A la barre des témoins, Milchan confirme ses cadeaux luxueux aux Netanyahu
Le magnat de Hollywood a raconté les demandes fréquentes de champagne et autres cigares du Premier ministre et de son épouse
Jeremy Sharon est le correspondant du Times of Israel chargé des affaires juridiques et des implantations.
Le magnat de Hollywood Arnon Milchan a confirmé dans son témoignage, dimanche, qu’il avait offert de manière continue des cigares, du champagne et autres objets de luxe au Premier ministre Benjamin Netanyahu et à son épouse, Sara – et ce, largement à leur demande.
Milchan, affable et jovial lors de sa première journée passée à la barre des témoins dans le cadre du procès pour corruption de Netanyahu, a évoqué comment ses cadeaux étaient devenus systématiques et comment lui-même, Netanyahu et Sara avaient mis au point des codes pour se référer à différents types de cadeaux, ajoutant qu’il avait donné à son assistante personnelle carte blanche pour répondre à tous les désirs exprimés par le couple.
Le milliardaire, qui a témoigné en visioconférence depuis le Royaume-Uni, a décrit son amitié étroite avec Netanyahu – un récit qui confirme largement la version des événements telle qu’elle avait été livrée par le Premier ministre. A savoir que les cadeaux avaient eu lieu dans le cadre de cette proximité et non dans le cadre d’un quelconque accord de compromis, comme ont pu l’affirmer le parquet et les actes de mise en examen.
Toutefois, alors qu’il bouclait sa première journée de témoignage, il a reconnu qu’il avait bien dit aux enquêteurs, en 2016, qu’il s’était senti « dégoûté » par les requêtes illimitées de cadeaux de Netanyahu, même s’il avait cherché par la suite à revenir sur ces propos dans une certaine mesure.
Même si Milchan a conservé un bon état d’esprit pendant toute la visioconférence, la procureure de l’État adjointe, Liat Ben Ari, qui l’interrogeait, et l’avocat de la défense, Amit Hadad, ont été souvent en désaccord. L’avocat a levé des objections incessantes contre les questions posées par Ben Ari et cette dernière a affirmé que cette opposition systématique visait à entraver le témoignage apporté par Milchan.
Sara Netanyahu était présente dans la salle de Brighton où se trouvait Milchan, ayant fait le voyage depuis Israël à cette occasion. Au cours de la journée, Ben Ari a laissé entendre que Sara communiquait par contact visuel et par des mouvements du visage avec le témoin, déclenchant un nouvel échange animé avec Hadad.
Netanyahu est accusé de fraude et d’abus de confiance dans l’Affaire 1000 – ce dossier implique des cadeaux à hauteur de centaines de milliers de shekels en cigares, champagne ou bijoux. Ces présents ont duré plusieurs années. Netanyahu est accusé d’avoir illégalement accordé des faveurs au magnat pendant cette même période, l’aidant notamment à obtenir un visa de résidence à long-terme aux États-Unis. Il aurait aussi tenté de faire adopter un projet de loi qui aurait avantagé Milchan au niveau fiscal s’il avait été approuvé.
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Le témoignage de l’homme d’affaires âgé de 78 ans a duré environ cinq heures. Il avait été organisé dans une salle de conférences du Old Ship Hotel de Brighton, et il a gardé le sourire pendant une grande partie de la journée.
Plusieurs dizaines de manifestants anti-Netanyahu s’étaient rassemblés devant l’hôtel de Brighton avant l’arrivée de Sara, criant le mot « Honte ! » lorsqu’elle s’est présentée, rappelant le mouvement de protestation anti-gouvernemental qui a balayé le pays depuis l’accession au pouvoir de la coalition actuelle.
Milchan a fait de nombreuses plaisanteries et il semblait détendu et à l’aise – interpellant même le Premier ministre : « Bonjour, Bibi ! » quand ce dernier a fait son apparition dans la salle d’audience de la Cour de district de Jérusalem pour regarder le témoignage par écran interposé.
A un moment de l’intervention de l’homme d’affaires, la juge Rivka Friedman-Feldman a trouvé à redire aux critiques variées de Milchan, lui disant vertement que « nous n’avons pas besoin d’autre commentaire ».
Alors qu’il était interrogé par Ben Ari, Milchan a reconnu qu’il avait offert au couple Netanyahu du champagne, des cigares, des vêtements et des bijoux, et il a noté que c’était lui qui avait initialement commencé à donner ces cadeaux – concernant le champagne plus spécifiquement.
Le couple Netanyahu a néanmoins rapidement commencé à soumettre des requêtes et tous les trois ont alors utilisé des codes pour désigner les différents cadeaux : les cigares étaient des « feuilles », le nom de code du champagne était « rose » et celui des nouvelles chemises pour le Premier ministre était « les naines ».
Milchan a précisé : « j’ai donné à mon assistante personnelle Hadas Klein toute latitude pour répondre à ces demandes et je lui a dit que ‘vous avez carte blanche concernant tout ce que désire le Premier ministre’, » a déclaré Milchan.
« Je n’ai pas fait cela en tant qu’ami mais en tant que citoyen, je ne voulais pas que le Premier ministre ait des problèmes non liés à son travail. C’est devenu une routine », a-t-il continué. « Cette relation était très détendue alors je ne ressentais rien de désagréable concernant ces cadeaux. Les montants sont devenus de plus en plus élevés à la requête de leurs destinataires », a-t-il ajouté lorsqu’il a été interrogé sur les demandes de cadeaux de plus en plus nombreuses.
Milchan a précisé que Netanyahu s’était inquiété à un moment de ce que savait réellement Klein – qui a aussi témoigné dans le procès en cours – s’agissant des cadeaux, laissant entendre qu’elle devait être renvoyée.
“Bibi pensait que Hadas en savait trop ; il était inquiet à l’idée que ce ne soit pas une bonne chose qu’elle conserve son poste parce qu’elle en savait trop », a continué Milchan.
Klein aura finalement toujours gardé son emploi.
Milchan a évoqué son sentiment de proximité avec Netanyahu.
« Je le considérais comme un ami proche, comme quelqu’un avec lequel j’entretenais une relation entre l’amitié et la camaraderie », a expliqué Milchan, notant en exemple le courrier qui lui avait été envoyé par Netanyahu au lendemain de son élection, qui disait qu’il s’agissait de la toute première missive écrite par ses soins depuis qu’il était Premier ministre.
« C’était une lettre très émouvante, c’était la lettre d’un frère », a ajouté Milchan.
Il a indiqué que les rencontres avec Netanyahu étaient majoritairement privées. Organisées dans les différentes habitations du milliardaire, il était arrivé qu’elles prennent un ton plus officiel et Netanyahu faisait venir avec lui, parfois, son conseiller Shlomo Filber, devenu témoin pour le parquet.
Alors qu’il lui était demandé si Netanyahu était facile d’accès pour lui, Milchan a répondu qu’il était « très accessible » et que le Premier ministre répondait toujours à ses appels téléphoniques.
A un moment, Ben Ari a soudainement soulevé une objection, mettant en cause le comportement de Sara Netanyahu dans le tribunal.
« Sara Netanyahu est là, dans la salle. Elle entretient en permanence un contact visuel avec le témoin. Je veux établir clairement qu’il est interdit d’utiliser son visage pour communiquer avec le témoin et qu’il est aussi interdit de lui faire des suggestions », a insisté Ben Ari, très en colère.
Hadad s’est opposé à la plainte soumise par Ben Ari avec véhémence, et il a insisté sur le fait qu’il n’était pas interdit d’avoir un contact visuel avec un témoin – entraînant un échange hostile qui a amené Milchan à dire sur le ton de la plaisanterie : « Ça pourrait être un film, peut-être même une émission télévisée ». Le témoin a ensuite promis avec désinvolture qu’il regarderait dorénavant le plafond.
Un incident spécifique a longuement retenu l’attention de Ben Ari, suscitant les nombreuses objections de Hadad : En 2021, Milchan avait acheté à Sara Netanyahu un bijou excessivement onéreux.
Lorsque cette demande avait été soumise par l’intermédiaire de Klein, Milchan avait indiqué qu’il avait initialement refusé d’acheter la pièce de joaillerie parce que c’était « trop » et il avait insisté sur le fait que le Premier ministre devrait d’abord donner son feu vert avant que Klein n’aille l’acquérir pour Sara.
Finalement, il s’était entretenu avec Netanyahu et il avait dit être préoccupé par la possible illégalité d’un cadeau d’une telle valeur. Il avait demandé au Premier ministre de demander l’avis juridique du procureur-général avant de s’exécuter.
« Il m’avait dit qu’il avait eu l’approbation du procureur-général, que la réponse était que les amis pouvaient offrir des cadeaux – mais pas une maison – et qu’il n’y avait pas de limite », s’est souvenu Milchan.
« J’avais demandé à Sara de me permettre de parler à son mari parce que je voulais être sûr qu’il n’aurait pas de problème, que c’était permis. Cela commençait à me paraître un peu trop et je ne pouvais pas juger ce qui était autorisé et ce qui ne l’était pas », a dit Milchan.
« Ce n’était pas un problème de faire des cadeaux, je le faisais avec bonheur mais j’avais peur que cela entraîne des complications pour le Premier ministre et pour son épouse, alors j’ai demandé à pouvoir avoir un avis juridique du procureur-général et il m’a dit qu’il avait reçu son approbation ».
Le témoignage de Milchan devait durer plus longtemps mais il a demandé à plusieurs reprises, dans la journée, à le réduire en arguant de problèmes de santé, en particulier de douleurs extrêmes au dos.
Son témoignage devrait continuer lundi et il devrait durer pendant toute la semaine.