Le réalisateur de « Golda » parle de son film sur des athlètes iraniennes rebelles
Guy Nattiv évoque "Tatami", un film qui parle des pressions anti-israéliennes exercées sur les judokas iraniennes, et blâme le climat politique pour le semi-échec de "Golda"
Le réalisateur Guy Nattiv, qui a été distingué par l’académie des Oscars en 2018 pour le redoutable et très juste « Skin« , avait commencé à s’intéresser aux athlètes iraniennes qui se rebellaient contre le régime des Mollahs il y a déjà plusieurs années.
Il avait ainsi suivi avec beaucoup d’attention le parcours de la championne du monde de taekwondo Kimia Alizadeh, qui s’était enfuie en Allemagne au mois de janvier 2020. Il s’était penché sur l’histoire de la boxeuse Sadaf Khadem, exilée en France depuis 2019, sur celle de la championne olympique Atefeh Ahmadi, qui avait abandonné son pays natal et demandé l’asile en Allemagne.
Il y en avait eu d’autres.
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Ce sont toutes ces femmes qui ont inspiré le nouveau film de Nattiv, « Tatami », qui est consacré à l’histoire d’une judoka iranienne qui reçoit de sa coach l’instruction de simuler une blessure pour ne pas avoir à affronter une concurrente israélienne, ce qui la rendrait coupable, aux yeux des Ayatollahs, de trahison à l’égard de la république islamique.
Nattiv avait d’abord suggéré un court-métrage au sujet des athlètes iraniennes au studio de production israélien Keshet International – et ce dernier avait préféré proposer de réaliser un long-métrage. Le résultat en est un thriller politique brut, émouvant, qui a des choses en commun avec « Skin », son court-métrage abordant la question du racisme aux États-Unis.
« Tatami » est un hommage rendu à ces femmes, dit Nattiv lors d’un entretien accordé au Times of Israel. C’est un film sur le pouvoir des Iraniennes, un film qui a tiré son inspiration des athlètes placées dans l’obligation de porter le hijab.
« Tatami » – c’est le tapis traditionnel japonais qui est utilisé dans les tournois de judo – suit une seule nuit des vies de la judoka Leila Hosseini (interprétée par Arienne Mandi, une ressortissante irano-chilienne) et de sa coach, Maryam Ghanbari (Zar Amir Ebrahimi).
Leila a enregistré une série de victoires aux championnats du monde organisés à Tbilisi, en Géorgie, quand Maryam est contactée par les autorités iraniennes qui la somment de renoncer à sa course vers la médaille d’Or. Elle demande à Leila de simuler une blessure pour ne pas avoir à rencontrer sa concurrente israélienne sur le tatami.
« Leila dit : ‘Et alors ? On veut l’or, nous’, » raconte Nattiv au cours d’une interview téléphonique accordée depuis son domicile, à Los Angeles. Le film, qui a été tourné en noir et blanc, se penche sur les tensions qui se renforcent entre coach et athlète. Il comprend des scènes qui montrent des interactions entre les judokas iranienne et israélienne, tout en soulignant le bonheur et la fierté de la famille de la jeune championne, en Iran.
Le film a été réalisé pendant l’automne 2022 à Tbilisi – la ville a été choisie pour sa proximité avec l’Iran et avec Israël. Ebrahimi, qui a remporté le prix de la Meilleure actrice à Cannes, en 2022, pour son rôle dans « Les Nuits de Mashhad », a co-réalisé « Tatami » avec Nattiv – une demande que ce dernier avait soumise avant même leur première rencontre.
« Je voulais qu’elle réalise le film à mes côtés et qu’elle associe sa voix à la mienne », dit Nattiv. « Je suis Israélien, je suis originaire du Moyen-Orient mais je ne pouvais pas diriger seul des acteurs iraniens. Cela n’avait pas de sens ».
L’intégration dans l’équipe d’Elham Erfani, un scénariste iranien, a permis d’offrir encore plus de consistance au script, continue Nattiv. Justina, une rappeuse iranienne, a apporté trois de ses titres à la bande-originale du film.
« C’est ainsi que tout à coup, nous sommes devenus cette mishpocha [famille] d’exilés iraniens et d’Israéliens vivant hors des frontières d’Israël », raconte-t-il. « Cette énergie était là – on aimait la même cuisine, on aimait la même musique, les mêmes plaisanteries. C’était comme un dîner de famille, on se sentait bien ».
Toute l’équipe du tournage, techniciens et acteurs, ont vécu à l’hôtel à Tbilisi pendant plusieurs mois, s’exprimant en anglais pour ne pas attirer l’attention. Ils avaient donné un nom de code pour parler du film, « le projet judo ».
Avec le financement de Keshet International et grâce aussi à des capitaux privés, l’équipe de Nattiv a pu louer un stade de Tbilisi pendant trois semaines « et ficher le camp », dit le réalisateur. L’entraîneur de l’équipe géorgienne de judo est resté en permanence sur le plateau et le tournage s’est achevé en 24 jours.
Après le tournage, Moshe Edry, producteur de « Tatami », a été en capacité d’aider Ebrahimi, qui vit à Paris, à obtenir le droit de venir en Israël pour travailler sur le montage avec Nattiv.
« Elle était là en train de boire un café avec moi à Tel Aviv », s’amuse Nattiv.
« Elle disait qu’elle se sentait bien », se souvient-il, mais que l’expérience avait également été étrange pour elle dans la mesure où elle avait grandi en Iran où elle marchait tous les matins sur les drapeaux israélien et américain à l’entrée de l’école.
« Ce n’est pas facile d’être un artiste israélien en ce moment »
Lors du festival du film de Venise, début septembre, « Tatami » a été salué par une standing ovation et le film, jusqu’à présent, a été vendu à huit pays. Il figure aussi au programme de nombreux festivals, indique Nattiv, qui précise être encore dans l’attente de nouvelles de festivals internationaux de cinéma de premier plan.
« C’est très différent de ‘Golda’, » fait remarquer Nattiv, faisant référence à son long-métrage le plus récent, un biopic historique avec en tête d’affiche Helen Mirren. « Golda » est encore aujourd’hui projeté dans des salles du monde entier.
Si le film consacré à la première Première ministre de toute l’histoire d’Israël avait fortement retenu l’attention, il n’a pas réellement décollé dans les salles, avec des recettes de 4,4 millions de dollars seulement dans le monde entier et des critiques mitigées – que Nattiv attribue aux critiques d’Israël en général.
« Quand j’ai rencontré Helen Mirren en 2019, elle m’a dit que Golda était un sujet très controversé et j’ai répondu : ‘Quoi, mais c’est Golda, quand même !’. Elle m’a alors dit : ‘Vous verrez, ça fera beaucoup de vagues’. Je comprends maintenant », explique Nattiv. « Quand on se saisit du sujet d’une femme, d’une dirigeante si complexe, ça entraîne de nombreuses réactions qui sont bonnes et mauvaises ».
Les Juifs américains adorent Golda Meir, note Nattiv, alors que les Israéliens sont divisés. Certains la considèrent comme la pire Première ministre de l’histoire d’Israël et d’autres ont remercié Nattiv pour « son beau geste » à l’égard de cette personnalité emblématique.
« Les non-Juifs ont le sentiment qu’Israël est devenu un pays extrémiste et ils ont le sentiment que ‘Golda’ représente le sionisme – ce sionisme qui, aujourd’hui, est une problématique compliquée », poursuit Nattiv, qui vit aujourd’hui avec sa famille à Los Angeles où il s’est installé il y a environ dix ans. « Ce n’est pas facile d’être un artiste israélien en ce moment ».
Nattiv ne regrette absolument pas d’avoir réalisé « Golda », ce qui lui a donné la chance de travailler avec Mirren, « la meilleure actrice du monde ».
Il souligne que « Golda » a fait cinq millions de dollars de recettes dans le mois qui a suivi sa sortie, « ce qui n’est pas mal pour un film indépendant, » et que 200 000 personnes sont allées voir le film en Israël, ce qui est une performance digne. Le long-métrage sortira en Europe et dans le reste du monde au mois d’octobre.
Le film était assorti d’un budget de 80 millions de dollars quand Nattiv avait été embauché comme réalisateur et il comprenait initialement des scènes de guerre nombreuses et coûteuses. Mais le budget avait été réduit avec la pandémie de COVID-19 qui s’était abattue sur le monde.
Nattiv aura finalement choisi de transformer Golda « en film très claustrophobe », explique-t-il, avec ses images de longs couloirs obscurs, le bruit inquiétant du briquet de Golda allumant l’une de ses nombreuses cigarettes, la Première ministre marchant le long d’un corridor ou observant une nuée d’oiseaux se dispersant dans le ciel.
Les critiques du film, aux États-Unis, « ont porté un coup », indique-t-il, « mais heureusement, j’ai ‘Tatami’ dont j’ai moi-même écrit le script. J’ai donné au film beaucoup de cœur, beaucoup d’âme et c’est merveilleux parce qu’il s’agit d’une rare combinaison d’ennemis qui sont devenus des amis ».
Le prochain projet de Nattiv est « Harmonia », un film qui évoque sa grand-mère, une survivante de la Shoah, qui était parvenue à sortir d’une grave dépression à l’âge mûr avec l’aide d’un danseur du ventre qui s’avérait être un gourou, éloignant sa grand-mère de sa famille et de ses proches.
Le film suit la mère et la tante de Nattiv alors que les deux femmes tentent d’extraire la grand-mère de la sphère d’influence du groupe, qui devait finalement partir pour la Virginie, y établissant un ashram dans une communauté existante connue sous le nom de Yogaville.
« Ma mère me dit : ‘Guychik, fais un beau film, un film romantique' », s’amuse Nattiv, qui interrompt brièvement notre entretien téléphonique pour prendre un appel de sa mère. « Je lui dis : Maman, je suis comme ça. J’aime choisir des sujets difficiles parce que ce sont ceux qui étaient au cœur des films que j’ai regardés en grandissant et que c’est ça que je veux faire ».
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