui a suivi ont ravivé d’anciens traumatismes chez les survivants de la Shoah – elle évoque en particulier les 2 000 survivants de la Shoah qui vivaient aux abords de Gaza et sur la frontière nord. Certains ont accepté d’être évacués ; d’autres ont voulu rester chez eux.
Le 7 octobre, Moshe Ridler, un survivant de la Shoah âgé de 91 ans, avait été assassiné. De son côté, Yaffa Adar, 85 ans, qui avait elle aussi échappé au génocide juif, avait été prise en otage avant d’être libérée après 49 jours de captivité. Un grand nombre d’autres – indépendamment du lieu où ils vivent – ont des membres de leur famille qui ont été tués par les terroristes ou qui sont tombés au champ d’honneur, à Gaza.
A la veille de Yom HaShoah, le Times of Israel a demandé à Kolitz quel avait été l’événement spécifique qui l’avait finalement décidée à lancer LeMaanam, mais aussi les sources de soutien financier qui permettent à son organisation de fonctionner, interrogeant aussi la jeune femme sur la manière dont les survivants de la Shoah appréhendent cette période post-7 octobre et la façon dont l’ONG répond à leurs inquiétudes dans ce contexte.
Le Times of Israel: Pourquoi avez-vous spécifiquement créé LeMaanam, le 20 avril 2020 ?
Tamara Kolitz: Le 20 avril 2020, c’était la veille de Yom HaShoah, cette année-là, et cela avait été ce jour-là que la docteure Magda Greif avait été retrouvée sans vie dans son appartement. Elle était une survivante de la Shoah, âgée de 89 ans à l’époque, qui avait travaillé pendant de longues années comme pathologiste à l’hôpital Soroka ; elle était aussi professeure et maître de conférence à l’université Ben-Gurion, à Beer Sheva. Il s’est avéré qu’elle était morte depuis presque deux semaines, depuis la veille de Pessah. Elle avait laissé une note disant qu’elle n’avait pas de famille vivant en Israël ou à l’étranger et qu’elle était très malade. Tout ce qu’elle demandait, c’était que quelqu’un s’occupe de ses oiseaux.
Quels sont les obstacles que vous rencontrez encore pour arriver jusqu’aux survivants ?
Notre objectif, c’est qu’ils sachent que nous sommes là pour eux. Nous investissons beaucoup de temps et de travail pour tenter de déterminer comment atteindre ce but de la meilleure façon – parce que nous ne pouvons pas simplement faire la liste de tous les survivants, entrer en contact avec chacun d’entre eux et leur donner un magnet avec le numéro de notre ligne d’urgence qu’ils poseront sur leur frigo.
Nous coopérons avec d’autres organisations qui sont au service de la communauté des survivants et moi-même et les autres médecins faisons connaître LeMaanam à nos patients, dans nos hôpitaux et dans nos communautés. Ce que l’expérience m’a apprise, c’est qu’une fois que vous donnez votre numéro de téléphone à un survivant, il vous appelle. Les survivants me disent tous les jours que grâce à l’organisation, ils ont quelqu’un à appeler et ils ne se sentent plus seuls.
Comment l’organisation LeMaanam est-elle financée ?
Nous sommes financés par des donateurs individuels et par des fondations, ainsi que par la Claims Conference. Récemment, nous avons commencé à bénéficier d’un soutien financier du gouvernement par le biais de l’Institut d’assurance national [bituach Leumi]. La plupart de nos fonds proviennent du territoire israélien, mais pas leur totalité.
Quelles sont les réactions qui ont été observées par vos bénévoles chez les survivants au lendemain du 7 octobre ?
Elles ont été variables. Chaque survivant que j’ai été amenée à rencontrer a eu des réactions différentes. Certains sont encore plus déterminés aujourd’hui à survivre, se battre, à vivre, à l’emporter. D’autres ont le sentiment d’avoir trahi leur famille, de ne pas avoir tenu la promesse qu’ils avaient faite, celle de s’établir ici pour que leurs proches, leurs enfants et petits-enfants soient protégés, pour qu’ils aient un environnement sûr, contrairement à ce qu’eux-mêmes avaient subi lorsqu’ils étaient jeunes.
J’ai rencontré une femme presque centenaire qui a survécu au pire de ce que nous connaissons et elle m’a dit : « Je me sens triste d’être arrivée à cet âge parce que ce n’était pas ainsi que je voulais que ma vie se termine. Je ne voulais pas que ce chapitre soit compris dans mon histoire ».
Cela a été très difficile d’entendre quelque chose comme ça de la bouche d’une femme aussi vive, qui est également en très bonne santé physique pour son âge.
De quelle manière le stress psychologique a-t-il affecté la santé physique des survivants ?
Il y a eu une détérioration, cela ne fait aucun doute. D’abord, le choc au niveau psychologique, le stress et le traumatisme enfoui qui a été ravivé ont porté atteinte à leur état physique. De plus, ils sont chez eux et ils ne sortent plus comme ils le faisaient auparavant. Ce qui est un retour à l’effet COVID-19, qui avait été délétère et dramatique pour les personnes âgées, écourtant leur vie. Pas besoin d’expliquer l’effet que cela peut avoir sur quelqu’un qui a 85 ans, 90 ans, 95 ans ou 100 ans d’être déraciné de son environnement habituel.
Comment LeMaanam a donc répondu à cette situation ?
Nous assurons un plus grand nombre de soins à domicile à cause de cela. Nous soulignons également les questions relatives à la santé mentale, aux besoins psychologiques. Nous avons aussi élargi notre travail en établissant des dispensaires temporaires pour les survivants évacués dans les hôtels de la mer Morte, et nous avons utilisé nos dispensaires mobiles pour fournir des soins médicaux aux soldats du côté israélien de la frontière avec Gaza. De plus, nous offrons des services médicaux aux familles des otages.
Votre mandat va alors bien au-delà des survivants en cas de nécessité.
Oui. Un autre exemple : nous avions envoyé 150 médecins et dix tonnes d’équipements médicaux à Chișinău, en Moldavie [pour prendre en charge les réfugiés ukrainiens] quand la guerre entre la Russie et l’Ukraine avait commencé [au mois de février 2022]. Nous étions restés là-bas pendant deux mois.
Nous prenons la décision d’élargir nos activités lorsque des besoins urgents se présentent – et c’est malheureusement trop souvent le cas.
Pour entrer en contact avec LeMaanam, téléphonez au numéro *3191 ou envoyez un courriel à l’adresse moked@lemaanam.org.il
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