Un musée achète l’œuvre de l’artiste qui avait fermé son expo à la Biennale de Venise pour appeler à un accord sur les otages
Le Musée juif de New York a acheté "(M)otherland", une installation vidéo en 5 parties de l'artiste israélienne Ruth Patir - avec une première prévue au musée d'art de Tel Aviv, au mois de mars
Plusieurs mois après que Rut Patir a baissé le rideau de l’exposition qu’elle présentait à la Biennale de Venise en signe de solidarité avec les otages, au mois d’avril dernier, son installation « (M)otherland », une œuvre vidéo en cinq parties, a été acquise par le musée juif de New York et elle sera présentée pour la toute première fois au mois de mars au Musée d’art de Tel Aviv.
L’œuvre – une série de vidéos créées à partir de techniques d’animation numérique et qui mettent en scène des déesses de la fertilité de l’âge du fer – sera présentée au Musée juif après la fin de la restauration de ses galeries – des travaux qui devraient s’achever à l’automne 2025.
« C’est doux-amer », explique Patir au Times of Israel. « Je sens au fond de moi que cette œuvre est bonne, que les gens la verront et qu’ils seront émus par elle, qu’elle a de l’importance. Ce qui va de pair avec la culpabilité, la colère, la tristesse et toutes les choses que les gens comme moi ressentons actuellement ».
Les vidéos originales de « (M)otherland » – « Petah Tikva (Waiting) », « Intake », « Retrieval Stories » et « Motherland » – évoquent l’expérience vécue par Patir concernant le traitement de sa stérilité et les difficultés rencontrées pour trouver une place dans un monde médical dominé par les hommes – elle parle aussi des pressions exercées en faveur d’une FIV financée par l’État.
Sur les vidéos, des animations 3D de figurines féminines de la taille d’une paume de la main – des figurines qui sont communément identifiées comme des amulettes de fertilité. Dans le film, elles sont agrandies et animées par Patir, souvent avec humour, qui les utilise pour se représenter et pour représenter plus largement les femmes de son entourage lorsqu’elles discutent des traitements de fertilité.
Patir travaille avec des artefacts représentant des figurines féminines provenant de l’ancien Levant.
La cinquième et dernière vidéo, « Keening », a été créée après le pogrom terroriste du Hamas, le 7 octobre – elle présente les mêmes figurines ainsi que des milliers de fragments d’amulettes habituellement conservés dans les musées.
Les femmes délaissées et brisées de « Keening » semblent retrouver soudainement un nouveau souffle de vie dans une procession qui rappelle étrangement les nombreux rassemblements en faveur des otages toujours détenus par le Hamas à Gaza qui ont pu être organisés au cours des 14 derniers mois.
Patir, 40 ans, diplômée de Bezalel et de l’université de Columbia – qui aime fusionner documentaire et imagerie générée par ordinateur dans ses œuvres – avait été informée au mois de septembre 2023 que son projet d’œuvre vidéo avait été accepté pour la prestigieuse Biennale de Venise, qui se tient au mois d’avril.
« C’est court pour avoir le temps de produire quelque chose de nouveau », dit Patir qui avait dû créer l’œuvre d’art et réunir les fonds nécessaires à sa production et à son installation.
Puis le pogrom du 7 octobre avait eu lieu – un massacre qui avait plongé l’artiste dans un tourbillon de chagrin et d’angoisse. En décembre, il était devenu évident pour elle que l’œuvre ne pourrait pas être exposée comme prévu.
« Avec mes conservatrices, on faisait le point toutes les deux semaines en anticipant de nombreux bouleversements », indique Patir.
Finalement, Patir, en collaboration avec les conservatrices avec lesquelles elle travaille – Mira Lapidot, qui est conservatrice en chef du musée d’art de Tel Aviv, et Tamar Margalit, qui est également la sœur de cette dernière – a décidé de terminer l’installation, de se rendre à Venise et de déterminer ce qu’elle ferait réellement une fois sur place.
« Nous attendions de voir ce qu’allait faire le gouvernement » face à la crise des otages et à la guerre en cours, explique Patir.
Pourtant, rien ne s’était déroulé comme prévu. La première attaque menée par l’Iran à l’encontre d’Israël avait eu lieu le 1er avril, un jour avant l’ouverture prévue de la Biennale. Les membres de l’équipe de Patir s’étaient ensuite retrouvés bloqués sur le chemin de Venise.
Patir et les deux conservatrices s’étaient alors livrées à un examen de conscience.
« Nous sommes allés dans nos chambres d’hôtel », raconte-t-elle. « Nous avons réfléchi à la façon dont chaque possibilité serait ressentie et nous en sommes arrivées à une décision qui a été prise à l’unanimité ».
Patir avait fermé les portes de son exposition lors de la première journée de l’événement, qui avait ouvert au public le 20 avril.
« L’artiste et les conservatrices du pavillon israélien ouvriront l’exposition lorsqu’un accord de cessez-le-feu ouvrant la voie à la libération des otages aura été conclu », avait-il été écrit sur un panneau collé à la porte du pavillon.
À l’époque, Patir, Lapidot et Margalit avaient dit qu’elles avaient réalisé cette œuvre pour pleurer les femmes, israéliennes et palestiniennes, qui avaient perdu la vie pendant la guerre, pour rendre hommage à celles qui avaient été kidnappées et emmenées à Gaza, à toutes celles qui avaient connu la perte, le déchirement et le deuil.
Elles avaient aussi noté croire en l’existence de deux États pour deux peuples vivant en paix.
« Je pense que [la décision de fermer l’exposition] a ouvert le cœur des gens et qu’elle a entraîné toutes sortes de réactions différentes », explique Patir. « Elle a fait réfléchir les gens et j’ai eu le sentiment à l’époque qu’elle les a amenés à réexaminer leur perception binaire de la réalité ».
L’événement artistique de Venise, qui s’est tenue d’avril à novembre, a attiré un million de visiteurs, dont 750 000 femmes, selon Patir.
Patir, de son côté, était restée pendant une semaine après l’ouverture – visitant les expositions, passant du temps à Venise avec sa famille, rencontrant des mécènes et s’adressant à la presse internationale, essayant d’attirer l’attention sur la problématique du 7 octobre et des otages avec les médias.
Le Musée d’art de Tel Aviv avait déjà prévu d’exposer l’œuvre de Patir au mois de mars, note Lapidot – et l’artiste a été plus que ravie lorsque le Musée juif, dirigé par James Snyder a décidé d’acheter l’œuvre. Snyder a été à la tête du musée d’Israël pendant de nombreuses années et il a travaillé avec Lapidot lorsque cette dernière était conservatrice en chef de l’aile des beaux-arts du musée d’Israël.
Le musée juif a refusé de divulguer le prix payé pour « (M)otherland », et Snyder, dans un communiqué du musée, a remercié les donateurs anonymes qui ont rendu cette acquisition possible.
« Je suis heureuse pour Ruth, » s’exclame Lapidot. « Ce travail a nécessité tant d’efforts et de réflexion, et c’est une bonne exposition qui n’a pas encore été montrée au public. Maintenant, elle aura une scène ».
L’exposition de Patir restera au Musée d’art de Tel-Aviv pendant environ cinq mois avant d’être transférée au Musée juif.
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