Troyes redevient la ville de Rachi
Après un sommeil séculaire, la cité champenoise et sa communauté juive font tout pour attirer les pèlerins et admirateurs du célèbre talmudiste. Dernière initiative : l’ouverture ce 11 septembre d’un musée dédié au maître
Le grand rabbin de France, Haïm Korsia, l’un de ses prédécesseurs, René-Samuel Sirat, accompagnés d’élus, de nombreux responsables juifs nationaux et locaux, dont le président de la communauté, Joseph Kadouch, ont inauguré le dimanche 10 septembre la Maison Rachi de Troyes, dans l’Aube. Elle a ouvert au public dès le lendemain.
Haïm Korsia (dont le beau-père, Charles Aïdan, est troyen) a remarqué en substance que ce lieu d’exposition permanent de trois cents mètres carrés consacré au leader spirituel champenois du Moyen-Age et commentateur du Talmud pouvait réunir Juifs et non-Juifs, tant sa renommée est étendue désormais dans tous les milieux.
Quant à René-Samuel Sirat, venu pour l’occasion d’Israël où il réside depuis sa retraite, il a rappelé son engagement en faveur de l’Institut universitaire Rachi situé dans la même ville, lié à l’académie de Reims et indépendant de la communauté organisée, qu’il avait fondée en 1989 et présidé.
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Il a fait part de son émotion devant les vidéos didactiques, tableaux et archives numérisés visibles dans la Maison : un « pont » remarquable, s’est-il félicité, entre les 11e et 21e siècles.
Momy Assaraf a été désigné « ambassadeur » pour la presse du nouveau musée. Né en 1943 et troyen depuis 1956, c’est le petit-neveu du grand rabbin Abba Samoun, décédé en 2011 et qui a longtemps officié ici.
Aujourd’hui, il est fier de la réalisation d’un vieux projet : permettre aux quatre à cinq mille pèlerins se déplaçant chaque année dans la région, en provenance d’Israël et de toute la diaspora, et aussi aux touristes non juifs, de disposer d’espaces suffisamment bien dotés en archives, souvenirs, iconographie, etc. pour rendre leur séjour enrichissant et vraiment inoubliable. Il s’agit évidemment de multiplier le nombre de visiteurs.
Une étape a été franchie il y a un an avec la rénovation de la synagogue, dont le bâtiment restauré a été inauguré le 4 septembre 2016.
Grâce aux deux millions d’euros attribués par les pouvoirs publics et surtout par deux institutions, la Fondation Edmond J. Safra et la Fondation pour la mémoire de la Shoah, au Centre culturel Rachi, une association destinée à recevoir les dons que préside René Pitoun, la ville a pu aménager également cette Maison Rachi attenante au lieu de prière
C’est une création ex nihilo, dans la mesure où nul ne sait où se trouvait la véritable demeure du fameux talmudiste. D’ailleurs, les traces de la vie juive médiévale ont disparu après des incendies et dégradations à répétition.
Les concepteurs de la Maison se sont inspirés notamment de la salle d’étude de Rachi reconstituée au Beth Hatefutzot ou Musée de la diaspora situé sur le campus de l’Université de Tel Aviv.
Tandis que la synagogue du maître, installée dans un autre quartier, a vraisemblablement brûlé en 1524, celle que le voyageur découvre à présent a été fondée grâce à une famille troyenne fortunée, les Blum, qui a acheté à cet effet un bâtiment appartenant à… une congrégation chrétienne. C’était en 1961.
Le judaïsme local a été ranimé à cette époque, comme un peu partout dans l’Hexagone, avec l’arrivée des séfarades du Maghreb. Il y aurait aujourd’hui quelque 150 familles juives dans la commune et sa périphérie et assez de fidèles (au moins dix hommes de plus de treize ans) pour les offices du vendredi soir et du samedi matin.
Le musée ouvert le 11 septembre se présente donc comme un beth hamidrach [maison d’étude hébraïque] du 11e siècle. On y visionne en outre des films pédagogiques, une carte des régions européennes où ont travaillé les Tossafistes, les élèves et héritiers spirituels de Rachi, son arbre généalogique, une sélection de ses illustres commentaires… et une bibliothèque de soixante-quinze mètres carrés forte de dizaines d’éditions parfois très anciennes des Talmud dits « de Babylone » et « de Jérusalem ».
Les premiers linguistes du 19e siècle sont également à l’honneur. Des documents rappellent l’importance de Rachi en matière étymologique : il traduisait l’hébreu de la michna et l’araméen de la guemarra (les deux parties principales de la Loi orale compilée dans le Talmud) en dialecte champenois médiéval, grandement utile pour décortiquer les racines du français contemporain ! Voilà qui devrait intéresser les visiteurs férus d’Histoire, juifs ou non.
C’est René Pitoun qui a été l’inspirateur de la Maison comme des travaux de réhabilitation de la synagogue. En tant qu’investisseur locatif habitué des problèmes fonciers, il a compris dès 2010 qu’après un demi-siècle d’existence, le lieu de culte israélite de Troyes était menacé et qu’il fallait le sauver.
Au demeurant, l’administration avait exigé alors le blindage de la façade pour motif sécuritaire. La bâtisse construite initialement à la Renaissance risquait de s’écrouler. On a commencé, un peu au hasard, à déblayer et creuser et l’on a découvert, derrière les plaques de plâtre datant des années 1960/1970, des trésors architecturaux insoupçonnés. Raison de plus pour tout remettre en état.
Les mécènes ont été suffisamment généreux pour boucler le budget. René Pitoun y a vu un signe divin. Il l’a confessé pendant l’inauguration de septembre 2016. Le même jour, Charles Aïdan, alors président de la communauté, a souligné que les travaux en question représentaient à la fois un pari : la pérennité du judaïsme dans cette ville phare sur le plan spirituel, et un défi : redonner à Rachi « une demeure à sa hauteur, mille ans après… »
Les participants ont reconnu à cette occasion que la préservation du patrimoine permettait de perpétuer la vie juive là où elle est démographiquement en péril, dans les petites et moyennes communes de province. « La communauté de Troyes doit être ouverte aux pèlerins et ne pas se recroqueviller sur elle-même si elle ne veut pas disparaître à l’horizon 2025 ou 2030 », a averti Haïm Korsia. Une mise en garde qui reste d’actualité.
Enfin, l’Institut universitaire Rachi, centre de recherches hébraïques et sémitiques (avec des cours d’arabe) à vocation purement académique à l’échelle européenne, où travaillent étudiants et doctorants juifs et non juifs, est l’œuvre conjointe de René-Samuel Sirat et Robert Galley, maire gaulliste de Troyes de 1972 à 1995. Pour l’ancien grand rabbin du pays, il s’agissait de « contribuer au rayonnement intellectuel de la capitale historique du judaïsme français. »
Des colloques internationaux y sont organisés mais aussi des conférences régulières, en partenariat avec la médiathèque de l’agglomération, permettant à tous publics de se familiariser avec des thèmes liés à la tradition et la culture juives, et plus généralement au monothéisme.
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