Comment un Moïse américain a conduit les Juifs de Roumanie en Terre promise
Le livre de l'ex-ambassadeur des USA à Bucarest, qui dans les années 1970/80 a aidé des milliers de Juifs à fuir le régime de Ceausescu pour Israël, décrit un pays en transition
WASHINGTON – A quelques exceptions près, il n’y avait pas de pire endroit pour être juif au XXe siècle que la Roumanie. Pendant la Shoah, environ la moitié des quelque 300 000 Juifs de la région ont été exterminés. Au cours des quatre décennies de régime communiste qui ont suivi, la communauté a dû faire face à de sévères restrictions, y compris une stricte limitation du nombre de Juifs autorisés à émigrer en Israël.
Mais à la fin du siècle, la Roumanie a commencé à se défaire de la stagnation économique et de répression politique, et a commencé à instaurer des réformes démocratiques. Aujourd’hui, elle fait partie de l’OTAN, peut se vanter d’avoir adhéré à l’UE et dispose d’une société civile dynamique, d’une presse relativement libre et d’un pouvoir judiciaire indépendant, bien que des défis importants subsistent.
Aujourd’hui, un nouveau livre d’Alfred Moses – un avocat juif américain de 89 ans dont le travail avec les Juifs roumains dans les années 1970 et 1980 lui a valu le titre d’ambassadeur à Bucarest sous le président Bill Clinton – raconte le périple de la Roumanie entre une dictature communiste et une démocratie à l’occidentale.
“Bucharest Diary : Romania’s Journey from Darkness to Light” [Journal intime de Bucarest : Le périple de la Roumanie des ténèbres à la lumière] est une lecture essentielle pour quiconque s’intéresse à l’histoire générale et juive de la région. C’est un Moïse des temps modernes – un homme qui a permis à son peuple d’aller en Israël plus que tout autre personnage.
Moses s’est rendu pour la première fois à Bucarest en 1976 en tant que membre d’une délégation de l’American Jewish Committee (AJC). La Roumanie à l’époque était sous le règne de fer du dictateur communiste Nicolae Ceausescu.

« Pendant le voyage, j’ai été approché par deux jeunes hommes qui m’ont demandé si j’étais américain et si j’étais juif », a dit Moses au Times of Israel dans une récente interview.
« J’ai répondu ‘Oui’, puis ils ont commencé à me raconter comment tout était de la faute des Juifs, et comment la vie était terrible pour les Juifs roumains. Au cours des 13 années suivantes, j’ai fait sortir les Juifs de Roumanie ».
Travaillant avec les responsables juifs et gouvernementaux américains, Moses a réussi à faire pression sur le Congrès américain pour renouveler chaque année le statut de la nation la plus favorisée à la Roumanie en échange, entre autres, que Ceausescu autorise ses Juifs à émigrer en Israël.
« Nous nous sommes entretenus avec Ceausescu en personne au moins trois fois. Pendant cette période, j’ai visité 18 communautés roumaines locales différentes et j’ai travaillé main dans la main avec le grand rabbin du pays », raconte Moses.
Selon son recensement, il y avait environ 25 000 Juifs en Roumanie en 1977. En 1992, ils étaient moins de 9 000. (Le dernier recensement en 2011 a dénombré 3 271 Juifs roumains).
Sauver la Grande Synagogue
Un autre héritage de Moses est la sauvegarde de la Grande Synagogue de Bucarest, le plus ancien lieu de culte de la capitale roumaine, en 1985.
« J’ai reçu un appel du grand rabbin de Roumanie qui m’a dit que Ceausescu était en train de démolir 3 km2 du centre-ville de Bucarest pour dégager un espace pour sa nouvelle ‘Cité du peuple’, et deux des bâtiments sur le point de disparaître étaient la synagogue séfarade et la Grande Synagogue », se rappelle Moses.
L’ambassadeur d’Israël et le maire de Bucarest ont essayé ardemment de sauver les édifices et ont reçu de Ceausescu l’assurance qu’aucun bâtiment ne serait endommagé. Mais peu de temps après, l’ambassadeur fit le tour du pâté de maisons et vit que la synagogue séfarade avait disparu. Elle avait été détruite la veille au soir.
« Soupçonnant que la Grande Synagogue serait la suivante, l’ambassadeur est allé voir le grand rabbin. Le grand rabbin m’a appelé, et je me suis rendu au Département d’État américain et j’ai obtenu un soutien total jusqu’à [le secrétaire d’État américain George] Schulz, qui est intervenu auprès du ministre roumain des Affaires étrangères », a déclaré Moses.

« Il a dit au ministre que si la Grande Synagogue était détruite, les Etats-Unis ‘repenseraient leurs relations avec la Roumanie’ et cela a sauvé la Grande Synagogue, qui existe encore aujourd’hui », a-t-il ajouté.
Lorsque Moses a pris ses fonctions d’ambassadeur des États-Unis en Roumanie en 1994, la quasi-totalité de la communauté juive jadis florissante de la Roumanie avait disparu, la majorité en Israël.
Un pays transformé
Le nouveau livre offre des récits de première main d’un pays en transition et détaille la diplomatie qui a aidé la Roumanie à se remettre d’années de régime communiste. En tant qu’ambassadeur, Moses a facilité les négociations pour la Roumanie avec la Hongrie et l’Ukraine, qui ont abouti à des traités réglant les différends frontaliers. Et avec le soutien moral et matériel important du gouvernement américain, Moses a participé à l’une des grandes réussites de la politique étrangère américaine de l’après-guerre froide.
« Nous avons été la principale bougie d’allumage de la transition vers la démocratie », a déclaré M. Moses. « Quand je suis arrivé en 1994, c’était le chaos. L’économie était en difficulté, c’était juste après la révolution et les étudiants manifestaient dans les rues. C’était vraiment aussi terrible que vous pouvez l’imaginer, un désordre total ».
Les Etats-Unis ont encouragé les Roumains à privatiser leur économie et ont fourni une aide technique conséquente pour la mise en place d’institutions démocratiques. Pour Moses, c’était « la véritable Amérique dans ce qu’elle a de meilleur ».

« Nous avions une aide technique dans tous les domaines : comment mettre en place un système judiciaire, une police indépendante et apolitique, reconstruire leurs postes de douane, tout ce à quoi vous pouvez penser, une aide et une assistance économique massive. C’était vraiment surprenant et nous, les Américains, étions les grands héros. Lorsque Bill Clinton est venu prendre la parole sur la place principale de Bucarest [en 1997], un demi-million de personnes se sont déplacées. C’était incroyable. Nous avons établi un partenariat stratégique avec la Roumanie », a déclaré M. Moses.
Le mandat d’ambassadeur de Moses a ouvert la voie à l’adhésion de la Roumanie à l’OTAN et à l’Union européenne au cours de la première décennie du XXIe siècle. Mais il reconnaît qu’il reste d’importants défis à relever.
« La Roumanie d’aujourd’hui a encore beaucoup de problèmes. Avec la corruption, la prestation de services médicaux, les transports modernes, etc. Mais la Roumanie est passée du bas de l’échelle à l’une des économies d’Europe de l’Est dont la croissance est l’une des plus rapides », souligne M. Moses.
« Nous y avons vraiment fait quelque chose de remarquable – nous avons préservé l’ordre de l’après-guerre en Roumanie, qui est actuellement en danger, bien sûr, avec l’administration américaine actuelle », dit-il.

Pour sa contribution, Moses est le seul Américain à avoir reçu la médaille Marc Cruce du gouvernement roumain.
En tant que premier diplomate américain à Bucarest, Moses s’est fait un point d’honneur d’assister aux offices du Shabbat chaque semaine dans la Grande Synagogue et il a visité les communautés juives locales chaque fois qu’il se déplaçait en dehors de la capitale.
Tandis qu’une histoire familiale aurait pu expliquer les initiatives de Moses pour aider les Juifs de Roumanie, ceux qui veulent trouver un motif doivent chercher ailleurs – très probablement dans un sentiment de solidarité juive.
« Aider la communauté est juste quelque chose qui est devenu une partie importante de ma vie », explique Moses. « Mais pour autant que je sache, personne dans ma famille n’a jamais mis les pieds en Roumanie ».
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