En Irak, l’exil amer des jeunes Kurdes d’Iran ayant fui la répression Erbil
La répression des manifestations en Iran a provoqué un afflux vers l'Irak, mais difficile de chiffrer ces arrivées
Serveuse au Kurdistan d’Irak, Sarina fait profil bas. Dans une autre vie, cette jeune femme kurde manifestait en Iran contre la mort en détention de Mahsa Amini, mais la répression implacable ne lui a laissé d’autre choix que celui de l’exil.
Depuis plusieurs mois, Sarina, 17 ans, vit à Erbil, capitale de la région autonome du Kurdistan, dans le nord de l’Irak, qui partage avec l’Iran une longue frontière poreuse. Le matin, elle sert le thé dans une agence immobilière, le soir elle est serveuse dans un restaurant, de quoi gagner 800 dollars pour son loyer et les dépenses du quotidien.
« Ma famille est inquiète pour moi », confie-t-elle, s’abstenant de donner son nom de famille par mesure de sécurité. Mais « elle est contrainte d’accepter ma présence ici ».
En septembre 2022, de passage chez sa mère à Mahabad, ville kurde du nord-ouest de l’Iran, elle apprenait comme le monde entier la mort de Mahsa Amini, jeune Kurde arrêtée par la police qui lui reprochait d’avoir enfreint le code vestimentaire strict imposé aux femmes, comme le port du voile.
L’adolescente rejoint alors les manifestations à Mahabad, bravant la répression sanglante. De retour dans sa ville d’Oshnavieh, elle reste mobilisée. Mais quand un ami est arrêté, elle bascule dans la clandestinité.
« Au début, je pensais rester deux jours loin de la maison : si les forces de sécurité ne venaient pas, ça signifiait que je ne risquais rien », se souvient-elle. Mais les forces de l’ordre font irruption chez elle et son oncle est arrêté.
Sarina n’a plus le choix : elle franchit en octobre la frontière, et arrive au Kurdistan d’Irak, où vivent de nombreux Kurdes iraniens.
Peur d’être reconnue
Craignant d’être reconnue à Erbil, elle porte encore un masque anti-Covid. Mais elle ne veut pas partir plus loin.
« S’il se passe quelque chose [en Iran], je veux pouvoir rentrer rapidement », dit-elle.
La répression des manifestations en Iran a provoqué un afflux vers l’Irak, mais difficile de chiffrer ces arrivées.
Les liens entre Kurdistan d’Irak et Kurdistan d’Iran voisins sont étroits : des deux côtés de la frontière, on parle le même dialecte et nombreux sont ceux qui comptent des parents dans les deux pays.
Certains viennent travailler dans le nord de l’Irak, fuyant les difficultés économiques en Iran, visé par des sanctions américaines.
C’est aussi au Kurdistan d’Irak que sont implantés depuis des décennies les groupes armés de l’opposition kurde iranienne. L’Iran a d’ailleurs bombardé plusieurs fois leurs positions, les accusant d’être impliqués dans les manifestations, et a demandé à l’Irak de renforcer la sécurité à la frontière.
Mi-juillet, un commandant militaire iranien a brandi la menace d’une reprise des bombardements, si l’Irak ne désarmait pas ces groupes d’ici septembre.
Originaire de la ville kurde de Piranshahr (au nord-ouest de l’Iran), Fouad est arrivé en janvier à Erbil, après avoir franchi les montagnes enneigées à la frontière.
L’architecte de 27 ans qui préfère utiliser un pseudonyme vend désormais des ordinateurs portables dans un magasin d’informatique. Son patron le laisse dormir sur un matelas dans la réserve.
« Vie sans but »
« Les jours et les nuits se succèdent et je vis une vie sans but », déplore-t-il. « J’ai laissé tout ce que j’avais en Iran : mes parents, ma maison, mon travail. »
Lui aussi a manifesté en Iran. Quand le frère d’un ami est arrêté, c’est le début de 40 jours de cavale. « Les forces de sécurité ont débarqué à la maison », assure-t-il.
Il porte sur ses frêles épaules le poids de l’inquiétude familiale. « Quand ma mère appelle, elle a les larmes aux yeux. Mon père aussi ». Mais il ne se voit pas rentrer en Iran.
« Je ne m’y sentirais pas en sécurité, je pourrais être arrêté. »
Quelque 10 500 Iraniens sont installés au Kurdistan d’Irak, certains depuis des années, selon le gouvernement régional. Parmi eux, le pâtissier Rizgar Khasraw, à Erbil depuis plus de dix ans avec sa famille.
Originaire de la ville kurde de Mariwan (à l’ouest de l’Iran), il a soutenu les manifestations dans son pays.
Le quadragénaire a même donné à son deuxième magasin le nom de Mahsa Amini, faisant figurer sur l’enseigne un portrait de la jeune femme, souriante, fleur dans les cheveux.
« Elle est un symbole de liberté », confie-t-il.