Une hotline liée à un ministre conseille aux Haredim d’ignorer les ordres de conscription
Le centre d’assistance de Meir Porush conseille à un père d'étudiant en yeshiva de ne pas répondre aux ordres de conscription de Tsahal, suscitant des appels à une enquête

Des étudiants de yeshivot inquiets, appelant une hotline liée au ministre des Affaires de Jérusalem, Meir Porush, ont reçu à plusieurs reprises le conseil d’ignorer les ordres de conscription et de mentir à l’armée israélienne, a révélé le Times of Israel. Ces révélations ont déclenché des appels à une enquête criminelle, en raison de possibles violations de la loi de 1986 sur le service de sécurité.
Le service d’assistance téléphonique a été mis en place en réaction aux pressions croissantes de Tsahal pour enrôler les jeunes ultra-orthodoxes, jusque-là largement exemptés du service militaire. Il s’inscrit également dans la campagne des partis haredim visant à garantir que la nouvelle loi en préparation maintienne autant que possible ces exemptions.
Lors d’un rassemblement de son mouvement Shlomei Emunim en décembre, Porush avait annoncé la création « ces derniers jours, un centre d’assistance destiné à ceux qui sont confrontés à la menace de la conscription, hébergé dans le bureau central des enquêtes publiques du centre Agudat Yisrael de Jérusalem ».
« Bien que la situation semble insoluble et que l’on ignore dans quelle mesure nous pourrons répondre à toutes les demandes et sauver ceux qui nous sollicitent du danger de la conscription, nous ferons tout notre possible pour aider les érudits de la Torah à se replonger dans l’étude sans soucis inutiles », avait-il encore déclaré.
Shlomei Emunim est une composante d’Agudat Yisrael, qui représente les intérêts de la communauté hassidique au sein du parti Yahadout HaTorah, membre de la coalition gouvernementale. L’autre faction de Yahadout HaTorah est Degel Hatorah, qui représente le courant ultra-orthodoxe non hassidique.
Suite à cette annonce, le Times of Israel a contacté la hotline pour enquêter sur ses activités. Un représentant a affirmé ne pas être en mesure de fournir « des conseils » aux jeunes en âge d’être enrôlés.
Il a affirmé que la hotline avait été créée uniquement pour offrir des conseils juridiques gratuits aux « personnes plus âgées, mariées, et confrontées à divers problèmes personnels pouvant justifier une exemption du service militaire ».

Une affirmation qui n’est que partiellement vraie. De nombreux membres, actuels et anciens, de la communauté ultra-orthodoxe ayant contacté la hotline ont, en effet, déclaré avoir reçu des instructions explicites pour ignorer les convocations militaires et entraver les démarches des autorités visant à faire appliquer la conscription.
Une pratique systématique
Zalman, membre de la communauté ultra-orthodoxe, affirme qu’on lui a conseillé de ne pas tenir compte des ordres de conscription envoyés à son fils. Toutes les personnes ayant contacté la hotline et ayant témoigné auprès du Times of Israel ont accepté de le faire sous un pseudonyme, par crainte de représailles.
« À ce stade, ils suggèrent simplement d’ignorer l’ordre et de ne pas y répondre », explique-t-il. « Si vous avez reçu un ordre d’appel initial, vous êtes comme des milliers d’autres. Il ne faut rien faire, juste l’ignorer. »

Dovid, un ancien hassid, a lui aussi reçu des instructions de la hotline, mais cette fois, il s’agissait de mentir à Tsahal sur la localisation de son fils.
« En général, avec un garçon de 17 ans, il n’y a rien de particulier à faire. Si quelqu’un appelle, dites simplement que vous n’êtes pas en contact avec votre fils et que vous ignorez où il se trouve. Ne mentionnez surtout pas qu’il a eu connaissance des ordres de conscription », lui a conseillé la ligne d’assistance téléphonique.
On lui a également recommandé de dire à son fils d’éviter toute manifestation et de ne donner aucun prétexte à la police pour lui demander ses papiers, ce qui pourrait révéler qu’il est un « réfractaire à la conscription ».
Chaim, un étudiant de yeshiva âgé de 19 ans, a expliqué que la hotline ne lui avait pas explicitement conseillé d’ignorer les ordres. Au contraire, on lui a dit de ne pas s’inquiéter, de se relaxer et de ne revenir chercher des conseils que lorsqu’un mandat d’arrêt serait émis contre lui.
« Ils n’arrêtaient pas de me répéter que tant qu’il n’y avait pas de mandat d’arrêt, il n’y avait aucune raison de s’inquiéter. Alors j’ai demandé : ‘Et s’il y en a un ?’ – ‘Appelez-nous et nous vous aiderons’, m’ont-ils répondu. » raconte Chaim.
Depuis l’arrêt rendu l’été dernier par la Haute Cour de justice, ordonnant au gouvernement d’enrôler les étudiants ultra-orthodoxes des yeshivot, Tsahal a envoyé des milliers d’ordres de conscription et émis 1 212 mandats d’arrêt. La semaine dernière, un étudiant de yeshiva ultra-orthodoxe a été arrêté à l’aéroport Ben Gourion alors qu’il tentait de quitter le pays pour échapper à un ordre d’incorporation.

Certains membres de la communauté accusent la hotline et d’autres initiatives similaires de faire plus de mal que de bien, en induisant en erreur ceux qui cherchent à éviter la conscription sur les conséquences réelles de leurs actes.
« Cette approche est extrêmement malavisée et risque de causer des dommages considérables », déplore Moshe, un ultra-orthodoxe d’une vingtaine d’années ayant consulté plusieurs lignes d’assistance concurrentes, gérées par différents groupes de la communauté haredi.
« Ces organisations ne sont qu’une façade masquant l’échec plus large des députés de la Knesset et des politiciens, incapables d’agir. Il est absurde de mettre en place ces structures à grande échelle, car elles n’ont, en réalité, aucune solution à offrir. »
« Il est, à mon avis, irresponsable de dire aux gens [d’éviter l’armée] sans leur expliquer les implications. On devrait leur dire clairement : écoutez, vous serez considérés comme des déserteurs, autrement dit comme des criminels avec un casier judiciaire. Or, ces hotlines ne le disent pas, et beaucoup ignorent totalement dans quoi ils s’engagent. »
Une opération « illégale »
« Il ne fait aucun doute que cette opération est illégale », a déclaré Elazar Stern, ancien chef des ressources humaines au sein de Tsahal et député de Yesh Atid, au Times of Israel. Il a qualifié les conseils prodigués par la hotline de « contraires à l’éthique », ajoutant qu’il n’était pas surpris de voir le ministre Meir Porush « encourager les gens à tricher ».
Stern est membre de la commission des Affaires étrangères et de la Défense de la Knesset, qui débat actuellement d’un projet de loi controversé sur la conscription, exigé par les partenaires ultra-orthodoxes de la coalition du Premier ministre Benjamin Netanyahu.

S’exprimant sous couvert d’anonymat, un haut responsable du Likud, le parti au pouvoir de Netanyahu, a également reconnu que la hotline d’Agudat Yisrael était « définitivement en violation de la loi existante. »
« Je pense que nous comprenons tous la réalité de la coalition, mais le Premier ministre doit au moins établir très clairement qu’il ne tolérera pas ce comportement de la part d’un membre de son gouvernement. »
Dans un e-mail adressé au Times of Israel, Tomer Naor, avocat du Mouvement pour un gouvernement de qualité en Israël, a indiqué que son organisation comptait saisir la police et la procureure générale pour demander l’ouverture d’une enquête criminelle sur cette affaire.
Réagissant aux témoignages des appelants de la hotline, Naor a décrit « un tableau très préoccupant », suggérant que des éléments directement liés à un parti au pouvoir dirigeraient un système entier facilitant la violation des lois de l’État d’Israël.
« Rappelons que le code pénal prévoit de lourdes peines de prison pour quiconque incite ou encourage une personne astreinte au service militaire à s’y soustraire. Les faits décrits… pourraient constituer une infraction pénale, en particulier en période de guerre. »

Aucun lien avec la faction Agudat Yisrael
Lorsque le Times of Israel s’est rendu mercredi matin dans les locaux de la hotline d’Agudat Yisrael, un employé a renvoyé toutes les questions à un porte-parole de l’initiative, qui s’est avéré être Shmuel Kramerski, représentant du ministre Meir Porush.
Interrogé sur le fonctionnement de la hotline, Kramerski a simplement répondu que les personnes impliquées avaient été instruits « d’agir en accord avec les directives de leurs rabbins ».
« Le rôle de la hotline est de conseiller et d’orienter les appelants qui choisissent d’agir conformément aux instructions de leurs rabbins. Il ne s’agit pas de leur dicter une ligne de conduite ni de leur recommander une action particulière », a déclaré Shmuel Kramerski.
Il a ajouté que tout représentant ne respectant pas cette directive ferait l’objet de sanctions disciplinaires.

Un porte-parole du ministre du Logement, Yitzhak Goldknopf, président d’Agudat Yisrael, a nié tout lien entre son supérieur et la hotline. « Cela relève de Porush. Les institutions d’Agudat Yisrael à Jérusalem lui appartiennent », a-t-il déclaré au Times of Israel.
De son côté, la police israélienne n’a pas répondu aux demandes de clarification concernant la légalité des activités de la hotline. Le bureau du porte-parole de Tsahal s’est également refusé à tout commentaire.
Interrogé sur la question, le bureau du Premier ministre a renvoyé le Times of Israel vers le parti Likud de Netanyahu, qui n’a pas donné suite.
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