Une ambitieuse ONG de terrain entend réparer la société israélienne
Décidée à faire naitre un mouvement de grande ampleur pour faire changer les choses, Rivon4 invite les Israéliens de tous bords à imaginer et faire advenir un avenir d'unité
Le 31 octobre, des centaines d’inconnus se sont retrouvés dans une salle du Centre international des congrès de Jérusalem sans trop savoir quelle serait la suite des événements.
« Cherchez quelqu’un près de vous qui ait l’air différent et présentez-vous », leur a alors expliqué Ella Ringel, cofondatrice et PDG de HaRivon HaRevii (le quatrième quart-temps).
Mes yeux se sont posés sur une jeune femme de petite taille vêtue de la tenue traditionnelle des habitants d’implantations de Cisjordanie – un foulard de la longueur d’un turban, une jupe fluide et des bottes Blundstone.
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Shachar, 26 ans, m’a expliqué avoir grandi dans le quartier de Kiryat Menachem, au sud-ouest de Jérusalem, et vivre depuis quatre ans dans une ferme, au sommet d’une colline, près de Douma, dans le nord de la Cisjordanie, avec son mari qui élève des chèvres.
« Parle de ce que tu aimes », lui a demandé Ringel. Shachar a répondu : « Mes enfants, et le fait que nous soyons en train de vaincre nos ennemis. »
Une fois revenu à sa place, chacun s’est vu demander par Ringel ce qui le gênait le plus.
« Les gens ne s’écoutent plus », a déclaré Yaakov. « Les médias, qui encouragent les divisions », a ajouté Noam, 31 ans. Ron, de Tel Aviv, a déclaré qu’il craignait que les gens qui ont les mêmes valeurs que lui ne disparaissent et que la coexistence devienne « impossible ». Une femme a dit que le gouvernement était déconnecté du peuple et qu’elle se trouvait face à un « désert idéologique débarrassé de toute valeur ».
Nous avons ce jour-là participé à l’une des nombreuses conférences organisées par Rivon4 un peu partout en Israël afin de convaincre les Israéliens de tous bords qu’en ces temps de profondes divisions politiques et sociales, un avenir construit autour du consensus restait possible.
Créée il y a de cela deux ans, cette organisation se targue de compter d’ores et déjà 150 000 abonnés à ses publications digitales, parmi lesquels 25 000 membres actifs au sein de groupes régionaux répartis dans tout le pays.
Elle explique que son objectif n’est ni de faire tomber le gouvernement – comme l’affirme Orit Strouk, députée d’extrême droite du parti HaTzionout HaDatit de Bezalel Smotrich (en hébreu) – ni de soutenir le Premier ministre Benjamin Netanyahu ou son ministre d’extrême-droite de la Sécurité intérieure, Itamar Ben-Gvir, comme le pense cette fois le journal de gauche Haaretz.
Ce collectif de terrain revendique de vouloir établir un gouvernement d’unité et faire émerger des propositions politiques adossées à un large consensus public, substituer au dualisme ambiant du « C’est nous ou eux » l’espoir et des valeurs partagés et enfin faire sortir les gens de leurs certitudes, alimentées par les réseaux sociaux, afin qu’ils écoutent vraiment leurs concitoyens aux points de vue différents.
L’approche conciliante de Rivon4 a trouvé à s’illustrer dans sa réponse au limogeage controversé par Netanyahu du ministre de la Défense, Yoav Gallant, en début de mois, qui n’a pas manqué de susciter des condamnations sonores de la part des partisans de ce dernier (principalement au centre et à gauche) et de bruyantes manifestations de satisfaction à droite.
Au lieu de donner son point de vue, Rivon4 a posé des questions.
Son message sur Facebook disait en substance : « Est-il permis de licencier un ministre de la Défense en temps de guerre ? Oui. Mais une décision d’une telle importance, alors même que nos ennemis n’attendent qu’une chose – que la base faiblisse -, doit être prise de façon à susciter la confiance et favoriser la cohésion et la force du front intérieur. »
« C’est pourquoi les citoyens d’Israël doivent se faire expliquer les choses de manière transparente, convaincante et authentique : en quoi le limogeage du ministre de la Défense pendant la guerre va-t-il aider à arracher la victoire à Gaza et au Liban ? En quoi favorise-t-il notre préparation à l’attaque iranienne, à l’arrivée d’un nouveau président aux États-Unis, aux pressions internationales ? Et surtout, en quoi favorise-t-il le retour des otages ? »
« Par ailleurs, et cela a son importance, cette décision prise dans le contexte de la conscription de milliers d’ultra-orthodoxes [à laquelle Gallant s’opposait avant d’être limogé] heurte la sensibilité des combattants au front. Comment faire pour ramener la confiance, qui a été brisée, chez ces soldats et les familles des réservistes ? »
Leur prophète ? David Ben Gurion
Rivon4 a été créé du temps du bref mandat de Naftali Bennett en qualité de Premier ministre, en 2021-2022.
Ses cofondateurs sont Yoav Heller, consultant en stratégie et historien de la Shoah et de la société israélienne, Ella Ringel, psychologue des organisations qui a travaillé des années durant avec le haut commandement de Tsahal, Eitan Zeliger, propriétaire d’une société de relations publiques et de publicité et enfin Ori Herman, qui a travaillé dans le secteur de la technologie, de la société civile et du gouvernement.
Le nom de l’organisation est un clin d’oeil au quatrième quart de siècle d’existence de l’État d’Israël et un rappel à l’épreuve – prophétisée par David Ben Gurion – à laquelle ferait face le sionisme pour ses 75 ans (soit l’année dernière).
« D’ici là, les enfants qui naîtront ne connaitront plus ni survivants de la Shoah, ni témoins de la génération fondatrice », avait déclaré le tout premier Premier ministre du pays. « Notre croyance en la justesse de notre cause requerra une nouvelle définition, non plus fondée sur ce qui était, mais sur ce qui sera. »
Rivon4 organise des méga-réunions pour présenter ses idées à la société civile, que ce soit sous forme de séminaires, de réunions mensuelles dans des salons privés (il s’en tient des centaines chaque mois) ou de rencontres, certaines en ligne, qui permettent aux participants de rencontrer « les autres », de travailler leur capacité d’écoute et d’échange courtois et de faire des suggestions.
L’événement de lancement du 31 octobre à Jérusalem était consensuel et millimétré, mélange de thérapie de groupe, de stage de motivation d’entreprise et de zèle évangélique.
Tout a commencé par un discours inspirant de Ringel, qui a expliqué que cette réunion avait vocation à faire connaitre Rivon4 et inviter les participants à rencontrer des personnes qui ne pensent pas comme eux.
« Pour sortir d’une crise, un pays doit d’abord se mettre d’accord sur le problème à régler », a expliqué Ringel en reprenant les arguments de Jared Diamond, universitaire américain expert des questions de société et auteur de « Upheaval : How Nations Cope with Crisis and Change ».
Elle a par ailleurs cité le regretté rabbin britannique Jonathan Sacks, qui faisait le distinguo entre optimisme – « un sentiment » qui va et vient – et espoir. « L’espoir suppose de pouvoir rêver, d’avoir des objectifs clairs et d’agir », a-t-elle rappelé.
Le président américain John F. Kennedy a fait preuve d’une réelle vision pour l’avenir, en 1961, en fixant l’objectif de faire atterrir un homme sur la lune avant dix ans, a poursuivi Ringel. Où est le Kennedy d’aujourd’hui ?
« Nous méritons mieux », a-t-elle assuré. « Il est impossible que nous n’osions pas l’imaginer. »
Un peu partout dans le monde, les démocraties sont « en difficultés », a-t-elle poursuivi, « et nous faisons tous partie du problème ».
Après avoir fait état de notre orientation religieuse au moment de l’inscription à la conférence, nous avons tous été dirigés vers de grandes tables rondes : la plupart des gens étaient soit laïcs, soit religieux. La modération d’une de ces tables avait été confiée à Nora Muller, médecin retraitée venue de Kfar Saba, dans le centre d’Israël, et originaire d’ex-Union soviétique.
Qu’est-ce qui nous a tous amenés ici, a-t-elle demandé ? Hani, une jeune mère dont le degré de pratique religieuse était difficile à évaluer, a déclaré qu’elle craignait pour l’avenir de ses quatre enfants.
L’auteure de cet article était assise aux côtés d’un rabbin d’origine algérienne élevé dans le milieu Haredi (« Je suis nationaliste religieux maintenant ») et organisateur de réunions interconfessionnelles en Suisse, un homme en tricot portant une kippa venu de France il y a de cela 50 ans et une grand-mère de Maale Adumim en Cisjordanie, près de Jérusalem.
Müller nous a divisés en groupes de quatre et nous a donné de quoi discuter dans un temps imparti. Qu’est-ce qui nous intéresse dans cet événement ? Qu’est-ce qui nous inquiète ? Quelque chose en particulier a-t-il attiré notre attention dans ce qui s’est dit ? En quoi chacun d’entre nous fait-il partie du problème ? À la fin, elle a distribué des cartes avec des conseils sur l’écoute avec empathie.
Notre quatuor était uni par la crainte des conséquences de la fermeture du monde haredi sur l’unité du pays, qu’illustre l’opposition du monde rabbinique à ce que les membres de sa communauté servent dans l’armée à un moment où les réservistes déployés à Gaza et au Liban s’épuisent.
Unis, dans la peur
A la pause, les gens ont continué à parler, en petits groupes.
L’un des rares hommes haredim identifiables, la trentaine, a été littéralement assailli par des femmes nationalistes religieuses et laïques désireuses d’avoir son point de vue sur plusieurs questions.
Le jeune homme a expliqué avoir fait son service militaire, ce qui en fait un membre peu représentatif du monde haredi.
En conclusion de cet événement, Yoav Heller a donné une conférence en reprenant et développant la théorie du quatrième quart-temps, inspirée par des universitaires tels que le professeur John Haldon, de l’Université de Princeton ou le professeur David Passig, de l’Université Bar-Ilan, et des livres comme « The Fourth Turning ». Axé sur l’histoire américaine, cet ouvrage postule que l’histoire moderne obéit à des cycles de 80 à 100 ans, chacun composé de quatre « tournants ».
Selon la théorie que Heller et ses collègues de Rivon4 ont présentée au public, le premier quart-temps d’Israël a été celui du retour à Sion et de la défense des frontières. Le deuxième, celui de la création des infrastructures de l’État. Le troisième, celui de l’enrichissement du pays et des gains de puissance militaire, avec un mouvement de distanciation des citoyens avec l’histoire fondatrice. Ne se sentant plus menacés par l’extérieur, ils ont commencé à se battre les uns contre les autres à l’intérieur. Des groupes – nombreux – ont revendiqué que le pays ressemble exactement à leurs désirs, ce qui a fait naitre des dissensions internes exploitées par ses ennemis le 7 octobre 2023. Ce jour-là, des terroristes du Hamas ont franchi la frontière de Gaza pour assassiner 1 200 personnes et faire 251 otages séquestrés, depuis, dans l’enclave palestinienne.
Heller a fait face à des questions difficiles de la part du public.
« Voulez-vous un État démocratique ou juif ? », a demandé Dean, venu de Jaffa, près de Tel Aviv. Une femme du kibboutz Ramat Rachel, à Jérusalem, lui a demandé si l’idéologie était inacceptable.
Plusieurs personnes ont relevé que le public était dans l’ensemble éduqué et sioniste laïc ou religieux et, par conséquent, un reflet tronqué de la société israélienne.
Charismatique et drôle, Heller a essayé de retourner les questions en se réjouissant que tant de personnes soient venues et en ajoutant que l’organisation, qui compte déjà 150 000 fidèles, « était en train de faire émerger quelque chose de très puissant ».
Il a ajouté que Rivon4 estimait que ses membres les plus actifs étaient à 40 % laïcs, 35 % sionistes, 21 % traditionnels, 4 % haredim et seulement 1 % arabes. Il a ajouté que 55 % se situaient à droite, politiquement parlant, et 45 % au centre ou à gauche.
Jusqu’à présent, le mouvement a mené une campagne à l’échelon national en faveur d’un gouvernement d’unité, proposé d’intégrer les hommes ultra-orthodoxes au sein de l’armée israélienne et rédigé un « document fondamental » appelé L’histoire israélienne, résultat d’une année d’échanges entre un millier de personnes et nourri par près de 10 000 commentaires.
Destiné à définir ce qu’est Israël, il avance 10 principes parmi lesquels l’État d’Israël est l’État-nation du peuple juif qui réalise l’idéal sioniste, Israël est un État juif, avec des caractéristiques juives dans l’espace public, et le foyer naturel du monde de la Torah et de la croyance, Israël est une démocratie libérale dans ses valeurs comme dans son système de gouvernement, les citoyens arabes d’Israël sont des partenaires à part entière dotés des mêmes droits ou encore la paix est un idéal, et Israël aspire à la paix avec ses voisins.
Hadas Lahav, responsable des questions politiques chez Rivon4, a plus tard expliqué au Times of Israel que les militants et experts travaillaient sur huit propositions cadres englobant des sujets tels que la religion et l’État, les systèmes éducatifs (Israël en a quatre : religieux, laïcs, haredim et arabes, tous hermétiques), la sécurité, l’économie, les réseaux sociaux ou l’équilibre des pouvoirs de l’État, de façon à minimiser les frictions et favoriser la responsabilité.
Lahav a expliqué que les groupes de réflexion étaient conduits par des militants dotés d’une expertise des sujets et que les projets de cadres étaient ensuite ouverts aux commentaires lors de séminaires, de groupes régionaux ou via une plateforme numérique pilote pour les questions de religion et d’État. Elle a déclaré que les propositions reprenaient des « idées très concrètes » faisant l’objet d’un compromis.
Elle a poursuivi : « Nous ne sommes pas des lobbyistes. Nous faisons émerger des emblèmes et nous espérons que les gens penseront, comme nous, que c’est sur cette base que les politiciens doivent agir. L’idée est de faire émerger un discours public parce qu’en fin du compte, les politiciens veulent plaire à la population, une population qui a oublié qu’elle avait une voix. »
Elle a conclu : « Il y a des extrémistes des deux côtés. Ils en ont le droit. Mais il y a assez de gens entre les extrêmes qui refusent de tomber dans le piège du pour ou contre. La plupart des gens sont des sionistes modérés, et ils n’ont pas de structure à eux. »
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