Pour les agriculteurs israéliens proches de Gaza, une crise à long-terme se profile
Selon les experts, le secteur agricole de la zone frontalière pourrait connaître une réhabilitation rapide, mais cela dépendra si la guerre fait fuir les travailleurs étrangers

Dans les champs fraîchement labourés du kibboutz Alumim, près de Gaza, des dizaines de milliers de jeunes poulets cherchent désespérément de quoi se nourrir, tandis que des centaines de buses se régalent des carcasses d’oiseaux moins chanceux.
La ferme avicole du kibboutz est dévastée suite à un trou de la taille d’une maison, conséquence d’un récent tir de roquette. Un ventilateur industriel noirci, dont le moteur a brûlé, tourne dans la brise d’automne qui souffle depuis la ville de Gaza bombardée à quelques kilomètres de là, transportant de la fumée noire et une odeur de plastique carbonisé. Des poulets s’échappent tandis que trois chacals, abandonnant leur programme nocturne, se lancent à leur poursuite.
Cette scène, dont un journaliste du Times of Israel a été témoin lundi, fait partie de la triste réalité des communautés agricoles autrefois si prospères autour de Gaza. Leurs champs méticuleusement cultivés et leurs installations de pointe ont été transformés en quelque chose qui ressemble à un film post-apocalyptique dans le cadre de la guerre entre le groupe terroriste palestinien du Hamas et Israël.
La dévastation à grande échelle des champs de la région connue en hébreu sous le nom de « Otef Azza » – « le pourtour de Gaza » – a été largement éclipsée par les pertes humaines causées par l’incursion barbare, le 7 octobre, de 2 500 terroristes qui ont assassiné plus de 1 400 personnes, pour la plupart des civils, enlevé au moins 203 otages, et fait exploser et incendier des pans entiers de multiples kibboutzim, villes et villages.
Les dégâts causés à l’une des principales régions agricoles d’Israël risquent de réduire à néant le travail de toute une vie et de ruiner les moyens de subsistance de centaines de personnes, ainsi que de provoquer une pénurie alimentaire à un moment où le pays se prépare à une guerre dont la durée et l’intensité restent encore inconnues.
Selon Uri Dorman, secrétaire-général de l’Association des agriculteurs israéliens, environ 75 % des légumes cultivés en Israël proviennent de la zone frontalière de Gaza, de même que 20 % des fruits et 6 % du lait. Otef Azza est particulièrement propice à la culture des pommes de terre. Ces dernières années, elle est devenue un important exportateur de plusieurs types de pommes de terre vers les Pays-Bas et la Belgique.

Sans irrigation ni pesticides, les champs de pommes de terre du pourtour de Gaza s’étiolent un peu plus chaque jour.
« Les dégâts semblent considérables, mais dans l’agriculture, la réhabilitation est rapide », a déclaré au Times of Israel Dorman, qui cultive des pommes et des poires sur le plateau du Golan depuis 1981.
Le gouvernement compense régulièrement les pertes subies par les agriculteurs en raison des hostilités. Mais cette guerre, au cours de laquelle un grand nombre de travailleurs agricoles thaïlandais ont été tués ou enlevés, risque de « stigmatiser Israël aux yeux des travailleurs étrangers comme un endroit trop dangereux. Et cela pourrait provoquer une crise à long-terme qui pourrait mettre en péril non seulement la récolte de cet automne, mais aussi l’agriculture israélienne dans son ensemble », a déclaré Dorman.
Le secteur agricole de la région frontalière de Gaza dépend de quelque 5 000 travailleurs étrangers, dont la plupart sont originaires de Thaïlande. « Beaucoup d’entre eux disent qu’ils veulent retourner en Thaïlande. Les dommages causés par la guerre sont temporaires, mais s’ils repartent et que de nouveaux travailleurs n’arrivent pas, il y aura une pénurie de main-d’œuvre qui pourrait dévaster le secteur. »
Les tomates de serre de Nahal Oz, un kibboutz d’environ 400 habitants, dont beaucoup sont morts ou pris en otages, commencent à peine à mûrir. Si elles ne sont pas cueillies la semaine prochaine, des centaines de milliers de shekels et des centaines d’heures de travail seront perdues. Les plantations de bananes ont encore deux semaines devant elles avant que leurs récoltes, qui valent des centaines de milliers de dollars, ne deviennent irrécupérables. Il ne reste que peu de choses du champ de laitues biologiques du kibboutz Alumim après que les gazelles ont brouté les plantes jusqu’à la racine.

Les roquettes ont également touché les systèmes d’irrigation intelligents des kibboutzim, que des générations d’agriculteurs ont optimisés pour fournir la juste quantité d’eau recyclée nécessaire à la survie des légumes assoiffés et à racines peu profondes, tels que les concombres et les tomates, à la lisière du désert. L’eau des réservoirs de stockage et de mélange qui se sont rompus s’écoule librement sur le sol, formant des mares qui attirent les oiseaux migrateurs à des kilomètres à la ronde.
Certains champs sont interdits aux agriculteurs en raison des tirs antichars des terroristes palestiniens qui se cachent dans les bâtiments délabrés de Gaza, si près qu’ils sont visibles à l’œil nu depuis Alumim. Les terroristes tirent constamment avec des mitrailleuses qui résonnent dans les champs.
« Ces tirs sont conçus à 100 % pour s’assurer que les travailleurs thaïlandais restent à l’écart », a déclaré un commandant de compagnie qui campait dans une extension de l’un des villages de la région frontalière de Gaza. Ses troupes étaient là pour bloquer et intervenir en cas de tentative d’infiltration, a déclaré le capitaine de réserve sous couvert d’anonymat, car il n’est pas autorisé à parler aux médias.
Alors que le travail dans les champs exposés serait dangereux pour les ouvriers, « la cueillette des bananes ou le travail dans les serres seraient relativement sûrs parce qu’ils seraient pratiquement invisibles pour les tireurs d’élite ».
« Le Hamas le sait et tire donc toutes les cinq minutes pour s’assurer que les récoltes sont perdues. »

Faisant profil bas par crainte des missiles antichars, la compagnie de la base avancée s’est retranchée pour la nuit, surveillant les champs à l’aide de la vision thermique et de la vision nocturne. Leur déploiement témoigne des leçons tirées du raid du 7 octobre par les terroristes palestiniens du Hamas, qui n’ont rencontré que peu de résistance lorsqu’ils ont pénétré en Israël et se sont déchaînés de manière sauvage sur les localités du sud d’Israël.
À une courte distance à l’est de la position avancée, une force beaucoup plus importante a été déployée et mobilisée en tenue de combat derrière eux, commandant une position élevée et prête à intervenir immédiatement au cas où des hostiles s’approcheraient de la force avancée.
Les traces de la guerre sont omniprésentes sur les routes qui serpentent entre les champs d’Alumim et de Nahal Oz, dont l’asphalte est marqué par les chenilles des chars et dont les accotements sont en grande partie effondrés à cause du poids des véhicules. Sur une route, le soleil faisait scintiller les roulements à billes métalliques d’une bombe placée en bord de route par des terroristes pour viser les forces de sécurité.
Face à cette réalité effrayante, « les travailleurs thaïlandais en Israël ne veulent pas retourner dans l’Otef Azza. Ils veulent quitter Israël », explique Doron Eliyahu, coordinateur de l’Union des cultivateurs. Pour atténuer le problème, Eliyahu a recruté des centaines de volontaires parmi les groupes d’activistes.

HaShomer HaHadash, un groupe créé en 2007 pour lutter contre les vols de produits agricoles, a fourni 900 volontaires pour aider à récolter, même dans les villes et villages les plus proches de Gaza, notamment Nahal Oz et Alumim. Bien que ce nombre semble important, « en pratique, c’est difficile », a déclaré Eliyahu. « Les volontaires ne peuvent pas venir tous les jours, et il faut un groupe conséquent pour [pouvoir] être efficace. »
Eliyahu est en train de constituer une base de données de milliers de volontaires afin de coordonner les récoltes pour les jours à venir. « Il s’agit de combler le fossé jusqu’au retour des travailleurs étrangers », explique-t-il.
Mais même si les efforts se poursuivent, la continuité est assurée dans certaines communautés agricoles de Otef Azza.
« Alors que nous travaillons à la récolte de cette année, les pommes de terre de l’année prochaine sont déjà en train d’être semées », a déclaré Eliyahu.
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