Allemagne : L’AfD est divisé sur Israël – et les Juifs dénoncent son danger
Alors que le parti n'est pas uni sur le soutien à l'Etat juif et qu'il s'apprête à remporter 20 % des suffrages dimanche, ses antécédents d'antisémitisme - et les dérapages antijuifs qui l'éclaboussent encore - planent sur le scrutin

Alors que ce sont des millions d’électeurs allemands qui se rendent aux urnes en cette journée de dimanche, les instituts de sondage prédisent une victoire historique du parti d’extrême droite Alternative für Deutschland (AfD). Depuis sa création en 2013, l’AfD a été le théâtre d’incidents antisémites et ses dirigeants semblent être divisés sur le positionnement du parti à l’égard d’Israël et de la guerre à Gaza.
Une lutte qui, au sein de l’AfD, était apparue au grand jour au mois d’octobre de l’année dernière, lorsque le député et coprésident de l’AfD, Tino Chrupalla, avait critiqué le chancelier Olaf Scholz pour son soutien continu à Israël et pour ses exportations d’armes en direction de l’État juif.
« En livrant des armes à Israël, vous acceptez la déshumanisation de tous les morts des deux côtés au sein de la société civile », avait estimé Chrupalla. « Vous ne contribuez en rien à la désescalade, vous jetez de l’huile sur le feu ».
Le président de l’AfD avait critiqué les « déclarations exclusives de solidarité » à l’égard d’Israël et les « positionnements unilatéraux des partis politiques ». Pourtant, dans le même discours, Chrupalla avait affirmé son soutien au droit à l’autodéfense d’Israël.
Des propos qui avaient entraîné une vague d’indignation au sein même de l’AfD. Il faut dire que le parti populiste de droite s’était immédiatement présenté sous les traits d’un allié solide d’Israël. En 2019, il avait exigé une interdiction complète de toutes les activités de boycott, de désinvestissement et de sanctions en Allemagne. Après l’attaque terroriste sanglante qui avait été commise par le Hamas dans le sud d’Israël, le 7 octobre 2023, le premier communiqué de presse de l’AfD au Bundestag affirmait que « Israël et le peuple juif peuvent compter sur notre pleine et entière solidarité. »
Toutefois, l’évolution de la situation géopolitique semble avoir entraîné une rupture dans cette solidarité autoproclamée. L’AfD se distingue des sociaux-démocrates, des verts et des libéraux au pouvoir, ainsi que des chrétiens-démocrates de l’opposition, par son positionnement résolument pro-Moscou. Depuis que le président russe Vladimir Poutine s’est allié à l’ennemi juré d’Israël, l’Iran, certains dirigeants de l’AfD se sont détournés de leur soutien traditionnel à Israël.
Une attitude qui a suscité de vives critiques de la part d’autres membres de l’AfD. Ainsi, plusieurs hauts responsables du parti ont attaqué, sous couvert d’anonymat, leur président dans le magazine Welt.

Un parlementaire anonyme de l’AfD a qualifié cette attitude de « non-sens pacifiste de gauche ». « Il serait rafraîchissant que Chrupalla adopte pour une fois une position différente de celle de Moscou en matière de politique étrangère », a-t-il ajouté.
D’autres membres de l’AfD se demandent s’il est judicieux d’adopter un positionnement face au conflit israélo-arabe qui est quasiment identique à celui de l’extrême gauche allemande.
Mais Chrupalla n’est pas le seul, au sein de l’AfD, à être défavorable à Israël sur la question de la guerre à Gaza. Jürgen Pohl, membre du parlement fédéral à Berlin, qui est originaire de la région de Thuringe, dans l’Est de l’Allemagne – et qui est souvent le porte-parole de l’aile nationaliste blanche de l’AfD – a soutenu son président en tenant des propos pratiquement impossibles à distinguer de ceux qui sont utilisés par la gauche antisioniste européenne : « Israël est autorisé à faire tout ce qu’il veut, les autres rien, et nous sommes censés soutenir cela ». Pohl a également déclaré qu’il fallait mettre fin au « génocide » palestinien à Gaza.

Une longue histoire d’antisémitisme
L’AfD est divisée entre une aile conservatrice qui veut se libérer des accusations d’antisémitisme et une faction nationaliste blanche qui est principalement enracinée dans les régions de l’Ouest de l’ancienne RDA (République Démocratique Allemande) communiste. De nombreux partisans de la ligne dure ont été membres, dans le passé, d’autres organisations d’extrême droite et néo-nazies.
La liste des incidents antisémites au sein du parti est longue depuis sa création en 2013. Parmi les exemples nombreux de haine antijuive, celui de Hans-Thomas Tillschneider, qui est membre du parlement dans la région de Saxe-Anhalt, dans l’Est de l’Allemagne, depuis 2016. En 2018, Tillschneider avait déclaré que le Conseil central des juifs d’Allemagne « utilise l’islam pour mettre en place des relations multiculturelles ». La majorité des exemples cités pour alimenter cette théorie du grand remplacement ne sont pas aussi explicitement antisémites – à la place, ce sont des expressions telles que « les élites mondialistes » qui sont souvent utilisées.
En 2021, Stefan Bauer, militant bavarois de l’AfD, avait comparé les vaccins contre le coronavirus au gaz Zyklon-B qui était utilisé par les nazis pour exterminer les Juifs d’Europe pendant la Shoah. Alors que Bauer avait été expulsé du parti, Tillschneider est toujours membre du parlement régional de Saxe-Anhalt. Il a récemment établi une comparaison entre les méthodes utilisées par Israël dans sa guerre contre le Hamas à Gaza et la Shoah.

Le dérapage antisémite le plus connu, au sein de l’AfD, avait été le tristement célèbre « discours de Dresde » que Björn Höcke avait prononcé en 2017. Höcke, à la tête de la faction de l’AfD au sein du parlement régional de Thuringe, est considéré comme puissant au sein du parti. Lors d’une allocution donnée à Dresde, dans l’Est de l’Allemagne, il avait évoqué le Mémorial pour les Juifs assassinés d’Europe à Berlin. « Les Allemands sont le seul peuple au monde à avoir planté un monument de la honte au cœur de leur capitale », avait dit Höcke, qui avait ensuite tenté de convaincre la presse allemande indignée qu’il avait utilisé le mot « honte » pour décrire la Shoah et non le monument.
Le nouveau visage « modéré » du parti
Alice Weidel est la principale candidate de l’AfD dans le cadre des élections de dimanche. Contrairement à son coprésident, Chrupalla, qui est originaire de la Saxe, une région de l’Est relativement moins favorisée, Weidel est née dans le Bade-Wurtemberg, une région riche du Sud-Ouest de l’Allemagne.
Weidel est à la barre de l’AfD depuis 2017, date à laquelle elle était devenue la coprésidente de la formation aux côtés d’Alexander Gauland. Considéré comme appartenant à l’aile nationaliste blanche extrémiste du parti, Gauland, qui est né dans la ville orientale de Chemnitz, avait apporté son soutien à Höcke après son discours de Dresde – il avait toutefois perdu son immunité parlementaire en 2020 lorsqu’il avait été mis en examen pour fraude fiscale.
Alice Weidel dirige l’aile la plus modérée de l’AfD, une aile qui soutient Israël de manière continue, a-t-elle fait remarquer au cours d’un entretien avec Elon Musk – qui a fait, par ailleurs, la promotion de l’AfD sur X, son réseau social. « Seule l’AfD peut sauver l’Allemagne », avait ainsi écrit Musk au mois de décembre dernier.

Weidel a exprimé son soutien constant à l’État juif, tout en étant critiquée pour ce que de nombreux Allemands ont qualifié de « révisionnisme historique ». Répondant aux accusations qui laissaient entendre que son parti était une réincarnation du national-socialisme, Weidel a indiqué que l’AfD était l’opposé du parti nazi, puisque selon elle, Hitler était un « socialiste ». Les historiens ont ensuite rapidement souligné qu’Hitler avait emprisonné des dizaines de milliers de communistes, de sociaux-démocrates et de syndicalistes dans des camps de concentration.
Le conflit apparent entre le positionnement pro-israélien de Weidel et l’alliance de Chrupalla avec Moscou et avec l’antisionisme est probablement apparu trop tard au grand jour pour convaincre les électeurs allemands de se détourner de l’AfD. Depuis des mois, le parti frôle les 20 % d’intentions de vote dans les sondages, soit un score presque multiplié par deux depuis les élections fédérales de 2021. Avec un cinquième de l’électorat, l’AfD deviendrait le deuxième parti au parlement, derrière les chrétiens-démocrates de centre-droit, dont le chef Friedrich Merz a exclu toute possibilité d’alliance avec l’AfD au sein d’un gouvernement de coalition.
Depuis les nazis dans les années 1930, aucun parti allemand d’extrême droite n’avait jamais rassemblé une part aussi importante des suffrages – et c’est la raison pour laquelle le Conseil central des juifs d’Allemagne qualifie l’AfD et la Coalition Sahra Wagenknecht (gauche radicale) – le parti BSW – de « danger » pour la communauté juive. Le président du Conseil, Josef Schuster, a déploré le fait que « l’antisémitisme de droite et la haine d’Israël de gauche ont trouvé un foyer au sein de l’AfD et de la BSW ».

La BSW, issue d’une scission avec un autre parti d’extrême gauche, Die Linke, oscille autour du seuil électoral de 5 % dans les sondages.
Les conclusions du Bundesambt für Verfassungsschutz (BfV), le service national de renseignement allemand, confirment que l’avertissement lancé par Schuster peut difficilement être considéré comme excessif.

Depuis 2021, le BfV soupçonne l’AfD d’extrémisme de droite, en raison de son idéologie et de ses contacts avec des néonazis connus. Un rapport du BfV de 52 pages a énuméré des incidents antisémites au sein du parti. Le service de renseignement a estimé que Der Flügel (« L’aile »), un groupe nationaliste blanc au sein de l’AfD dirigé par Björn Höcke, était une « tentative de l’extrême droite de se dresser contre l’ordre démocratique libre » en Allemagne.
La même étiquette a été attribuée à la Junge Alternative für Deutschland, le mouvement des jeunes de l’AfD. Ce n’est qu’en janvier de cette année que la direction du parti s’est dissociée des jeunes extrémistes de la formation pour tenter de se présenter comme plus acceptable aux yeux de la société.
À en juger par les résultats des sondages, Weidel et l’aile la plus modérée de l’AfD ont réussi à se présenter comme une alternative viable pour des électeurs inquiets face à l’immigration de masse et face à la crise économique qui se profile à l’horizon.
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