Les vols d’eau en Cisjordanie assoiffent Israéliens et Palestiniens
L'Autorité israélienne de l'eau a coupé la canalisation de Shiloh, et se plaint que des Palestiniens forent illégalement les tuyaux, perturbant l'approvisionnement... et tout le monde paye les pots cassés

Pour que sa voix ne soit pas couverte par le vacarme de la citerne d’eau, la directrice de Migdalim Yael Hashash a dû faire monter les décibels. « Nous sommes en 2017, et c’est dans ces conditions que nous recevons de l’eau ! C’est incroyable ! », s’exclame-t-elle, frustrée.
Alors que la chaleur de l’été envahi le pays, l’implantation de Shiloh, dans le nord de la Cisjordanie, fait face à la pénurie d’eau pour la quatrième année consécutive.
La canalisation de Shiloh, qui approvisionne en eau Migdalim mais également les villages palestiniens voisins, a été fermée cette semaine par Mekorot, l’Autorité israélienne de l’eau. Déjà, une semaine auparavant, de faibles quantités atteignaient l’implantation qui surplombe la vallée du Jourdain, et la citerne approvisionnait Migdalim en eau quatre à cinq fois par jour, depuis plusieurs sources de Mekorot, comme cela a été le cas ces dernières années.
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« Je dois régulièrement rappeler aux riverains de limiter la quantité d’eau qu’ils utilisent. Parfois, nous devons leur dire de ne pas se doucher », explique Hashash.
Les 90 familles qui vivent à Migdalim dépendent d’elle pour les mises à jour au fil de la journée sur l’approvisionnement en eau.
« Je passe mon temps à appeler Mekorot pour confirmer que la citerne arrive à temps pour alimenter notre château d’eau », dit-elle.
Quant à l’origine du problème, Hashash ne mâche pas ses mots : « Les arabes des villages voisins, notamment Kusra, volent de l’eau en forant des dizaines de trous dans les canalisations pour les rediriger pour eux-mêmes. »
« À cause des excuses de l’administration civile [l’unité du ministère de la Défense qui gère la Cisjordanie] ces voleurs ne sont jamais interpellés, et je suis contrainte de passer mon temps à m’assurer que les crèches et les jardins d’enfants ont assez de bouteilles d’eau parce que les robinets sont vides », accuse-t-elle.
Hashash rejette furieusement l’idée que ces problèmes sont les conséquences directes de la décision de vivre à 40 kilomètres à l’est de la Ligne verte. « Je ne veux pas parler de politique. C’est des droits de l’Homme dont il est question. Tout le monde mérite d’avoir assez d’eau. Nous ne sommes pas différents des gens qui vivent à Jérusalem, à Tel Aviv ou des Bédouins du Néguev, et nous méritons le même niveau de service. »
Elle a soupiré et hoché la tête en direction de la citerne haletante. « Vous entendez ce bruit ? Ma secrétaire devant mon bureau doit supporter ça sous sa fenêtre. Elle a des maux de tête chroniques maintenant. »
Il faut 40 minutes pour que la citerne se déverse dans le château d’eau, et puisqu’elle ne vient qu’en journée, le bruit perturbe une bonne partie de la journée de travail dans le bureau de la directrice.
« Nous sommes censés fournir des services aux résidents de cette communauté, mais personne ne veut venir ici à cause du bruit et de la pollution de la citerne », déplore-t-elle.

Hashash compare les citernes à un « pansement », et explique que le seul moyen de résoudre le problème serait « d’arrêter ces criminels, chose que l’administration civile est totalement habilitée à faire. »
Elle veut pourtant clarifier et préciser qu’elle n’accuse pas des villages palestiniens entiers, comme la ville voisine de Kusra.
« Ils ne sont pas mes ennemis. Nombre de leurs résidents font leurs courses ici. Mon homme à tout faire vient de Kusra, souligne Hashash. Ils souffrent aussi de ce problème. »
Autre village, même problème.
Il aura suffi de dix minutes de marche depuis Migdalim jusqu’au village palestinien de Kusra pour intégrer les paroles d’Hashash. Le supermarché à l’entrée était achalandé en packs d’eau et près d’une dizaine de personnes faisaient la queue pour en acheter.
Muhammad, le propriétaire de l’épicerie, a affirmé que l’eau avait été coupée quelques jours plus tôt. Mais à l’inverse de Migdalim, il n’y a pas d’approvisionnement par citerne plusieurs fois par jour.
Abed Al Adeem Wada, maire de Kusra, est convaincu qu’aucun de ses résidents n’est à l’origine des vols d’eau. « Il y a des vols mais seulement à Jalud », dit-il, en référence à un autre village palestinien situé entre Shiloh et Migdalim. « Et c’est uniquement parce qu’ils ne sont pas reliés au réseau d’adduction des eaux, et qu’ils n’ont d’autre choix que de voler pour avoir assez à boire. »
Wada s’est moqué de l’affirmation d’Hashash, qui prétendait que les villageois palestiniens volaient de l’eau pour les vergers d’oliviers. « Les oliviers n’ont quasiment pas besoin d’eau pour pousser », souligne-t-il. Wada assure que ce sont les résidents d’implantations qui forent illégalement dans les canalisations pour réorienter l’eau vers leurs vignobles.

« Près de 40 % de nos résidents ont des puits reliés à leur maisons qui les empêchent d’avoir soif durant l’été. Les autres payent des entrepreneurs de leur poche s’ils veulent davantage d’eau », dit-il.
La majeure partie de Kusra est située en zone B, ce qui signifie qu’elle est sous juridiction civile de l’Autorité palestinienne (AP). Pour que ses 7 000 résidents soient approvisionnés en eau, l’AP doit acheter à Mekorot, la société nationale des eaux israéliennes, via l’administration civile de l’armée israélienne.
Mais si Mekorot choisit de fermer la canalisation de Shiloh, comme elle l’a fait la semaine dernière, les résidents palestiniens sont à cours d’options. Wada affirme que l’AP envoie des citernes de temps à autres, mais pas aussi fréquemment qu’à Migdalim. Il a montré du doigt la citerne qui remplissait le château d’eau de l’implantation israélienne et s’interroge : « Pourquoi ne peut-elle pas s’arrêter à Kusra au retour ? »
Le COGAT, dont l’unité d’administration civile supervise l’approvisionnement en eau en Cisjordanie, a expliqué la situation actuelle dans un communiqué très détaillé.
« À la lumière des vols d’eau récurrents sur cette ligne, l’eau n’atteignait pas Migdalim, et par conséquent, le flux d’eau a été interrompu. L’épidémie de vol d’eau est un problème sérieux qui impacte les résidents de Judée et de Samarie, Israéliens et Palestiniens confondus. Depuis le début de l’année 2017, les équipes de l’administration civile ont déconnecté plus de 400 déviations d’eau pirates dans les canalisations », peut-on lire.
Le communiqué se poursuit en décrivant les projets d’une nouvelle canalisation qui contournera les villages palestiniens afin d’éviter les vols dont les Israéliens se plaignent. De plus, le COGAT a indiqué qu’il encouragerait la construction d’une nouvelle infrastructure d’eau pour les résidents de Ramallah et de la région de Shiloh qui les reliera au réseau général de la Cisjordanie
« Nous voudrions souligner que l’activité du Joint Water Committee qui a été établi durant l’accord provisoire a été renouvelé, après cinq ans durant lesquels les Palestiniens ont refusé de promouvoir des projets pour améliorer les infrastructures hydrauliques. »
Le COGAT a indiqué que l’AP était responsable des besoins en eau de ses résidents, notamment pour les villageois de Kusra. « Actuellement, Israël fourni 64 millions de cubes d’eau [par an], soit 33 millions de plus que ce qui a été convenu dans l’accord intermédiaire. »
Le jeu des reproches
Amit Gilut, militant de l’association israélienne de défense des droits de l’Homme B’Tselem, a fait remarquer que selon les accords d’Oslo de 1995, qui ont fondé le Joint Water Committee, « 80 % de l’eau extraite de sources communes aux Israéliens et aux Palestiniens revenaient aux Israéliens, et les 20 % restants étaient allouée aux Palestiniens. » Même si l’allocation aux Palestiniens a augmenté, dit-il, elle est toujours bien inférieure à celle des Israéliens.
« Alors que la plupart des implantations jouissent d’un approvisionnement complet en eau, les Palestiniens ne disposent que d’un quota et doivent payer pour en avoir davantage, affirme Gilutz. Dans la vallée du Jourdain, par exemple, il y a 10 000 résidents. Ils reçoivent la même quantité d’eau que le tiers des 2,5 millions de Palestiniens vivant en Cisjordanie. »
Le porte-parole de Mekorot, Uri Schor, a déclaré que le JWC progressait sur la question de l’eau. Mais il a précisé que la source de la pénurie d’eau réside dans les vols palestiniens, et non pas dans le système général de l’approvisionnement en eau en Cisjordanie.

« En Israël, les voleurs sont dissuadés, parce qu’ils savent qu’ils se feront attraper, mais en Cisjordanie, cette crainte n’existe pas », explique Schor.
Il a rejeté l’affirmation qui accuse les résidents d’implantations de voler de l’eau pour leurs vignobles. « C’est insensé. Ce n’est pas du tout dans leur mentalité de faire ça, dit-il. Le problème est du côté palestinien. »
Le président du conseil régional de Judée et de Samarie a poursuivi : « l’Autorité palestinienne encourage ses citoyens à endommager l’infrastructure parce ce que cela engendre une anarchie que les autorités israéliennes doivent prendre en charge, accuse-t-il. Ces Palestiniens pensent : ‘pourquoi payer pour de l’eau que je peux simplement voler ?’ »
Dagan estime qu’il n’y pas d’alternative à court terme aux citernes à Migdalim, mais a indiqué que son conseil régional est en contact avec des responsables au gouvernement pour prendre en charge les besoins de tous les résidents de Samarie.
La dépendance aux citernes est, selon lui, « embarrassante ».
S’asseoir à table
Dans son bureau de Migdalim, Hashash a exprimé la frustration qu’elle ressent à ne pas être impliquée dans les initiatives qui visent à résoudre le problème.
« Il y a actuellement une réunion avec le vice-ministre de la Défense pour parler de ce problème, et je n’ai pas été conviée. J’ai appris par d’autres que la réunion avait lieu », s’est-elle plaint.
Bien qu’un représentant du conseil régional soit présent à cette réunion, cela n’est pas suffisant. « Quand vous entendez parler de la pénurie d’eau par ceux qui en souffrent, et non pas de la bouche de ceux qui sont au-dessus de ce problème, vous avez une meilleure idée de la lutte quotidienne », dit-elle.

Le vice-ministre de la Défense Eli Ben Dahan a déclaré plus tard reconnaître la frustration d’Hashash, mais a insisté pour que les résident de Migdalim soient bien représentés. « Avec tout le respect que je vous dois, seuls les décideurs ont pris part à cette réunion. Néanmoins, les résidents de Migdalim ont une ligne directe vers mon bureau », a-t-il assuré.
Ben Dahan a affirmé qu’il tentait de trouver une solution rapidement, notamment via une meilleure coordination entre l’administration civile et Mekorot. Il a également parlé des nouvelles canalisations qui contourneront les villages palestiniens, et espère qu’elles seront opérationnelles l’été prochain.
« En attendant, les Palestiniens peuvent voler de l’air, s’ils le souhaitent », a-t-il plaisanté sarcastiquement.
De retour à Kusra, c’est de l’eau et non de l’air que cherche Wada. « L’employé responsable de gérer les paiements [du village] pour l’eau ne s’est même pas pointé cette semaine », dit-il en montrant un bureau vide. « Il n’a rien à faire. »
« C’est des droits de l’Homme dont il est question. Tout le monde mérite d’avoir assez d’eau », a déclaré le maire découragé, utilisant, sans le savoir, les mêmes termes que son homologue de la colline voisine, à Migdalim.
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