Le rôle central d’un espion juif britannique dans une mission française révélé
Wolf Fisher, agent des renseignements britanniques d'origine polonaise, avait recruté 2 femmes pour surveiller la marine et l'aviation militaire françaises - avant de disparaître

LONDRES — Juste une semaine après la signature du traité de Locarno – un pacte de paix conclu entre l’Allemagne, la Belgique, la France, la Grande-Bretagne et l’Italie – à Londres, en 1925, la police secrète française avait démantelé avec grand bruit une cellule d’espionnage britannique au coeur même de Paris et qui était chargée de voler ses secrets militaires au pays.
William « Wolf » Fisher figurait parmi ces espions. Les détails de son rôle dans cette affaire sont restés dissimulés dans les archives britanniques pendant presque un siècle – jusqu’à aujourd’hui (Révélation : L’auteur de cet article est un parent de Fisher et a grandi en entendant les récits trépidants de sa vie).
Le 8 décembre 1925, la police secrète française avait arrêté trois ressortissants britanniques, John Leather, Oliver Phillips et Fisher, ainsi que deux citoyennes françaises. Les Britanniques avaient été accusés d’avoir recruté les deux femmes pour espionner différentes installations navales appartenant à l’aviation militaire – et ils devaient ultérieurement en être reconnus coupables par les magistrats.
En public, le gouvernement britannique avait nié avoir eu connaissance de l’existence de cette cellule. En privé, l’ambassadeur britannique en France, Robert Crewe-Milnes, avait écrit que les preuves attestant de la mission d’espionnage des trois hommes en faveur de Londres étaient « absolument accablantes ».

La cellule s’était effondrée lorsque l’une de ses complices françaises, Marthe Moreuil, avait été arrêtée et qu’elle avait reconnu son rôle dans la transmission d’informations secrètes à la Grande-Bretagne.
Moreuil avait infiltré les bases des forces aériennes et navales, allant jusqu’à se former au parachutisme pour y pénétrer. Il avait également été établi devant les juges que Moreuil était devenue l’amante de Fisher. La presse l’avait surnommée « Mademoiselle Foxtrot », affirmant qu’elle faisait sortir les documents secrets des bases françaises en les glissant dans son corset.
L’arrestation de Moreuil avait été narrée dans le Daily Express britannique, qui l’avait qualifiée de « réussite la plus sensationnelle des services secrets français depuis la capture de Mata Hari ».
Les trois Britanniques avaient nié les accusations lancées à leur encontre – en vain. Les démentis apportés par Leather avaient été tournés en dérision en raison du rang et de la position qu’il occupait au sein des services de renseignements de Sa Majesté et qui avaient été rendus publics dans les journaux anglais, l’année de son arrestation.
Le New York Times, pour sa part, avait eu peu de doutes sur la raison de ces missions d’espionnage menées par les Britanniques en France, publiant l’analyse suivante dans un article paru le 14 novembre 1926 :
« La France possède une puissance aérienne constituée de plus de 5 500 avions, à laquelle on peut opposer ces 1 000 étranges engins de guerre exploités par les Anglais. De plus, à l’exception de certains escadrons qui se trouvent en Syrie et au Maroc, ces forces françaises sont concentrées sur le territoire français d’où elles peuvent menacer l’Angleterre, tandis que les forces britanniques sont dispersées – présentes en Palestine, en Transjordanie, en Egypte et en Irak – et, de surcroît, celles qui sont chargées de la défense nationale sont divisées entre l’armée et la marine. Les plans de l’aviation française sont donc d’un intérêt considérable pour les Anglais ».
L’auteur britannique Michael Smith, spécialiste de l’espionnage et professeur émérite à Oxford, déclare au Times of Israel que la France a tenté d’exploiter la situation « à son maximum ».
L’objectif poursuivi par les Français, ajoute Smith, a été « d’humilier » les Britanniques en exploitant « l’angle sexuel et la stupidité manifeste visant à prétendre qu’un officier des renseignements militaires en service, lié à un éminent membre du MI6, ne participait pas à une opération de renseignements ».

Smith écrit dans son livre, « Six: The Real James Bonds, », que le Foreign Office britannique avait ensuite conclu un « accord entre gentlemen » avec son homologue français, spécifiant qu’aucun des deux pays n’espionnerait plus l’autre à l’avenir.
Mais, ajoute-t-il, « le M16 devait continuer à collecter des informations sur la France lorsque cela s’était avéré nécessaire malgré ce qu’avait dit, à l’époque, le Foreign Office pour rassurer les Français ».
L’affaire avait été évoquée à deux reprises à la Chambre des communes après la condamnation à la prison des espions britanniques, au mois de mai 1926. Des retranscriptions parlementaires qui ont été transmises au Times of Israel révèlent que des députés avaient mis en doute les affirmations du gouvernement, qui avait répété à de multiples reprises ne pas entretenir de lien avec les trois accusés.
Le législateur Travailliste Ernest Thurtle avait notamment accusé le secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères Austen Chamberlain de « mensonge diplomatique » dans ses dénégations de l’implication du gouvernement de Londres dans cette mission de renseignements.
Thurtle avait été sommé de quitter la chambre des débats après avoir utilisé cette formule.
Si Smith affirme que la mission d’espionnage présumée avait été menée avec un « amateurisme total », ce n’est pas le point de vue de Phil Tommaselli, historien militaire. Le livre écrit par ce dernier, « How to Trace Your Secret Service Ancestors », fait référence à cette affaire.
« Au cours du procès, l’ambassade fait remonter l’information au Foreign Office que le dossier est réel, qu’il semble qu’il y ait eu une tentative véritable – non seulement de corrompre des officiers français mais aussi d’obtenir des informations de la part d’officier français en utilisant des appâts et autres supercheries de ce type », raconte Tommaselli au Times of Israel.
Pour son rôle dans le complot, Fisher avait été condamné à deux ans d’emprisonnement, ainsi qu’Oliver Phillips. John Leather, leur supérieur, avait écopé d’une peine de trois ans de prison.

Tandis que les registres officiels montrent qu’il y avait eu une correspondance intense entre le Foreign Office et les familles de Leather et Phillips, il y a peu de documents consacrés à Fisher – sinon des notes écrites à la main qui décrivent ce dernier comme étant un homme « déplaisant », voire une « fripouille ». Il est même écrit que l’espion malheureux était « en cours de négociation avec les Allemands pour se mettre à leur service et pour leur transmettre des informations ».
Le rôle tenu par Fisher – et une grande partie de ses antécédents – restent encore flous à ce jour.
Dans un article, le Times of London n’avait fait référence à Fisher qu’en évoquant « un Juif polonais naturalisé », tandis que le Daily Express l’avait qualifié « d’homme mystérieux de l’affaire », affirmant que Moreuil ne le connaissait que sous le nom de « monsieur Jean ».
Une photo de cet espion d’origine polonaise, né à Lodz, est exposée dans le livre du tableau d’honneur de la communauté juive – un ouvrage mettant en lumière les réussites et les sacrifices consentis par les Juifs britanniques pendant la Première guerre mondiale. Le cliché date du début de la guerre, lorsque Fischer servait comme simple soldat dans le régiment du Middlesex.
Les registres des archives nationales britanniques indiquent qu’il avait reçu la médaille militaire au mois de juin 2016 pour sa « bravoure et sa dévotion au service sous les tirs ennemis dans la bataille ».
Des documents figurant au Musée des services de renseignement révèlent que Fisher avait servi « dans les 1er, 17è et 23è Bataillons du régiment du Middlesex » et qu’il avait été « déployé en France pour la première fois le 2 mai 1915 ».
L’historienne Helen Carter, spécialiste de l’armée britannique – qui a fourni les documents au Times of Israel – estime qu’il « a dû clairement se distinguer pour devenir sergent-chef, en particulier parce qu’il était un Polonais arrivé récemment en Angleterre. Il avait été libéré des [services de renseignement] des Royal Fusiliers le 30 avril 1922 ».
En 1927, Fisher avait semblé disparaître des registres officiels. Le dernier document mentionnant son nom détaille sa libération de prison, aux côtés d’Oliver Phillips. S’il fait remarquer que Phillips se trouvait à ce moment-là à Calais et qu’il avait l’intention de revenir au Royaume-Uni, l’auteur de la note reconnaît être « dans l’incapacité de définir les déplacements de Fischer [sic].”
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