Relance du texte donnant au ministre de la Justice le contrôle des enquêtes sur la police et le parquet
Selon Moshe Saada, l'élu Likud qui a réintroduit ce projet de loi, ce dernier vise à "surveiller les gardiens" ; l'opposition et des professionnels du droit y voient une tentative de politiser les instances concernées

Le député Moshe Saada (Likud) a relancé lundi un projet de loi controversé qui placerait le Département des enquêtes internes de la police (DIPI) – qui est chargé de mener les enquêtes criminelles lancées à l’encontre des policiers – sous le contrôle direct du ministre de la Justice. Le texte donnera également à ce dernier le pouvoir d’enquêter sur les procureurs de l’État.
Cette législation a fait l’objet d’un débat lors d’une session conjointe qui a eu lieu entre les membres de la commission de la Constitution, du Droit et de la Justice et ceux de la commission la Sécurité nationale de la Knesset. A cette occasion, les députés de l’opposition ont qualifié ce projet de loi de dernière mesure d’une campagne menée par la coalition pour retirer le pouvoir aux instances juridiques professionnelles et pour les subordonner aux intérêts politiques.
Le projet de loi, qui avait été adopté en première lecture par la Knesset en 2023, prévoit de transférer le DIPI – qui, jusque-là, dépendait du bureau du procureur général – sous l’autorité du ministère de la Justice qui est actuellement dirigé par Yariv Levin, membre du Likud. Le ministre a également été à l’initiative du projet très controversé de refonte radicale du système judiciaire.
En vertu de cette loi, le ministre de la Justice aura le pouvoir de nommer le directeur de cet organisme, qui sera chargé non seulement d’enquêter sur les policiers et sur les membres de l’agence de sécurité intérieure du Shin Bet, comme le fait actuellement le DIPI, mais aussi sur les procureurs généraux.
« L’objectif de cette loi est de protéger l’État d’Israël, de ‘surveiller les gardiens’, » a déclaré Saada au début de la réunion de la commission mixte. Il a insisté sur le fait que le fait de subordonner l’agence au ministère la rendrait indépendante.
Saada a défendu son texte en arguant que l’étroite coopération entre la police et les procureurs généraux crée un « conflit d’intérêts flagrant » lorsqu’il s’agit de décider d’ouvrir ou non une enquête sur de hauts-responsables de la police.

Mais les opposants soutiennent, de leur côté, que cette loi politisera les enquêtes criminelles menées par la police, qu’elle détruira l’indépendance de l’organisme et qu’elle sera une menace pour les procureurs généraux – en les soumettant à des enquêtes menées par une personnalité qui aura été nommée pour des raisons politiques.
« Cette proposition porte atteinte à un principe fondamental de la société démocratique, à savoir l’établissement d’une barrière entre la sphère politique et les organes chargés de l’application de la loi », a déclaré Gabriela Fishman, représentante du ministère de la Justice.
La députée Karine Elharrar (Yesh Atid) a estimé que ce projet de loi offrirait aux policiers soupçonnés d’avoir frappé des manifestants une protection excessive – et ce en fonction de l’orientation politique des protestataires.
« Imaginons qu’il y ait une manifestation et qu’un policier fasse usage de la violence. Le DIPI doit alors mener une enquête à son sujet », a déclaré Elharrar.
« Si la manifestation est défavorable au gouvernement, quel sera donc l’ordre donné ?, » a-t-elle demandé.
Le député Gilad Kariv (Avoda) a affirmé que ce projet de loi succinct était volontairement vague afin de laisser une plus grande marge de manœuvre au ministre de la Justice dans ce domaine.
« Vous êtes un homme de grande expérience, vous êtes également un professionnel du droit ; je connais bien les autres projets de loi que vous avez proposés », a déclaré Kariv.
« Veuillez donc m’excuser si je ne peux accepter que vous ayez présenté un projet de loi qui, en deux paragraphes, revient essentiellement à dire : ‘Je transforme le DIPI en un organisme soumis à l’autorité des politiciens.’ »

Elharrar et d’autres députés de l’opposition ont affirmé que Saada, ancien haut-responsable de l’unité chargée des enquêtes de la police, avait des « comptes à régler » avec cet organisme après avoir été démis de ses fonctions de directeur adjoint en 2022 par l’actuelle directrice, Keren Bar Menachem.
Bar Menachem a également assisté à la réunion de la commission, mais elle est restée relativement silencieuse tout au long du débat qui a duré près de quatre heures. Avant la fin de la réunion, elle a fait une brève déclaration dans laquelle elle a qualifié le DIPI, dans sa forme actuelle, d’organisme « professionnel et de grande qualité » qu’elle a dit être fière de diriger.
« Nous avons mis le doigt sur des problèmes qui doivent être réglés, qui rejoignent certains des points soulevés ici, et je ne peux que réitérer ce qui a déjà été déclaré par le bureau de la procureure générale [Gali Baharav-Miara] et par le bureau du procureur de l’État », a-t-elle indiqué.
Les professionnels du droit présents dans la salle, qui étaient unanimement opposés à ce projet de loi, ont eu moins de temps de parole que les députés.
Le procureur général adjoint Alon Altman a réfuté une affirmation répétée par Saada – qui a insisté sur le fait que les procureurs généraux seraient à l’abri de toute enquête pénale dans le système actuel dans la mesure où c’est le bureau du procureur général qui autorise les enquêtes policières.
Contrairement à ce qu’affirme Saada, Altman a déclaré qu’il y a, dans l’ordonnance, des procédures spécifiques en direction de la police, lui donnant le droit d’enquêter sur les procureurs généraux sans l’accord du bureau du procureur général.
La députée Tally Gotliv (Likud) a critiqué la Cour suprême et la procureure générale.
Elle a également accusé ouvertement les forces de l’ordre de « persécuter » les politiciens de droite, soulignant qu’elle-même faisait l’objet d’une enquête pour avoir révélé l’identité d’un agent du Shin Bet, et elle s’est vantée d’avoir bravé une convocation de la police en invoquant son immunité parlementaire.

Gotliv a également évoqué le procès du Premier ministre Benjamin Netanyahu, qui a accusé la police et les procureurs d’avoir conspiré pour monter de toutes pièces des accusations de corruption à son encontre dans le but de le destituer. Son procès est en cours.
Saada avait fait les gros titres en 2022 en affirmant de manière fracassante que des membres haut placés de l’establishment judiciaire du pays étaient prêts à fermer les yeux sur les activités illicites présumées de l’ancien chef de la police Roni Alsheich, craignant que leur intervention dans cette affaire ne nuise aux efforts visant à poursuivre Netanyahu.
L’ancien procureur général Shaï Nitzan avait déclaré à l’époque que les accusations lancées par Saada à l’encontre d’Alsheich – des accusations qui avaient été rendues publiques quelques heures avant que ce dernier ne se lance dans la course à la politique – étaient motivées par de l’animosité et des ambitions politiques.
Si la plupart des détracteurs de ce texte législatif s’accordent à dire que le DIPI a besoin d’une réforme pour éviter les conflits d’intérêts, ils considèrent toutefois que le projet de loi de Saada va dans la mauvaise direction.
Le Syndicat des procureurs généraux a déclenché une grève lundi matin pour protester contre le projet de loi lors de son examen. Cette grève a entraîné le report de l’audience de Netanyahu, le ministère public étant arrivé avec deux heures de retard au tribunal.
La proposition de loi fera l’objet d’une nouvelle réunion avant d’être soumise à la Knesset pour être examinée plus en détail et votée. Saada n’a pas précisé quand la commission se réunira à nouveau pour débattre de cette question.