Un golem face au nationalisme blanc dans une réécriture moderne du mythe juif
Dans un roman irrévérencieux, "The Golem of Brooklyn," Adam Mansbach introduit son imposante créature d'argile, accompagnée par un improbable duo, dans un rassemblement néo-nazi
A Prague, au 16e siècle, un golem patrouillait dans les rues du ghetto pour protéger les Juifs placés sous la menace des pogroms.
A Brooklyn, au 21e siècle, un golem s’éveille pour découvrir – à son grand désarroi – que son créateur a été dans l’incapacité de le doter, disons… d’une partie essentielle relevant de l’anatomie masculine.
Une scène qui donne le ton du livre « The Golem of Brooklyn », une satire dotée d’une bonne dose d’humour noir écrite par l’auteur Adam Mansbach, qui imagine la créature juive mythique amenée à la vie par un professeur d’art – passablement défoncé – à New York City.
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Mansbach, connu pour son Bestseller « Go the F**k to Sleep », se saisit dans cet ouvrage du folklore traditionnel pour l’implanter dans notre monde contemporain. Il donne ainsi vie à un golem qui se retrouve aux prises avec l’antisémitisme moderne, qui apparaît ici sous la forme d’un rassemblement nationaliste blanc.
Dans le roman, Len Bronstein, un professeur d’art maladroit, est surpris à juste titre quand le golem de presque trois mètres qu’il a façonné grâce à l’argile qu’il a subtilisé prend vie et qu’il perce un gros trou dans le mur de l’appartement de Brooklyn dont il est le locataire. Lorsqu’il réalise que le golem ne s’exprime qu’en yiddish, Len demande l’aide de Miri Apfelbaum, une lesbienne employée dans une épicerie, ancienne Juive hassidique, pour maintenir le golem à terre devant des rediffusions en boucle de la sitcom « Larry et son nombril » de Larry David, où il apprend un peu de vocabulaire rudimentaire – quoique assez vulgaire – en anglais.
A partir de là, l’improbable trio va s’embarquer une série d’aventures loufoques – se risquant à entrer dans le quartier-général d’une secte hassidique, errant dans les forêts du Maryland avant d’arriver au Kentucky alors qu’une manifestation de nationalistes blancs vigoureusement antisémites se prépare, pas bien longtemps après le rassemblement similaire de triste mémoire qui avait endeuillé Charlottesville, en Virginie, en 2017.
De la poussière à la poussière
Pour les non-initiés, un golem est une créature mythique juive, faite d’argile ou de boue, avec le mot « emet » (« vérité ») gravé sur le front – et qui est souvent ramené à la vie durant des périodes de détresse profonde pour le peuple juif. Une fois que le golem a rempli sa mission, son créateur efface la première lettre du mot « emet », le transformant en « met » (ou » mort ») – faisant disparaître le golem.
Mansbach raconte avoir commencé à faire des recherches sur la créature alors qu’il écrivait la comédie « A Field Guide to the Jewish People » aux côtés de Dave Barry et d’Alan Zweibel. Le livre avait été publié en 2019.
« Peu après, j’ai eu l’idée, en quelque sorte, de l’histoire comique d’un type qui créerait un golem même s’il n’a aucune compétence pour le faire… Un pauvre type totalement ordinaire qui créerait un golem », dit l’auteur au cours d’un entretien téléphonique récent depuis la Californie. « Et le moment où le livre s’est vraiment assemblé dans mon esprit, c’est quand j’ai réalisé que le golem pourrait être une créature dont la mémoire serait ancestrale, qui pourrait être une personnification de l’histoire juive et de ses traumatismes. »
Le golem de plus de 2,50 mètres de Mansbach est la même créature que celle qui a été au cœur des contes pendant toute l’Histoire juive – le plus célèbre était le golem de Prague, créé par Maharal au 16e siècle pour protéger la communauté juive des pogroms. Cette fois-ci, ce golem des temps modernes pense avoir pour mission de protéger les Juifs américains de l’antisémitisme, présenté ici sous la forme des néo-nazis et des nationalistes Blancs.
« Ce projet a fini par devenir particulièrement pertinent parce que je l’ai écrit au moment même où le débat sur la normalisation de l’antisémitisme prenait de l’essor », explique Mansbach. « J’avais commencé à écrire le livre avant les controverses de Kanye, de Kyrie ou des autres – mais il s’agissait hélas également d’une liste sans fin d’incidents et autres événements ».
Pendant notre conversation, Mansbach commence par évoquer l’antisémitisme affiché par de célèbres personnalités afro-américaines telles que le rappeur Kanye West ou le joueur de NBA Kyrie Irving – mais le livre prend toutefois un positionnement clair en désignant le nationalisme blanc comme la principale menace planant sur les Juifs dans l’Amérique contemporaine.
« C’est vraiment important pour moi de bien faire comprendre et de répéter en permanence un fait : le fait que la forme la plus importante, la plus virulente et la plus dangereuse de l’antisémitisme, dans ce pays, elle ne vient pas d’un Kayrie ou d’un Kanye, elle ne vient pas des Afro-américains », dit Mansbach. « Non, elle vient des nationalistes bancs et de la praxis des nationalistes blancs, de cette praxis de haine qui est la leur et que leurs partisans transforment toujours en violences ».
Tropes et mythes
Avant que le golem parte pour le Kentucky, il fait d’abord un détour par le monde Hassidique, dans la secte Sassover – qui, raconte Mansbach, ne porte le nom d’une dynastie hassidique bien réelle que par pure coïncidence.
Dans les romans, les membres de la secte – l’écrivain dit s’être inspiré des Satmar pour les dépeindre – cherchent à utiliser le golem dans leur complot visant à contrôler les responsables élus, afin d’obtenir de nouveaux bâtiments dans le nord de l’état et de consolider encore leur puissant bloc électoral. Une intrigue qui flirte avec les tropes antisémites – mais Mansbach ne regrette rien.
« Je pense qu’il y a une fascination de la part d’un grand nombre de Juifs plutôt laïcs face aux Hassidiques », explique-t-il en évoquant sa décision d’inclure un tel rebondissement dans son ouvrage. « Nos sentiments couvrent toute la gamme, allant d’une certaine fascination, d’une certaine vénération au dégoût, en passant par la culpabilité. Nous les regarderons et nous voyons en eux toutes ces choses que nous ne sommes pas, toutes ces choses que nous avons choisi de ne pas être, que nous n’avons pas le désir d’être – mais on continue à se sentir, d’une certaine manière, coupable ou blâmable face à tout ce qu’ils représentent. »
Mansbach déclare ne pas penser personnellement que faire le portrait d’une secte hassidique fictive qui chercherait à gagner davantage de pouvoir dans la société soit problématique ou antisémite.
« Dans le cas des sectes hassidiques de Brooklyn, c’est également quelque chose de très juste », renchérit-il. « Ce sont des blocs électoraux qui ont une influence incroyable au niveau local », ajoute-t-il, notant que de nombreux autres groupes et autres sectes, à New York City, « cherchent à asseoir leur influence politique lors des scrutins locaux… C’est en raison de la nature même de l’antisémitisme que cela devient quelque chose d’inquiétant quand ce sont des Juifs qui le font ».
Dilemmes moraux
Un moment particulièrement émouvant dans ce roman plutôt irrévérencieux est celui où Len et Miri réalisent que le golem – dont le souvenir le plus récent, dans ce nouveau récit, est d’avoir assisté au massacre de Babyn Yar, en Ukraine, qui avait été perpétré par les nazis et leurs collaborateurs en 1941 – ne connaît pas toute l’Histoire de la Shoah, de ses horreurs et de son impact.
« C’est une réécriture très complète de ce que le golem a été et de ce qu’il a signifié dans la psyché collective parce que le golem est considéré pendant presque toute l’Histoire comme une sorte de récipient vide, comme quelque chose de non fini », note Mansbach.
Et alors que lancer un protecteur puissant de presque trois mètres contre une foule d’antisémites en colère pourrait être la réalisation d’un fantasme de revanche, Mansbach explique que cela n’a pas été sa motivation première.
« Finalement, je pense que cela m’intéresse davantage d’examiner les problèmes, de me pencher sur la prise de décisions, sur les dilemmes moraux – sur la question de savoir, par exemple, si on est en droit d’abattre nos ennemis – que cela m’intéresse d’écrire des scènes où des centaines de nationalistes blancs sont tués », dit-il. « C’est satisfaisant d’en tuer quelques-uns, quand même – ne vous y trompez pas ».
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