Depuis l’Australie, un centenaire, survivant du soulèvement du ghetto de Varsovie, livre ses souvenirs
Ils seraient 35 000 survivants de la Shoah à s'être installés en Australie. Berysz Aurbach est l'un des rares témoins directs de la révolte contre l'oppresseur nazi en 1943, le jour de Pessah

MELBOURNE, Australie – Du haut de ses 104 ans, Berysz Aurbach est l’un des derniers Juifs survivants témoins du soulèvement du ghetto de Varsovie. Sorti clandestinement juste avant le début de l’insurrection, le jour de Pessah, en 1943, Aurbach se rappelle très bien l’odeur âcre du ghetto en proie aux flammes lorsqu’il en parle depuis Caulfield, une tranquille banlieue de Melbourne, en Australie.
La mémoire d’Aurbach reste très vive, malgré les années. Né à Biala Podlaska, en Pologne, dans une famille de la classe moyenne très proche du grand rabbin de la dynastie hassidique Gerrer, il perd sa mère à l’âge de 3 mois.
« Je pourrais parler six mois durant sans vous dire tout ce que je veux vous dire », confie Aurbach au Times of Israel en repensant à ces moments décisifs pour sa survie.
Il a eu trois frères aînés et une sœur ainsi que, plus tard, un demi-frère issu du remariage de son père. Sa jeunesse s’est passée sans encombres au sein de cette famille considérée comme appartenant à la classe moyenne supérieure. Il se souvient encore, mot pour mot, des prières et versets de la Torah appris dans son école religieuse en Pologne.
Lorsque la Seconde Guerre mondiale éclate, Aurbach n’a alors que 19 ans. Au sein du ghetto de Varsovie, il travaille dans une usine, cerné par la mort et le désespoir. On estime à 90 000 le nombre des Juifs du ghetto morts de faim ou de maladie et à 300 000 celui des déportés dans des camps d’extermination. Des milliers d’autres ont été tués lors du soulèvement d’avril 1943, lorsque les nazis ont incendié des bâtiments et réduit le ghetto en cendres.
Juste avant le soulèvement, le frère aîné d’Aurbach, Mordechai, qui faisait partie de la résistance clandestine et était membre du mouvement de jeunesse sioniste HaNoar Hatzioni, organise son évasion en lui obtenant de faux papiers et un uniforme de la police polonaise. Aurbach sort du ghetto sans se faire repérer.

« En compagnie d’autres dirigeants du ghetto, mon frère aîné Mordechai est allé voir des gens riches de Varsovie pour obtenir de l’argent et acheter des armes. Ce qu’ils ont fait, une fois que mon frère les a convaincus de financer la résistance au sein du ghetto », explique-t-il.
Hors du ghetto, Aurbach passera le reste de la guerre caché dans des refuges tenus par la résistance polonaise. Il n’a pas oublié les horreurs qu’il a vues. Son père et ses frères n’ont pas eu cette chance.
« Mon frère avait trouvé un logement… Mais pas pour [le reste de la famille]. Il n’avait pas le dernier mot, c’était un comité. Après moult discussions, ils ont réussi à me trouver un endroit, [puis] le comité a décrété qu’ils en avaient trop fait pour mon frère », poursuit-il.
Mordechai survit au soulèvement initial du ghetto avant d’être trahi par des informateurs polonais et exécuté par la Gestapo.

« Je ne sais pas où il est enterré », confie Aurbach. Une photo de Mordechai trône en bonne place sur la cheminée, dans la maison d’Aurbach.
Trouver refuge très loin, en Australie
Après la guerre, Aurbach n’a plus qu’une sœur, Esther, émigrée avant la guerre vers ce qui était alors la Palestine sous mandat britannique. Aurbach décide de s’installer en Australie, comme les quelque 35 000 survivants de la Shoah qui s’y sont installés dans les années 1960. Parmi eux, 2 000 viennent de Varsovie. Il continue de vivre dans la même maison qu’il occupe depuis des décennies, avec son fils Moshe.
« L’Australie voulait des immigrants. J’avais un oncle en Australie, alors je suis venu », explique Aurbach.

Selon le Dr Simon Holloway, responsable des programmes communautaires et d’entreprises au Musée de la Shoah de Melbourne, même s’il n’existe pas de liste complète de ceux qui ont assisté au soulèvement du ghetto de Varsovie, « Berysz Aurbach en fait assurément partie dans la mesure où il se cachait côté aryen ».
Les archives du musée de la Shoah de Melbourne ne renferment que 43 témoignages de première main du soulèvement du ghetto de Varsovie. La Fondation USC Shoah n’en répertorie que 13. Petit à petit, des voix comme celle d’Aurbach se font rares.
Melbourne est devenue une destination de choix pour les survivants de la Shoah, aidée en cela par les précédentes vagues de migration juive polonaise suite à la Première Guerre mondiale.
« Certains y avaient déjà créé des organisations juives et parlaient
yiddish », explique Holloway. « Ils voulaient aider leurs parents survivants à partir le plus loin possible d’Europe. »

Sauf si l’on avait de la famille à Sydney, Melbourne était la destination préférée entre toutes, avec sa forte communauté de langue polonaise et yiddish.
L’histoire d’Aurbach fait l’objet d’une exposition du Musée de la Shoah de Melbourne axée sur la vie des survivants du ghetto de Varsovie.
On peut y lire son histoire aux côtés de documents provenant des archives d’Oneg Shabbat, projet secret mené par l’historien Emanuel Ringelblum depuis le ghetto. Enfouies dans des bidons de lait et des boîtes en fer-blanc, les archives documentent la vie quotidienne sous l’occupation nazie. Journaux intimes, essais et témoignages ont été cachés pour s’assurer que les générations futures sachent ce qui s’était passé.
En donnant ainsi la parole à Aurbach, le musée fait en sorte que son histoire s’inscrive dans un récit plus vaste, mélange de résistance et de souvenir.

La femme d’Aurbach, Tova, est décédée il y a de cela des années mais ses trois enfants et quatre petits-enfants vivent près de chez lui. Lorsqu’il se sent bien, il se rend dans sa synagogue préférée, Caulfield Bet Midrash, dont il a été président pendant de nombreuses années.
« Mon père est reconnaissant d’avoir une famille et une tête qui fonctionne toujours bien », indique son fils Moshe.
À la veille de Yom HaShoah, la Journée nationale de commémoration de la Shoah en Israël, Aurbach ne se départit pas de son sens de l’humour ni de son optimisme. Tout en se disant inquiet du regain d’antisémitisme en Australie, il se dit reconnaissant envers le pays qui lui a donné une seconde chance.
« Je crois que la plupart des Australiens ne sont pas antisémites », conclut-il. « Ils sont meshuggah [fous] dès que l’on parle football. Mais personnellement, je ne crois pas qu’ils pensent beaucoup à l’antisémitisme. »
... alors c’est le moment d'agir. Le Times of Israel est attaché à l’existence d’un Israël juif et démocratique, et le journalisme indépendant est l’une des meilleures garanties de ces valeurs démocratiques. Si, pour vous aussi, ces valeurs ont de l’importance, alors aidez-nous en rejoignant la communauté du Times of Israël.

Nous sommes ravis que vous ayez lu X articles du Times of Israël le mois dernier.
C'est pour cette raison que nous avons créé le Times of Israel, il y a de cela onze ans (neuf ans pour la version française) : offrir à des lecteurs avertis comme vous une information unique sur Israël et le monde juif.
Nous avons aujourd’hui une faveur à vous demander. Contrairement à d'autres organes de presse, notre site Internet est accessible à tous. Mais le travail de journalisme que nous faisons a un prix, aussi nous demandons aux lecteurs attachés à notre travail de nous soutenir en rejoignant la communauté du ToI.
Avec le montant de votre choix, vous pouvez nous aider à fournir un journalisme de qualité tout en bénéficiant d’une lecture du Times of Israël sans publicités.
Merci à vous,
David Horovitz, rédacteur en chef et fondateur du Times of Israel