Sans stratégie de sortie à Gaza, d’anciens militaires craignent qu’Israël ne s’y enlise
Des critiques internes, dont des ex-généraux, avertissent que l'indécision obligera Israël à gouverner l'enclave et à payer un lourd tribut aux attaques des derniers terroristes

Le général de division (Rés.) Giora Eiland estime qu’Israël risque de devoir affronter des mois de combats à Gaza, à moins que le Premier ministre Benjamin Netanyahu ne saisisse l’occasion offerte par l’élimination du chef du groupe terroriste palestinien du Hamas Yahya Sinwar par l’armée israélienne pour mettre fin à la guerre.
Depuis la mort de Sinwar ce mois-ci, Eiland fait partie d’un groupe d’anciens officiers supérieurs de Tsahal qui remettent en question la stratégie du gouvernement à Gaza, où, au début du mois, les troupes sont retournées dans des zones du nord qui avaient déjà été expurgées au moins deux fois auparavant.
Au cours des trois dernières semaines, l’armée a opéré autour de Jabaliya, dans le nord de la bande de Gaza. C’est la troisième fois qu’elle retourne dans la ville et son camp de réfugiés historique depuis le début de la guerre en octobre 2023, déclenchée lorsque quelque 6 000 Gazaouis dont 3 800 terroristes dirigés par le Hamas ont pris d’assaut le sud d’Israël, tué plus de 1 200 personnes, principalement des civils, enlevé 251 otages de tous âges – commettant de nombreuses atrocités et perpétrant des violences sexuelles à grande échelle.
Au lieu de l’approche préférée de Tsahal, qui consiste à mener des actions rapides et décisives, de nombreux anciens responsables de l’establishment de la sécurité estiment que l’armée risque de s’enliser dans une campagne ouverte nécessitant une présence permanente de troupes.
« Le gouvernement israélien agit en totale opposition avec la conception de la sécurité d’Israël », a déclaré Yom-Tov Samia, ancien chef du Commandement du Sud de l’armée, à la radio publique Kan.
Une partie de l’opération a consisté à évacuer des milliers de personnes de la zone afin de séparer les civils des terroristes du Hamas.

Tsahal affirme avoir déplacé environ 45 000 civils de la zone autour de Jabaliya et éliminé des centaines de terroristes au cours de l’opération. Mais l’armée a été fortement critiquée pour le grand nombre de victimes civiles qui ont également été signalées, et a fait face à de nombreux appels à l’envoi de davantage de matériel d’aide pour atténuer la crise humanitaire qui sévit dans la région.
Eiland, ancien chef du Conseil national de sécurité (NSC) israélien, est l’auteur principal d’une proposition très discutée, baptisée « General’s plan », qui prévoit qu’Israël débarrasse rapidement le nord de Gaza des civils avant d’affamer les éléments du Hamas survivants en leur coupant l’accès à l’eau et à la nourriture.
Les mesures prises par Israël ce mois-ci ont suscité des accusations palestiniennes selon lesquelles l’armée aurait adopté le plan d’Eiland, qu’il envisageait comme une mesure à court terme pour s’attaquer au Hamas dans le nord, mais que les Palestiniens considèrent comme visant à nettoyer définitivement la région afin de créer une zone tampon pour Tsahal après la guerre.
L’armée a réfuté suivre un tel plan. Lors d’une réunion avec le secrétaire d’État américain Antony Blinken mardi, Netanyahu a nié qu’Israël poursuivait le « General’s plan », mais a refusé de faire une déclaration publique à cet effet, a déclaré un fonctionnaire américain au Times of Israel.

Eiland lui-même estime que la stratégie adoptée par Tsahal à Gaza n’est ni son plan, ni une occupation classique.
« Je ne sais pas exactement ce qui se passe à Jabaliya », a déclaré Eiland à Reuters. « Mais je pense que Tsahal fait quelque chose qui se situe entre les deux alternatives, l’attaque militaire ordinaire et mon plan », a-t-il ajouté.
Aucune intention d’y rester
Dès le début de la guerre, Netanyahu a déclaré qu’Israël ramènerait tous les otages et démantèlerait le Hamas en tant que force armée et gouvernementale, et qu’il n’avait aucune intention de rester à Gaza.
Mais son gouvernement n’a jamais formulé de politique claire pour les suites de l’opération qu’il a lancée en réponse au pogrom du 7 octobre, le plus meurtrier de l’histoire du pays et le pire mené contre des Juifs depuis la Shoah. Les opérations militaires ont pratiquement transformé l’enclave en un terrain vague dont la reconstruction nécessitera des milliards de dollars d’aide internationale.
Depuis des mois, les désaccords entre Netanyahu et le ministre de la Défense Yoav Gallant sont flagrants et reflètent une division plus large entre la coalition gouvernementale et l’armée, qui est depuis longtemps favorable à la conclusion d’un accord pour mettre fin aux combats et ramener les otages à la maison.
En l’absence d’une stratégie commune, Israël risque d’être coincé à Gaza dans un avenir prévisible, a déclaré Ofer Shelah, un ancien député de Yesh Atid qui dirige aujourd’hui le programme de recherche sur la politique de sécurité nationale d’Israël à l’Institut d’études de sécurité nationale de Tel Aviv.
« La situation d’Israël est très précaire à l’heure actuelle. Nous nous dirigeons vers une situation où Israël est considéré comme le dirigeant de facto à Gaza », a-t-il estimé.

Le gouvernement n’a pas encore répondu à une demande de commentaire sur les suggestions selon lesquelles Tsahal s’enliserait dans la bande de Gaza.
Des raids à répétition
La priorité militaire d’Israël étant désormais dirigée contre le groupe terroriste chiite libanais du Hezbollah, mandataire de l’Iran, le nombre de divisions de l’armée engagées dans la bande de Gaza a été ramené à deux, contre cinq au début de la guerre. Selon les estimations des sources de sécurité israéliennes, chaque division de Tsahal compte entre 10 000 et 15 000 soldats.
Au début de la guerre, le Hamas possédait 25 bataillons, selon les estimations militaires. L’armée estime que ces bataillons ont été détruits depuis longtemps et que la moitié de leurs éléments, soit entre 17 000 et 18 000, ont été éliminés. Mais il reste des bandes de terroristes du Hamas qui mènent des raids contre les troupes de Tsahal.
« Nous ne nous engageons pas avec les chars sur le terrain, nous choisissons nos cibles », a déclaré un terroriste du Hamas, contacté par l’intermédiaire d’une application de messagerie. « Nous agissons de manière à poursuivre le combat le plus longtemps possible. »
Même si ces tactiques n’empêcheront pas l’armée de se déplacer à sa guise dans la bande de Gaza, elles peuvent néanmoins imposer un coût important à Israël.
Le colonel Ehsan Daqsa, commandant de la 401e brigade du Corps Blindé Mécanisé de Tsahal, a été tué à Gaza cette semaine alors qu’il descendait de son char pour parler à d’autres commandants à un point d’observation que des terroristes avaient piégé avec une bombe. Il était le sixième officier le plus gradé tué à Gaza au cours de cette guerre.
Vendredi, trois soldats ont été tués à Jabaliya lorsqu’une puissante bombe a explosé contre le char dans lequel ils se trouvaient. Le quatrième soldat qui se trouvait dans le char a été modérément blessé.

Il n’y aurait aucune logique à rester
Les appels à mettre fin aux combats dans la bande de Gaza se sont multipliés après que Sinwar, l’instigateur de l’assaut barbare et sadique du 7 octobre, a été tué lors d’une rencontre avec des troupes opérant à Rafah.
« Avec l’élimination de Sinwar, il n’y a plus de raison de rester à Gaza », a estimé un ancien haut responsable militaire ayant une expérience directe de l’enclave, qui a demandé à ne pas être nommé.
« Des opérations méthodiques et ciblées devraient être menées si le Hamas se reconstitue et reprend la guerre contre Israël, mais le risque de laisser des troupes en permanence dans la bande de Gaza est un danger majeur, a déclaré l’ancien responsable, qui préconise de récupérer les otages et de se retirer.

Le bureau de Netanyahu a déclaré jeudi que des négociateurs israéliens s’envoleraient pour le Qatar ce week-end afin de participer à des pourparlers longtemps interrompus sur un accord de « trêve contre libération d’otages ». Mais on ne sait toujours pas quelle sera la position du Hamas et qui Israël autorisera à diriger l’enclave lorsque les combats cesseront.
Netanyahu a démenti toute intention de rester à Gaza ou d’autoriser le retour des résidents d’implantations, comme le craignent de nombreux Palestiniens.
Mais les partis pro-implantations de sa coalition – et de nombreux membres de son propre parti, le Likud – n’aimeraient rien de plus que de revenir sur le retrait unilatéral d’Israël, qui a eu lieu en 2005, sous l’égide du Premier ministre Ariel Sharon.
Le ministre des Finances, Bezalel Smotrich, chef du parti HaTzionout HaDatit, a déclaré jeudi, à la fin de Simhat Torah, qu’il espérait célébrer cette fête l’année prochaine au Gush Katif, l’ancien bloc d’implantations de Gaza.
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