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Un cinéaste controversé critiqué pour son projet de « Disneyland de la Shoah »

Ilya Khrzhanovsky, qui fait l'objet d'une enquête pour torture présumée de figurants sur un tournage, veut apporter sa touche hyper-réaliste au mémorial du massacre de Babi Yar

Illustration : Les cadets de la garde d'honneur de Kiev participent à des événements commémoratifs autour d'un monument soviétique dédié aux victimes du ravin de Babi Yar à Kiev en Ukraine, le 29 septembre 2016. (AP/Sergei Chuzavkov)
Illustration : Les cadets de la garde d'honneur de Kiev participent à des événements commémoratifs autour d'un monument soviétique dédié aux victimes du ravin de Babi Yar à Kiev en Ukraine, le 29 septembre 2016. (AP/Sergei Chuzavkov)

JTA – La dernière sortie du cinéaste russe Ilia Khrzhanovsky est tellement extrême qu’elle fait l’objet d’une enquête de police pour torture présumée de figurants, notamment sur des orphelins mineurs, en Ukraine.

Il a filmé son projet cinématographique « Dau » dans un studio de 1,2 hectare de la ville ukrainienne de Kharkiv pendant plus d’une décennie pour recréer de façon fictive la vie sous le régime communiste soviétique. Des passages à tabac, des interrogatoires, des scènes de viol et d’autres formes d’abus ont été simulés par les acteurs, presque tous amateurs et beaucoup d’entre eux mineurs, dont certains venaient d’orphelinats.

Il y a encore peu de temps, cette série de films était saluée comme une réussite novatrice. Mais Khrzhanovsky est désormais accusé d’avoir abusé de ses acteurs, de les avoir exploités en leur infligeant violence physique, humiliation et harcèlement sexuel.

Khrzhanovsky est également, pour le moment, directeur artistique d’un important projet ukrainien de commémoration de la Shoah : le Babyn Yar Holocaust Memorial Center, un musée qui a coûté des millions et qui n’en est toujours qu’à l’étape de la planification. Il est nommé après l’un des pires pogroms de la Shoah, dans lequel les nazis et les collaborateurs ont tué plus de 150 000 personnes, dont 50 000 Juifs, dans un ravin de Babi Yar, aussi appelé Babyn Yar, en périphérie de Kiev.

Le gouvernement ukrainien a investi un million de dollars dans le projet, ce qui est largement supérieur aux sommes injectées dans d’autres commémorations de la Shoah.

Ilya Khrzhanovskiy arrive pour la cérémonie de clôture du 70e Festival international du film de Berlin au Palais de la Berlinale le 29 février 2020 à Berlin, en Allemagne. (Crédit : Thomas Niedermueller/Getty Images via JTA)

Le cinéaste, qui n’est pas juif, veut apporter son style cinématographique hyper-réaliste au musée et en faire, selon les termes d’un ancien directeur de projet, un « Disneyland de la Shoah ».

Selon Karel Berkhoff, – qui a été nommé historien en chef du musée en 2017, mais qui a démissionné depuis – Khrzhanovsky a indiqué au personnel qu’il avait l’intention de créer des expositions dans lesquelles « les visiteurs joueraient le rôle de victimes, de collaborateurs, de nazis ou de prisonniers de guerres forcés de brûler des cadavres ».

Mais le scandale qui entoure son dernier film, « Dau : Degeneration », a mis en péril le travail de Khrzhanovsky au sein du musée. Des dizaines d’artistes et historiens ukrainiens ont rédigé une lettre ouverte le 1er mai demandant à ce qu’il soit démis de ses fonctions au sein du projet Babi Yar.

« La nomination de M. Khrzhanovsky en tant que directeur artistique avait déjà terni la réputation du Mémorial et mine les réussites des trois années précédentes de travail, alors que le Centre fait face à un scandale international », ont écrit les cosignataires.

Dans un communiqué de réponse publié la semaine dernière, la Babyn Yar Holocaust Memorial Center Charity Foundation a déclaré que les projets de « Dau » n’ont pas vraiment de rapport avec le travail de Khrzhanovsky pour le musée de la Shoah.

« Le Babyn Yar Holocaust Memorial Center et les projets Dau sont deux projets complètements distincts », indique le communiqué, soulignant que « toutes les allégations portées contre Ilia Khrzhanovsky sont basées sur des émotions et des pensées subjectives fondées sur des spéculations et des préjugés ».

Photo prise par un officier allemand mort en Russie, montrant un peloton d’exécution nazi tirant sur des Juifs dans le dos alors qu’ils sont assis devant leur propre charnier, à Babi Yar, Kiev, 1942. (AP Photo, File)

Et pourtant, la nomination de Khrzhanovsky en tant que directeur artistique, qui a été annoncée en décembre, a précédé et probablement causé la démission de plusieurs membres du personnel du musée. L’ancien directeur général du musée Hennadiy Verbylenko, a démissionné l’an dernier, tout comme l’ancienne directrice exécutive Yana Barinova, entre autres. Ils n’ont pas justifié leurs démissions.

L’environnement créé par Khrzhanovsky pour les films de Dau était une immersion totale. Le projet, parfois appelé le « Soviet Truman Show », en référence au film hollywoodien de 1998 au sujet d’un homme filmé toute sa vie durant à son insu.

« Il n’y avait pas de script, pas de scénario, nous vivions comme nous vivions », a raconté Natalia Berezhnaya durant une conférence de presse au prestigieux festival de film de Berlin en février. « D’une certaine manière, c’était effrayant, parfois oppressant. Nous éprouvions de la peur, de l’amour, nous avions des relations. Nous vivions, nous ne travaillions pas selon un scénario : c’était notre vie ».

Durant cette même conférence de presse, Khrzhanovsky a nié que des incidents illégaux s’étaient produits pendant le tournage.

Mais la participation d’un célèbre néo-nazi russe, Maxim Martsinkevich, au projet « Dau » ne fait l’objet d’aucune contestation. Connu sous le nom de Tesak, qui signifie « couperet » en russe, il a été filmé pendant qu’il reconstituait ce pourquoi il purge actuellement une peine de 10 ans dans une colonie pénitentiaire russe : vol et agression.

Sur cette photo du 28 septembre 1997, une femme tient des photos de son frère et de sa tante, qui ont été tués par les nazis en 1941 à Babi Yar, le site du massacre nazi de plus de 33 000 Juifs, dans la capitale ukrainienne, Kiev. En arrière-plan, les gens déposent des fleurs sur le monument de la menorah, haut de 3,5 mètres, qui a été inauguré en 1991. (AP Photo/Efrem Lukatsky)

D’éminents musées de la Shoah, notamment le musée national Auschwitz-Birkenau, découragent ou interdisent les reconstitutions sur leurs terrains. A titre d’exemple, à Auschwitz, il est interdit d’entrer dans les wagons à bestiaux qui ressemblent à ceux que les nazis employaient pour déporter les Juifs.

Le musée d’Auschwitz avait été critiqué en 2015 après qu’il eut aspergé d’eau les touristes qui attendaient dans la file, en pleine canicule. Des Juifs offensés avaient estimé que cela « ressemblait aux douches que les Juifs avaient l’obligation de prendre » avant d’entrer dans les chambres à gaz.

Khrzhanovsky a refusé de parler publiquement de sa vision pour Babyn Yar, affirmant qu’elle sera présentée dans l’année. Il n’a pas répondu à une demande d’interview.

La semaine dernière, Karel Berkhoff a appelé les mécènes du projet de musée à Kiev, notamment l’ancien sénateur américain Joseph Lieberman, l’ancien vice-chancelier allemand Joschka Fischer et l’ancien président polonais Alexander Kwasniewski, à retirer leur soutien au projet. Eric Schultz, qui était attaché de presse adjoint de la Maison Blanche sous Obama, est le responsable des relations publiques du musée aux États-Unis.

« Ma plus grande crainte, c’est que cela devienne un complexe de divertissement », a commenté l’ancien responsable du projet mémoriel lors d’une interview accordée à UkrInform. « Je ne veux pas de cela, c’est un mémorial ».

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