Les tensions entre les USA et deux alliés-clés ternissent les 70 ans de l’Otan
L'Allemagne est accusée de poursuivre le projet de gazoduc controversé avec la Russie ; Ankara a entrepris d'acheter, en même temps, des S-400 russes et des F-35 américains
Les tensions entre les Etats-Unis et deux alliés-clés, l’Allemagne et la Turquie, ont jeté un froid mercredi sur les festivités du 70e anniversaire de l’Otan, malgré les appels à « l’unité » face à la « menace » russe.
Tout avait pourtant bien commencé.
Alors que certains redoutaient qu’il joue les trouble-fêtes après n’avoir eu de cesse de bousculer l’Otan pour instaurer un « partage du fardeau plus juste », Donald Trump avait accordé mardi un satisfecit inédit aux Alliés pour leur effort financier – dont le président des Etats-Unis s’est, certes, attribué le mérite.
C’est finalement son vice-président, Mike Pence, qui a haussé le ton mercredi, au moment où les ministres des Affaires étrangères des 29 pays de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord se réunissaient pour deux jours à Washington.
Première visée : l’Allemagne, accusée de poursuivre le projet de gazoduc controversé Nord Stream 2 avec la Russie et de ne pas respecter l’objectif d’un budget de défense à 2 % du produit intérieur brut (PIB) à l’horizon 2024.
« Il est tout simplement inacceptable que la première économie européenne continue d’ignorer la menace d’agression russe et néglige sa propre défense et notre défense commune », a lancé Mike Pence. « L’Allemagne doit faire plus. »
Tout en promettant d’augmenter les dépenses militaires à 1,5 % du PIB en 2024, le chef de la diplomatie allemande Heiko Maas a critiqué une vision comptable, alors que l’Otan est « avant tout une alliance de valeurs. »
« Ceux qui parlent de partage du fardeau doivent regarder tout le spectre des ressources, moyens et contributions, » a-t-il plaidé, évoquant la « solidarité avec nos amis Américains » après les attentats du 11 septembre et l’apport allemand à l’opération alliée en Afghanistan.
S-400 ou F-35 ?
Entre les Etats-Unis et la Turquie, c’est à première vue une bataille de sigles obscurs qui se joue : Ankara a entrepris d’acheter, en même temps, des S-400 russes et des F-35 américains, ce qui ne plaît pas du tout à Washington.
Mais l’enjeu est stratégique. Les S-400 sont un système antimissiles russe, ce qui est en soi un affront dans une alliance née pour contrer l’Union soviétique. Surtout, les Américains redoutent qu’il ne perce les secrets technologiques de leurs F-35, des avions de chasse ultrasophistiqués.
L’administration Trump a donc suspendu cette semaine la livraison d’équipements liés à ses avions au gouvernement turc, « en attendant » qu’il renonce « sans équivoque » aux S-400.
« Nous ne reviendrons pas en arrière, » a riposté le chef de la diplomatie turque Mevlut Cavusoglu.
Pour Mike Pence, « la Turquie doit choisir : veut-elle rester un partenaire crucial de la meilleure alliance militaire de l’histoire, ou mettre en péril la sécurité de ce partenariat par des décisions irréfléchies qui sapent notre alliance ? »
Réponse immédiate du vice-président turc Fuat Oktay sur Twitter. « Les Etats-Unis doivent choisir : veulent-ils rester l’allié de la Turquie, ou mettre en péril notre amitié en faisant front commun avec des terroristes qui sapent la défense de son allié ? », a-t-il interrogé dans une allusion au partenariat américain avec les forces kurdes en Syrie.
La rencontre à Washington entre Mevlut Cavusoglu et son homologue américain Mike Pompeo n’a semble-t-il pas permis d’apaiser les tensions. Selon le compte-rendu de la diplomatie américaine, le secrétaire d’Etat a mis en garde Ankara contre « les conséquences potentiellement dévastatrices d’une action militaire turque unilatérale » dans le nord-est de la Syrie.
Nouvelle Guerre froide ?
Face à ces divergences, le secrétaire général de l’Otan Jens Stoltenberg a appelé à « préserver l’unité ».
« Nous avons surmonté nos désaccords par le passé et nous devons surmonter nos différences à l’avenir », a-t-il affirmé dans un discours solennel devant le Congrès américain.
Alors que Donald Trump a plus d’une fois douté de l’utilité de l’Alliance, Jens Stoltenberg s’est attiré des standing ovations des parlementaires républicains et démocrates en affirmant que l’Otan était « bonne pour les Etats-Unis », car « il est bon d’avoir des amis ». Et en rappelant la « promesse solennelle » faite le 4 avril 1949 dans la capitale américaine par les douze pays fondateurs : « Un pour tous, tous pour un. »
Les dissensions ont relégué au second plan la « menace » que continue de représenter la Russie aux yeux des Américains et des Européens, mais elle sera prioritaire dès jeudi, avec l’adoption de mesures pour renforcer la surveillance en mer Noire.
« Nous ne voulons pas d’une nouvelle Guerre froide », mais l’Otan n’hésitera pas à assurer sa défense, a martelé Jens Stoltenberg.