D’abord rejeté, un bateau de réfugiés de la Shoah a reçu l’aide de Mme Roosevelt
Lors de la première new-yorkaise du documentaire "Nobody Wants Us", sa réalisatrice a appelé à ce que les efforts de la Première dame fassent des émules aujourd'hui

NEW YORK — Un silence de plomb régnait quand une frêle survivante de la Shoah a partagé son histoire après la première new-yorkaise de « Nobody Wants Us » [Personne ne veut de nous] dimanche dernier.
La voix assurée, Annette Schamroth Lachmann raconte à l’auditoire captivé qu’elle n’avait que quatre ans lorsqu’un photographe a capturé le moment où elle, sa sœur et sa mère scrutaient le quai à travers le hublot du Quanza. C’est là que se tenait le père d’Annette, arrivé à New York après avoir quitté Anvers l’année précédente pour trouver un logement.
« Je me souviens qu’il nous tendait la main. Ma sœur se demandait pourquoi nous n’avions pas le droit de descendre », s’est souvenue Annette Lachmann lors d’une discussion au Centre d’histoire juive sur le thème, « Eleanor Roosevelt et les réfugiés juifs qu’elle a sauvés : l’histoire du SS Quanza ».
Quand elle regarde le public, on perçoit facilement la petite fille apeurée qu’elle était il y a 79 ans, alors prisonnière du Quanza après que les États-Unis ont refusé l’entrée sur son sol à ses passagers, pour la plupart des réfugiés juifs fuyant l’Allemagne nazie.
Elle décrit comment on l’a faite descendre sur une chaise reliée à une poulie pour que son père lui donne une poupée.

« J’avais si peur de tomber à l’eau », se souvient-elle, ajoutant qu’elle craignait que sa poupée subisse le même sort. La fillette n’est pas tombée, mais la poupée n’a pas fait long feu. Un enfant présent sur le bateau se l’est approprié et l’a jeté par dessus bord.
Le documentaire « Nobody Wants Us », produit et réalisé par Laura Seltzer-Duny, raconte l’histoire de ces 317 passagers du Quanza en 1940.
Michael Dobbs du musée mémoriel de la Shoah américain et auteur de « The Unwanted » ; Blanche Wiesen Cook, auteure de « Eleanor Roosevelt », une biographie en trois volumes ; Kathleen Rand, fille d’un passager du Quanza, Wolf Rand, et Laura Seltzer-Duny participaient également à la discussion ayant suivi la projection. C’est la Fondation Sousa Mendes et la Fédération séfarade américaine qui organisaient l’événement à guichets fermés.
L’histoire du SS Quanza commence le 9 août 1940, date de son départ de Lisbonne, avec plus de 300 passagers à son bord, la plupart juifs. À part les 66 citoyens américains présents sur le bateau, tous possédaient un visa délivré par le diplomate portugais Aristides de Sousa Mendes.

Dix jours et un ouragan plus tard, le Quanza arrive à New York. L’équipage abaisse la passerelle, et 196 personnes débarquent sur le quai. Cependant, sur ordre du Département d’État américain, les 121 restantes n’y sont pas autorisées.
Le navire se dirige alors vers Veracruz, au Mexique. À son arrivée le 30 août, seuls 35 passagers sont autorisés à débarquer. Les autorités obligent les 86 autres, des Juifs belges pour la plupart, à rester à bord. Ils apprennent alors qu’ils doivent retourner en Europe.
En route, le bateau fait une halte à Hampton Roads, en Virginie, pour faire le plein. C’est là que le destin du Quanza va connaître un tournant.

Un des passagers, Wolf Rand, a contacté un associé d’affaires à New York, qui lui a suggéré de contacter les avocats juifs en droit maritime Jacob et Sally Morewitz, qui s’avèrent être basés en Virginie. Ils poursuivent alors la société de transport pour rupture de contrat, sachant que ça leur ferait gagner du temps.
Des dirigeants juifs américains, notamment le rabbin Stephen Wise du Congrès juif mondial et Cecilia Razovsky du Conseil national des femmes juives, se précipitent alors pour défendre ces réfugiés. La Première dame Eleanor Roosevelt en a vent et plaide leur cause auprès de son époux.
Elle assure avec insistance au président Franklin Delano Roosevelt que les hommes, femmes et enfants à bord du Quanza sont de « futurs Américains patriotes », et pas des « indésirables », comme les ont étiquetés le Département d’État. Ils ne sont pas non plus des espions nazis ou des sympathisants communistes.

« Quand le SS St. Louis a été renvoyé, [Eleanor Roosevelt] a promis que ça ne se reproduirait jamais. Alors quand le Quanza arrive à quai, elle veille à faire savoir que [les passagers] sont les bienvenus. elle savait que leur vie était en jeu », explique la biographe Blanche Wiesen Cook.
Le président Roosevelt finit par promulguer un décret présidentiel le 11 septembre 1940 qui autorise l’entrée des réfugiés sur le territoire américain. La jeune Annette, sa mère et sa sœur débarquent du bateau, et le trio prend la route de New York pour retrouver le père. Cependant, ce décret n’est pas synonyme de changement de politique à l’égard des réfugiés juifs aux États-Unis.
L’intervention du président a tellement scandalisé le secrétaire d’État adjoint, Breckinridge Long qu’il intensifie ses efforts pour mettre un terme à l’immigration. Il envoie un message à Roosevelt, disant « Des indésirables arrivent dans le pays. Nous devons fermer nos frontières ». Le président accepte, et à partir du milieu de l’année 1941 aucun réfugié de guerre n’est autorisé à entrer sur le sol américain.
« Parce que les réfugiés [à bord du Quanza ont été] acceptés sur le territoire, il est devenu plus compliqué pour les autres réfugiés venus après de l’être aussi », commente en introduction de la projection Stephen Morewitz, petit-fils des Morewitz et auteur de « Discovering the Hidden Steamship Quanza Holocaust Story in 1989 » [Découvrir en 1989 l’histoire cachée du navire Quanza de la Shoah].
Savoir que les États-Unis ont refusé à de nombreux réfugiés d’entrer sur son sol après eux a beaucoup pesé à certains passagers du Quanza. Jusqu’à sa mort à l’âge de 97 ans, Wolf Rand est resté hanté par cette expérience, confie sa fille, Kathleen Rand.
« Toute sa vie, il s’est senti immensément coupable d’avoir survécu. J’ai essayé de lui décrocher des récits, mais il ne voulait pas en parler, c’était un homme très discret », explique-t-elle.
L’histoire du Quanza demeure néanmoins un rappel tombant à point nommé que les individus peuvent changer les choses, estime Jason Guberman, directeur de la Fédération séfarade américaine.
« Nous ne devrions pas regarder uniquement le visage sanglant de l’histoire et ne s’intéresser qu’à ceux qui n’ont pas aidé ; nous devrions plutôt nous pencher sur ceux qui étaient courageux et ont réussi, comme Eleanor Roosevelt », recommande-t-il.
Pour le Dr. Olivia Mattis, présidente de la Fondation Sousa Mendes, raconter l’histoire du Quanza est vitale, parce qu’il y a des similarités entre la politique migratoire de l’époque et celle d’aujourd’hui.
Le documentaire révèle que cet incident s’est produit à un moment où les slogans « L’Amérique d’abord » prévalaient, où l’homme d’Église pro-fasciste et antisémite Charles Coughlin comptait de nombreux adeptes et où le Département d’État américain appliquait un système de quotas strict concernant le nombre de réfugiés autorisés sur son territoire.
À cette époque, pas moins de 60 projets de loi anti-immigration et anti-réfugiés avaient été déposés devant le Congrès, rappelle Blanche Wiesen-Cook.

L’administration du président Donald Trump a décidé d’empêcher la plupart des migrants d’Amérique centrale de demander l’asile aux États-Unis, revenant sur des décennies de politique américaine. La Maison Blanche envisagerait également de n’admettre aucun réfugié sur son sol en 2020, d’après des informations rapportées récemment. Voilà pourquoi ce film ne pourrait pas mieux tomber, souligne Olivia Mattis.
« À de nombreux égards, cette histoire est tristement pertinente aujourd’hui », déplore-t-elle.
Le film se conclut d’ailleurs sur des jeunes gens évoquant la crise des réfugiés actuelle. Des applaudissements émergeaient du public à chaque fois que l’un d’entre eux disait que le gouvernement devrait faire tout son possible pour aider les réfugiés.
« Nous devons aller dans la rue et protester. Quand nous voyons les réfugiés là-bas, nous devons protester et faire quelque chose. Voilà le véritable enseignement à tirer de ce documentaire », conclut sa réalisatrice.
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