200 000 personnes demandent au gouvernement de ne pas abandonner la réforme
Les participants à ce rassemblement ont affirmé que l'affaiblissement du pouvoir judiciaire voulu par le gouvernement représentait la volonté d'un peuple jusqu'alors bâillonné
Une foule de soutiens du gouvernement de droite du Premier ministre Benjamin Netanyahu s’est rassemblée autour de la Knesset, à Jérusalem, jeudi soir, pour tenir leur plus grand rassemblement de soutien au projet de réforme du système judiciaire, face à l’opposition généralisée en Israël comme à l’étranger.
La police n’a pas donné de chiffres officiels, mais les estimations des chaines d’information – citant des chiffres d’instituts spécialisés dans l’estimation des foules – varient de 150 000 à 200 000 personnes.
Les organisateurs de cette manifestation la qualifient déjà de « Marche du million ».
Un millier de bus ont sillonné le pays pour acheminer les participants au rassemblement, a rapporté la Douzième chaine, qui a ajouté que le Likud de Netanyahu et le parti d’extrême droite HaTzionout HaDatit avaient dépensé des centaines de milliers de shekels dans l’organisation de l’événement.
La taille de la foule, hier, était du même ordre que celle des rassemblements du samedi soir contre la réforme de la Cour suprême, qui ont lieu chaque semaine depuis près de quatre mois.
Jeudi, les pro-réforme ont fait la part belle aux jeunes Israéliens religieux, car une part importante des manifestants n’avaient manifestement pas l’âge de voter. Une noria de bus ont acheminé des manifestants depuis la Cisjordanie. Nombre d’entre eux arboraient le drapeau national, jusqu’ici adopté par les manifestants anti-réforme.
Ce rassemblement a été le tout premier de cette ampleur de la part des pro-réforme, et ses organisateurs ont voulu montrer qu’ils représentaient la majorité et que le projet de réforme était une conséquence logique de la victoire du bloc pro-Netanyahu aux élections législatives du 1er novembre dernier, qui a permis au chef du Likud de former une coalition de 64 voix sur les 120 que compte le parlement.
Le public a soutenu la réforme « lors d’un référendum il y a six mois », a déclaré le ministre de la Justice Yariv Levin à la foule, en référence aux élections qui ont porté la coalition radicale au pouvoir.
Des intervenants ont exprimé leur soutien aux négociations, amorcées le mois dernier, avec l’opposition pour dégager un compromis. Netanyahu a en effet accepté de suspendre temporairement les travaux législatifs en vue de la réforme, mais nombre des intervenants ont clairement dit leur attachement au projet de réforme.
D’autres têtes d’affiche ont fait savoir à Netanyahu qu’il n’avait pas besoin de faire de compromis.
Les principaux architectes de la réforme et des membres du gouvernement ont également pris la parole, à l’exception de Netanyahu, qui est demeuré à l’écart mais a adressé via Twitter un message de remerciement.
« Je suis profondément ému par le soutien incroyable du camp national qui est venu en nombre à Jérusalem ce soir », a écrit le Premier ministre sur Twitter, avec des photos témoignant de la forte participation.
« Nous tous, les 64 sièges de la Knesset qui nous ont amené la victoire, sommes des citoyens de première classe », a-t-il ajouté.
Nombre de membres de la coalition de droite se qualifient eux-mêmes de « citoyens de seconde classe », affirmant que leur voix vaut moins que celle des manifestants pro-réforme.
De nombreux discours, lors de ce rassemblement de jeudi, allaient au-delà des arguments pro-réforme pour se plaindre d’une élection qu’ils estiment « volée » : ils affirment en effet que le projet de limitation des pouvoirs de la Cour suprême correspond à la volonté du peuple, que l’on tente de réduire au silence.
S’exprimant sur fond de slogans disant « Le peuple exige une réforme judiciaire », Levin a déclaré : « La nation a voté pour une réforme judiciaire. »
« Ici, sur cette scène, se trouvent les 64 sièges à la Knesset déterminés à corriger les injustices. Plus d’inégalités, plus de système judiciaire unilatéral, plus de tribunaux dont les juges sont au-dessus de la Knesset et au-dessus du gouvernement », a-t-il déclaré, utilisant les arguments rebattus du camp pro-remaniement et minimisant les sondages d’opinion qui ont constamment montré un effondrement du soutien aux partis de la coalition.
Les partisans de la réforme assurent qu’elle a vocation à rétablir l’équilibre entre les différents pouvoirs après des décennies d’activisme judiciaire. Ses opposants affirment qu’Israël ne sera plus une démocratie libérale si ces projets sont mis en œuvre et les experts en sécurité, économie et droit mettent en garde contre les graves conséquences à en attendre.
Lorsque le ministre de la Justice a pris la parole jeudi, la foule a hué chaque évocation de la Cour suprême.
Avant le rassemblement, des participants ont été filmés en train de piétiner une photo géante de la présidente de la Cour suprême Esther Hayut, de la procureure générale Gali Baharav-Miara, de l’ancien juge en chef Aharon Barak, de l’ancien procureur général Avichai Mandelblit et de l’ancien procureur de l’État Shai Nitzan, et de scander des slogans qui leur étaient défavorables.
On ignore à ce stade s’il s’agit d’une démonstration intentionnelle ou si la photo est accidentellement tombée avant d’être ensuite remise en place par des militants en route vers la Knesset.
יכול רק לדמיין כמה היו משתוללים פה אם היו מניחים תמונות של נתניהו על הכביש בבלפור ונותנים להמון לעבור על פניו.
מעריך כל מי שיוצא מהבית להפגין על מה שחשוב לו אבל זה? מיותר ומביש. pic.twitter.com/IDig91zPkL
— Josh Breiner (@JoshBreiner) April 27, 2023
Quoi qu’il en soit, les images ont déclenché un tollé dans le camp des anti-réforme et le chef de l’opposition, Yair Lapid, a dit que ces images l’avaient empli d’une « grande honte et d’une grande tristesse ».
« C’est [aussi] ce que tous les Israéliens qui font partie de la majorité saine d’esprit ont ressenti lorsqu’ils ont piétiné la photo des juges de la Cour suprême. Cela ne s’est pas produit lors d’un rassemblement de La Familia [groupe d’extrême droite], mais lors d’une manifestation organisée par le Premier ministre Netanyahu et financée par le Likud, en présence du ministre de la Justice Levin. »
Lors du rassemblement, Levin a tenté de dissiper les critiques de la réforme.
« On nous dit que si la réforme passe, ce sera la dictature. Rien n’est moins vrai. Montrez-moi une démocratie où les conseillers juridiques prennent des décisions à la place du gouvernement », a-t-il déclaré, évoquant un pan de la réforme qui permettrait aux ministres de nommer – et révoquer – leurs conseillers juridiques, pour ne pas avoir à suivre l’avis juridique d’un conseiller susceptible de ne pas être du même bord idéologique.
Il a également exprimé son soutien aux négociations de compromis, contre l’avis de ceux qui souhaiteraient que la réforme judiciaire soit adoptée telle quelle.
« Je suis convaincu que nous pouvons parvenir à un accord », a-t-il déclaré, sous les huées de certaines personnes du public.
« Un accord, c’est-à-dire une négociation sérieuse et une volonté [de l’opposition] d’accepter la réalité de cette réforme. »
Il a affirmé que les représentants de l’opposition aux négociations, dirigées par le président Isaac Herzog, avaient dit « non à toutes les propositions ».
La réforme n’a pas vocation à donner un contrôle politique sur les tribunaux, a-t-il déclaré.
« Nous voulons une Cour suprême pour tout le monde : libéraux, conservateurs, droite, gauche, tout le monde. »
« Le temps est venu d’avoir une Cour suprême qui n’accorde pas de droits aux familles des terroristes et qui n’autorise pas les faux services commémoratifs avec les soutiens du terrorisme. »
Israël a besoin d’une Cour qui « punisse les violeurs et ne cherche pas à les protéger », a-t-il ajouté. « Une Cour qui protège les soldats de Tsahal et non les voisins des terroristes. »
Levin a également déclaré, sous les acclamations, que les attaques dont il était victime « ne faisaient que me renforcer » et a promis de faire « tout ce qui est en son pouvoir » pour mener à bien la réforme.
Son prédécesseur au poste de ministre de la Justice, Gideon Saar, du parti d’opposition Kakhol lavan, a dit du discours de Levin qu’il s’agissait d’« un des discours les plus graves d’incitation à la haine contre le système judiciaire qu’il chapeaute ».
Saar a ajouté qu’il était destiné à « torpiller les pourparlers de compromis et poursuivre la délégitimation du système judiciaire, afin de le démanteler et de le placer sous sa tutelle ».
Dans son discours lors de ce rassemblement, le ministre des Finances Bezalel Smotrich a affirmé que les opposants à la réforme avaient les médias et les magnats à leurs côtés, « alors que nous, nous avons avec nous les gens qui nous demandent de réparer ce qui ne marche pas ».
« Le peuple veut une réforme judiciaire, et il l’aura. Nous ne renoncerons pas à faire de l’État d’Israël un meilleur pays », a déclaré Smotrich.
« Nous n’abandonnerons pas l’Etat juif et nous n’abandonnerons pas la démocratie israélienne. Personne ne changera rien à cela. »
Dans son discours, le ministre d’extrême droite Itamar Ben Gvir s’en est pris aux opposants à la réforme judiciaire, affirmant qu’ils ne veulent pas seulement bloquer la réforme, mais également s’opposer au gouvernement de droite.
« Ils n’ont pas accepté que nous ayons gagné », a-t-il déclaré.
Il s’est particulièrement offusqué de ce qu’il a qualifié de campagne de l’opposition contre sa participation à une cérémonie de Yom HaZikaron au cimetière militaire de Beer Sheva, en début de semaine.
Une organisation représentative de familles de soldats morts au combat avait protesté contre sa présence à cette cérémonie, excipant de ses opinions extrémistes et du fait qu’il n’avait lui-même pas fait son service militaire.
La cérémonie aura finalement donné lieu à des échauffourées et altercations.
Affirmant que la campagne contre sa personne visait en fait à « délégitimer » la droite, Ben Gvir a déclaré : « Ils ont touché au caractère sacré de Yom HaZikaron et essayé de semer la discorde. Je ne pardonnerai pas à Yair Lapid d’avoir porté atteinte à Yom HaZikaron. »
Le député Simcha Rothman, du parti HaTzionout HaDatit, autre architecte de la réforme, a été accueilli sur scène par des acclamations nourries et des slogans favorables au limogeage de Baharav-Miara, la procureure générale, opposé au projet de la coalition.
« Ces derniers mois, nous avons entendu tellement de mensonges. Nous sommes ici pour entendre la vérité. Dans les manifestations [anti-réforme], ils crient « Démocratie ». Mais lorsque des juges font de l’entre-soi et du népotisme, ce n’est pas de la démocratie. »
« Plus de deux millions de personnes ont voté pour la droite et pour réparer le système judiciaire, c’est ça la démocratie », a déclaré Rothman, exhortant la foule à rependre ce dernier mot.
« Sans réforme judiciaire, nous continuerons à adopter des lois pour révoquer la citoyenneté des terroristes que la Cour suprême censurera. Sans réforme judiciaire, nous continuerons à adopter des lois pour assurer la sécurité des habitants du sud de Tel Aviv et régler la question des immigrants illégaux… que la Cour suprême censurera », a déclaré Rothman.
« Il est important de réparer et il est important de parvenir à un accord, mais nous ne devons surtout pas abandonner. »
Lapid a réagi vivement à ces propos : « Les discours incendiaires des ministres et députés ne font que creuser les divisions et défaire la société israélienne… Que feront-ils d’autre à l’État d’Israël et au peuple d’Israël ? »
Dans le centre de divertissement voisin de Cinema City, la police a poursuivi quatre adolescents soupçonnés d’être impliqués dans une attaque contre un garde de sécurité arabe du centre commercial. L’un des agresseurs portait un drapeau du groupe extrémiste Lehava.
Les quatre adolescents ont été appréhendés sur le toit du complexe, mais trois d’entre eux ont été remis en liberté peu de temps après.
Autre violence à signaler : une bouteille de verre a été lancée sur des journalistes de la Treizième chaine qui couvraient le rassemblement.
Dans une vidéo, on voit les correspondants Moriah Asraf Wolberg (qui est mariée au porte-parole de Levin, Nachum Wolberg) et Yishai Porat en train de parler alors que la bouteille atterrit entre eux, sans voir le lanceur.
במהלך סיקור ההפגנה בעד הרפורמה: בקבוק זכוכית נזרק לעבר צוות חדשות 13, שכלל את הכתבים מוריה אסרף וולברג וישי פורת, זאת לאחר שקבוצת מפגינים הפריעה לשידור וקיללה את העיתונאים pic.twitter.com/uth61qaCSF
— חדשות 13 (@newsisrael13) April 27, 2023
Selon la chaine, la bouteille aurait été lancée sur ses correspondants après qu’un groupe de manifestants les ait interrompus et insultés, tout en appelant la police « à traduire ces criminels violents en justice ».
« La violence envers les journalistes en général, et le personnel de la Treizième chaine en particulier, est hélas déjà ancienne », a-t-elle déclaré dans un communiqué.
Le rassemblement de jeudi s’est globalement terminé sans autres incidents violents, sur les notes de l’hymne national Hatikva, après quoi les manifestants sont rentrés chez eux.
Il n’y aurait pas eu de blocage des routes – à l’exception de celles bouclées par la police – comme cela a été le cas après les manifestations anti-réforme de ces derniers mois.
Les Chemins de fer israéliens ont ajouté des trains à destination et en provenance de Jérusalem afin de gérer la forte affluence, en contradiction avec la pratique de la ministre Likud des Transports, Miri Regev, lors des manifestations anti-réforme. Elle avait en effet alors refusé d’autoriser la circulation de trains supplémentaires.
Les partis ultra-orthodoxes n’ont manifestement pas pris la parole et les participants haredim n’ont représenté qu’une toute petite minorité dans ce rassemblement.
Cela est dû, en partie, à l’appel lancé dans la journée par un célèbre journal haredi – et plusieurs rabbins influents de la communauté -, demandant de ne pas interrompre l’étude de la Torah pour assister à cette manifestation.
Le parti ultra-orthodoxe Shas n’a pas davantage incité ses partisans à prendre part à la manifestation de jeudi.
Pour autant, les organisateurs de la manifestation ont fait en sorte d’adapter leur message aux trois groupes de partisans de la réforme que sont les électeurs du Likud, les sionistes religieux et les ultra-orthodoxes.
Au sein du rassemblement, une zone non-mixte avait été aménagée pour que les participants haredi puissent y prendre part.
Des pancartes portaient cette mention : « Quand la Cour suprême est au pouvoir, on voit des accusations montées de toutes pièces » – allusion aux affaires pénales contre le Premier ministre.
D’autres disaient : « Lorsque la Cour suprême est au pouvoir, des maisons juives sont détruites », allusion à la destruction des maisons construites illégalement par des résidents d’implantations.
Des pamphlets prétendaient que les opposants à la réforme violaient le commandement biblique « Tu ne voleras point » en cherchant à « neutraliser » les votes du peuple de droite aux précédentes élections.
Selon les médias israéliens, jeudi toujours, le député Yesh Atid Moshe Tur-Paz aurait soulevé un tollé après avoir tweeté – puis supprimé – un message exprimant son soutien au rassemblement de droite pro-gouvernement à Jérusalem.
Tur-Paz aurait voulu exprimer son soutien aux manifestations politiques en général.
Mais très rapidement, le tweet a été supprimé, manifestement sur ordre du chef du parti Lapid.
Cette volte-face a suscité force dénonciations, à droite, de la gestion solitaire du parti par Lapid.
Les organisateurs des manifestations hebdomadaires anti-réforme ont réagi au rassemblement de jeudi en disant qu’ils « redoubleraient d’efforts dans les prochaines manifestations » et annonceraient samedi « de nouvelles mesures pour mettre un terme à la marche vers la dictature ».
« À partir de dimanche, date de reprise des sessions de la Knesset, Israël n’aura jamais été aussi près de la dictature ultranationaliste », ont-ils déclaré dans un communiqué.
« C’est un danger clair et immédiat pour la démocratie israélienne. Les négociations menées par le président se sont révélées trompeuses… Seuls des centaines de milliers d’Israéliens qui manifestent dans les rues pourront mettre un coup d’arrêt au coup d’État judiciaire. »
Lazar Berman a contribué à la rédaction de cet article
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