Une école de Vienne retrace l’histoire de 50 élèves juifs qu’elle avait expulsés
Dans un contexte d'ignorance profonde de l'histoire de la Shoah en Autriche, un lycée a lancé un projet pour déterminer le sort réservé à ses élèves expulsés sous les lois nazies

JTA — A la veille de Yom HaShoah, un lycée public de la capitale autrichienne a voulu corriger son propre registre historique.
En plus d’un mémorial consacré aux soldats de la Seconde Guerre mondiale, le Gymnasium Kundmanngasse a dorénavant posé une plaque portant les noms de 50 élèves juifs qui avaient été expulsés de cet établissement scolaire de Vienne, il y a 81 ans exactement. Et le récit des vies de ces élèves – certaines interrompues prématurément et de manière tragique – figure aujourd’hui dans un livre qui a été écrit par les adolescents qui fréquentent maintenant le lycée.
La date de la pose de ce nouveau mémorial, le 25 avril, a presque coïncidé avec la diffusion d’une nouvelle enquête qui a révélé un manque de connaissances décourageant de la Shoah parmi de nombreux adultes dans le pays.
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Mais cette Etude sur la connaissance et la conscience de la Shoah a aussi montré un attachement profond des Autrichiens pour l’enseignement du génocide, en particulier parmi les jeunes adultes.
Les résultats de l’enquête
L’étude avait été commanditée par l’organisation Claims Conference, basée à New York, et elle a été rendue publique le 2 mai, pour Yom Hashoah.
Parmi les résultats de l’étude :
58 % des Autrichiens ne savent pas que six millions de Juifs ont été assassinés pendant la Shoah.
36 % des personnes interrogées ont jugé penser qu’on parlait trop de la Shoah.
28 % ont indiqué penser que de nombreux Autrichiens s’étaient comportés de manière héroïque pour sauver des Juifs lorsque, en fait, 109 ont été reconnus comme sauveteurs par Yad Vashem, le musée du mémorial israélien de la Shoah.
Du côté positif, 82 % des personnes sondées – et 87 % des plus jeunes – ont affirmé que l’enseignement de la Shoah était important.
Ces données ont été collectées auprès d’un échantillon représentatif de la population au niveau démographique mais choisi de manière aléatoire, composé de 1 000 adultes autrichiens. Elles ont été analysées par l’agence Schoen Consulting à New York.

« D’un côté, il y a des résultats troublants et problématiques », a déclaré au JTA Greg Schneider, vice-président exécutif de la Claims Conference. « De l’autre, il y a cette reconnaissance qu’il est important de savoir ce qu’a été la Shoah – ce qui est réellement porteur d’espoir. Cela nous donne une feuille de route pour nous assurer que la Shoah est enseignée dans les écoles, avec le contexte et le soutien appropriés ».
Le premier devoir de l’enseignement de la Shoah est « d’honorer la mémoire de ceux qui ont été tués », a-t-il ajouté.
Oskar Deutsch, président des communautés juives en Autriche et à Vienne, a pour sa part indiqué que « le manque de connaissance de la Shoah chez de nombreux Autrichiens, tel qui a été révélé par le biais de cette étude, crée une mission non seulement pour les professeurs et les politiciens, mais aussi pour la société toute entière. Une prise en charge sincère des incidents antisémites, aujourd’hui, et des mauvaises représentations de la Shoah est cruciale ».
En comparaison avec l’Allemagne, l’Autriche a été lente à se confronter au rôle tenu par le pays dans les persécutions commises à l’encontre de sa population juive et dans le génocide.
Ce qui avait pu être qualifié d’ignorance volontaire avait toutefois changé de manière spectaculaire dans les années 1980, lorsque le passé nazi du candidat à la chancellerie Kurt Waldheim avait été posé sur la table.
Il avait été élu malgré les questions soulevées sur son rôle pendant l’occupation.
En l’an 2000, le ministère autrichien de l’Education, des Sciences et de la recherche avait mis au point un programme d’enseignement de la Shoah – errinern.at, ou « commémoration.at » – qui supervise dorénavant les projets d’éducation aux niveaux national et de l’Etat, avec l’aide d’autres fondations.
Ses programmes atteignent des milliers de professeurs et d’élèves chaque année.
Il y a aujourd’hui un « large consensus sociétal sur le fait que l’Autriche a une responsabilité, une part à assumer dans cette histoire », a commenté Martina Maschke, présidente d’errinern.at, lors d’un entretien réalisé avant la diffusion des résultats de l’enquête de la Claims Conference.
Dans la mesure où la Shoah est une référence en termes de génocide, « il n’y aura jamais trop d’enseignement de la Shoah ».

Des propos qui prennent une importance particulièrement claire, a ajouté Maschke, dans un contexte d’essor de la droite et d’augmentation de l’antisémitisme de la part de migrants « socialisés dans les pays musulmans ».
« Bien sûr, l’administration est toujours à la traîne du fait politique et c’est quelque chose qui m’attriste profondément », a-t-elle continué. « Mais je pense que c’est le cas dans toutes les sociétés ».
En fait, a expliqué Schneider, les résultats de l’étude réalisée en Autriche sont similaires à ceux livrés par de récentes enquêtes commanditées par la Claims Conference aux Etats-Unis (avril 2018) et au Canada (janvier 2019).
Selon lui, elles partagent toutes « le même manque de connaissance consternant et un attachement énorme à l’enseignement de la Shoah, considéré comme primordial ».
Changer le registre
C’est un attachement de ce type qui a inspiré Katharina Fersterer, professeure d’histoire et d’anglais au Gymnasium Kundmanngasse.
Cela fait longtemps que Fersterer, une jeune femme de 29 ans, s’intéresse à l’histoire de la Shoah. Le ministère autrichien de l’Education l’avait envoyée participer à un programme d’été à Yad Vashem, il y a deux ans, et elle était revenue bien déterminée à corriger le registre historique de son lycée à temps pour son 150e anniversaire, cette année.
« Mon principal m’a dit : ‘Oui, faisons donc cela’, » se souvient Fersterer.
Ses élèves ont retrouvé les noms de 50 élèves qui avaient été dans l’obligation de quitter l’établissement au mois d’avril 1938, peu de temps après l’annexion de l’Autriche par l’Allemagne.
« Mais nous ne nous sommes pas arrêtés à cela. Nous avons voulu savoir ce qui leur était arrivé », a noté Fersterer.

Et il s’est avéré que la majorité des anciens lycéens juifs étaient parvenus à fuir l’Autriche occupée par l’Allemagne nazie via le Kinderstransport, une opération de sauvetage qui avait permis à des enfants juifs d’Allemagne, d’Autriche et de la Tchécoslovaquie de l’époque de se réfugier en Angleterre en 1938 et 1939.
« Mais certains d’entre eux ont été également tués dans les camps de concentration », précise-t-elle.
Ensuite, les lycéens ont commencé à se mettre en quête des descendants des survivants. Et finalement, le projet – qui a compris des activités artistiques et filmées – s’est élargi aux élèves et aux professeurs d’autres départements.
C’est à ce moment-là qu’Elia Ben-Ari, originaire d’Arlington, en Virginie, a reçu son tout premier message sur Facebook de la part de Samuel, un lycéen de 17 ans de la classe de Fersterer qui a demandé à n’être identifié que par son prénom.
Son message est « arrivé de nulle part », s’est exclamée Ben-Ari lors d’un entretien récent, « de la part de quelqu’un qui me disait qu’il était en train de réaliser un projet consacré à mon père. Ma première réaction a été : ‘Mais qui c’est ? Comment puis-je savoir si tout ça est sérieux ? »
Samuel avait alors choisi de consacrer son travail à deux élèves – Ernst Ratzer, qui n’avait pas survécu à la Shoah, et Martin Buchbinder, arrivé en Angleterre en 1939 et qui avait plus tard changé son nom, optant pour celui de Moshe Ben Ari. Après avoir vécu en Israël, il s’était finalement installé à Long Island, dans la banlieue de New York, avec sa famille. Il était mort en 2011.
Coup de chance, Moshe Ben Ari avait écrit une autobiographie – « My Pre-American History » – qui aura donné à Samuel suffisamment d’informations pour continuer son travail. Même si cela ne devait être que le début de ses recherches.
« J’ai été réellement surpris de trouver un proche et lorsqu’il s’est avéré qu’il s’agissait de sa fille, j’étais vraiment très excité et très heureux », explique Samuel.
Un élan local
Le 25 avril, l’école a organisé une cérémonie de pose d’une plaque commémorant les 50 anciens élèves juifs.
« Et nous avons dorénavant une sorte de livre qui retrace toute l’histoire de leurs vies », dit Fersterer.
Ce livre a été rangé à côté de l’autobiographie de Moshe Ben-Ari dans la salle où la plaque a été installée. Les deux ouvrages sont à la libre disposition des élèves.

« Il est indubitable qu’il y a des enseignants qui parviennent à remplir leur mission, qui font beaucoup », note Richelle Bud Caplan, directrice au département européen de l’école internationale de Yad Vashem pour les études sur la Shoah et membre du groupe de travail qui est intervenu dans l’étude commanditée par la Claims Conference.
« Cela n’a rien à voir avec des financements. Tout dépend du soutien apporté à l’administration scolaire à la création d’un élan local, d’une communauté d’apprentissage », explique-t-elle.
« Nous désirons vraiment », dit-elle, « que les gens puissent se concentrer sur des histoires individuelles pour que les jeunes puissent créer un lien » et qu’ils comprennent que « la majorité de ceux qui ont vécu cette période à la fois complexe et difficile n’ont pas survécu ».
« Notre école avait un mémorial consacré aux soldats morts au combat pendant la Seconde Guerre mondiale mais elle n’avait pas de mémorial en souvenir de ses élèves juifs », dit Samuel, qui arpente aujourd’hui les mêmes couloirs et qui grimpe les mêmes escaliers que ces derniers arpentaient hier.
« Je peux imaginer que ça a été terrible », ajoute-t-il. Lors de la dernière journée que les élèves avaient passé au lycée, « une foule s’était formée à l’entrée de l’établissement et quelques professeurs et élèves parmi les plus déterminés leur crachaient dessus et les insultaient. Les adieux n’ont pas été aimables en quelque sorte, comme vous pouvez l’imaginer ».
Quant à Ben Ari, elle regrette de ne pas avoir pu être présente à la cérémonie de pose de la plaque. Mais « mon père aurait été reconnaissant d’apprendre que quelqu’un a lu son histoire et s’en est soucié ».
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