Biennale de Venise: une artiste ferme le pavillon d’Israël jusqu’à la libération des otages
Ruth Patir dit qu'elle ouvrira son exposition, "(M)otherland", une fois qu'un accord aura été conclu pour mettre fin à la guerre à Gaza et ramener les otages chez eux
Jessica Steinberg est responsable notre rubrique « Culture & Art de vivre »
Alors que les activistes pro-palestiniens tentent depuis février de convaincre la Biennale de Venise de bannir Israël de la 60e exposition internationale d’art de cette année, l’artiste israélienne Ruth Patir, qui participe à l’événement, a fait volte-face et a verrouillé les portes de son exposition mardi, lors de la première journée de vernissage de l’événement qui ouvrira officiellement ses portes le 20 avril.
« L’artiste et les conservateurs du pavillon israélien ouvriront l’exposition lorsqu’un accord de cessez-le-feu et de libération des otages sera conclu », peut-on lire sur le site de l’exposition israélienne à la prestigieuse manifestation d’art, qui ouvre au public samedi.
« La décision de l’artiste et des commissaires ne vise pas à se censurer eux-mêmes ou l’exposition; ils choisissent plutôt d’adopter une position solidaire avec les familles des otages et la grande communauté israélienne qui appelle au changement », expliquent-ils.
L’artiste israélienne Patir et ses commissaires, Mira Lapidot et Tamar Margalit, ont déclaré dans un communiqué qu’elles avaient choisi de ne pas annuler l’exposition.
Elles ont plutôt pris position en solidarité avec les familles des otages et la communauté israélienne, appelant au changement.
Baptisée « (M)otherland » (mère patrie), l’exposition met à l’honneur le travail de la réalisatrice Ruth Patir sur sa relation avec son pays d’origine à travers une installation vidéo.
L’œuvre vidéo de Patir, « Keening », qui fait partie de son exposition complète, « (M)otherland », est visible à travers les portes et les fenêtres en verre du pavillon israélien.
« Je déteste cela », a déclaré Patir au New York Times à propos de sa décision de ne pas ouvrir l’exposition, « mais je pense que c’est important ».
« Nous sommes devenus l’actualité, et non plus l’art », a expliqué l’artiste et réalisatrice sur Instagram.
« Je m’oppose fermement au boycott culturel, mais comme je pense qu’il n’y a pas de bonne réponse et qu’il y a des limites à ce que je peux faire avec l’espace dont je dispose, je préfère joindre ma voix à ceux qui lancent ce cri : ‘Cessez-le-feu immédiat, ramenez les otages, nous n’en pouvons plus' », a-t-elle ajouté.
« En tant qu’artiste et éducatrice, je m’oppose fermement au boycott culturel, mais j’ai beaucoup de mal à présenter un projet qui parle de la vulnérabilité de la vie à une époque où elle fait l’objet d’un mépris insondable », a déclaré Patir dans un communiqué.
Patir a été choisie pour représenter Israël à la Biennale de Venise le 6 septembre 2023. L’œuvre principale de son exposition, « Keening », a été conçue à la suite des événements douloureux de l’assaut barbare du groupe terroriste palestinien du Hamas sur le sud d’Israël le 7 octobre et de la guerre qui s’en est suivie à Gaza. Cent trente-trois otages sont toujours détenus par des terroristes dans la bande de Gaza, mais au moins 34 ne sont plus en vie.
Le commissaire général de la Biennale, Adriano Pedrosa, a dit « respecter » cette décision. « Je ne les connais pas personnellement, mais je pense que c’est très courageux et aussi très sage », a-t-il déclaré à l’AFP.
En février, les organisateurs avaient confirmé la participation d’Israël malgré un appel au boycott de milliers d’artistes, architectes et commissaires, qualifié de « honteux » par le ministre italien de la Culture.
Les expositions de la Biennale ouvriront le 20 avril et fermeront le 24 novembre.
Diplômée de Bezalel et de l’université de Columbia, Patir conjugue, dans ses œuvres le documentaire et l’imagerie générée par ordinateur.
Les œuvres de Patir commencent souvent par sa propre vie et s’ouvrent progressivement pour aborder des questions sociétales plus vastes.
Dans « Keening », une œuvre vidéo qui se trouve au niveau d’entrée du pavillon israélien, Patir présente des figurines anciennes générées par ordinateur à côté de milliers de fragments laissés de figurines originales.
Les figurines délaissées et brisées prennent vie dans une procession affligée qui ressemble étrangement à l’un des nombreux rassemblements en faveur des otages détenus par le Hamas à Gaza.
Les figurines féminines archéologiques sont des statuettes de la taille de la paume de la main qui ont été agrandies et rendues vivantes, en quelque sorte, grâce à l’animation 3D. Patir travaille avec des artefacts excavés de figurines féminines de l’ancien Levant, des tessons qui sont généralement stockés dans les sous-sols des musées.
Patir et ses commissaires, Lapidot, conservatrice en chef du Musée d’art de Tel Aviv, et Margalit, du Centre d’art contemporain, ont déclaré avoir produit cette œuvre pour rendre hommage aux femmes, israéliennes et palestiniennes, qui ont perdu la vie au cours de la guerre, ainsi qu’à celles qui ont été retenues en captivité et à celles qui ont dû ramasser les morceaux.
Elles ont également déclaré qu’elles croyaient en l’existence de deux États pour deux peuples, vivant en paix.
« Six mois se sont écoulés depuis l’attaque brutale contre Israël le 7 octobre et le début de l’horrible guerre qui fait rage à Gaza », ont déclaré Lapidot et Margalit. « Il n’y a pas de fin en vue, seulement la promesse de plus de douleur, de perte et de dévastation. L’exposition est montée et le pavillon attend d’être ouvert. L’art peut attendre, mais pas les femmes, les enfants et les personnes qui vivent l’enfer. »
Le reste de l’exposition de Patir, présentée aux deux étages supérieurs du pavillon israélien de la Biennale, reflète ses œuvres antérieures et est encore plus personnel.
Patir a appris qu’elle était porteuse de la mutation du gène BRCA2, alors qu’elle avait une trentaine d’années, ce qui l’exposait à un risque de cancer du sein et des ovaires. Cela l’a poussée à congeler ses ovules pour l’avenir.
Patir travaille avec ses anciennes figurines féminines dans le cadre moderne et contemporain des cabinets médicaux, des machines à ultrasons et d’autres procédures invasives pour montrer son malaise et ses questions sur le processus et sa place dans celui-ci.
La guerre a éclaté lorsque des terroristes dirigés par le Hamas ont pris d’assaut le sud d’Israël le 7 octobre, tuant près de 1 200 personnes, principalement des civils, tout en prenant 253 otages de tous âges, en commettant de nombreuses atrocités et en utilisant la violence sexuelle comme arme à grande échelle. 133 otages enlevés par le Hamas lors de l’assaut sauvage du 7 octobre sont encore à Gaza – mais 34 seraient mortes d’après des responsables israéliens.
Israël a répondu à cette attaque, la plus meurtrière de l’histoire du pays et la pire menée contre des Juifs depuis la Shoah par une opération aérienne suivie d’une incursion terrestre dans la bande de Gaza visant à anéantir le Hamas, à mettre fin à son règne de seize ans à Gaza et à libérer tous les otages.
Plus de 33 800 personnes seraient mortes à Gaza depuis le début de la guerre, selon le ministère de la Santé du Hamas. Les chiffres publiés par le groupe terroriste sont invérifiables, et ils incluraient ses propres terroristes et hommes armés, tués en Israël et à Gaza, et les civils tués par les centaines de roquettes tirées par les groupes terroristes qui retombent à l’intérieur de la bande de Gaza. Tsahal dit avoir éliminé 13 000 terroristes palestiniens dans la bande de Gaza, en plus d’un millier de terroristes qui ont pris d’assaut Israël le 7 octobre.
Au total, 88 pays seront représentés à la 60e Biennale d’art de Venise, qui ouverte du 20 avril au 24 novembre avec pour thème « Foreigners everywhere » (« Etrangers partout »).
Ces dernières années, plusieurs pays engagés dans des conflits ou dans des crises politiques ont renoncé à leur participation. En 2022, le commissaire et les artistes russes sélectionnés pour représenter leur pays avaient démissionné en raison de l’invasion de l’Ukraine par la Russie.
L’AFP a contribué à cet article.