Bien avant « Fauda », les espions d’Israël avaient des identités arabes à Beyrouth
Lors d'une conférence, Matti Friedman a expliqué qu'un verbe arabe bien conjugué décidait de la vie ou de la mort pour les Juifs qui ont fondé l'agence de renseignement israélienne
Avril 1948. Alors que des milliers d’Arabes palestiniens fuyaient Haïfa, quelques hommes juifs infiltrés se trouvaient au sein de ce groupe. Ces Juifs arabophones, nés en Syrie, au Liban et en Irak, étaient membres de l’unité d’espionnage naissante de la Haganah, la Section arabe. Envoyés pour recueillir des informations dans le monde arabe, ils ont pris l’identité de réfugiés palestiniens et se sont installés à Beyrouth.
Ils ont été envoyés avec peu d’instructions, et encore moins de moyens, dans un monde où la mauvaise conjugaison d’un verbe pourrait les faire tuer, a déclaré l’écrivain Matti Friedman dans une interview sur scène, mercredi à Jérusalem. Les chanceux ont survécu en bluffant et en se déguisant ; la moitié ont été tués.
Il ne manquait plus qu’une bande-son hollywoodienne alors que Friedman dépeignait des anecdotes des aventures des espions, des scènes de vie et de mort dépeintes de façon vivante, qui ne tenaient qu’à un fil. Les anecdotes de la vie réelle font que le thriller d’espionnage moderne « Fauda » semble artificiel.
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Friedman s’est entretenu avec le journaliste Matthew Kalman lors d’un événement organisé conjointement par le Times of Israel et Beit Avi Chai pour lancer son dernier livre, « Spies of No Country : Secret Lives at the Birth of Israel ». [Traduit en français : « Espions de nulle part »]
Friedman, aux cheveux roux et aux taches de rousseur, est né à Toronto et s’est installé en Israël en 1995 à un âge idéaliste de 17 ans. Aujourd’hui auteur primé et éditorialiste au New York Times vivant à Jérusalem, il a été journaliste et rédacteur en chef de l’Associated Press entre 2006 et 2011, suivi d’un passage au Times of Israel à partir de 2012.
Son premier livre, « Le Codex d’Alep », [« The Aleppo Codex »], a été publié en 2013 et a remporté le prix Sami Rohr 2014 de littérature juive. Son deuxième, « Pumpkinflowers », a suivi en 2016 et raconte ses années en tant que soldat en poste au Liban.
Live Broadcast!????️♀️ Spies of No Country | Book LaunchThe Times of Israel & בית אבי חי Beit Avi Chai Presents Award-winning author Matti Friedman discusses his just-publishedSpies of No Country – the breathtaking story of Israel’s first spies, a group whose undercover work laid the foundations for the Mossad.Enjoy!
Posted by בית אבי חי Beit Avi Chai on Wednesday, April 10, 2019
Dans Spies of No Country, Friedman dépeint un Palmach – une organisation paramilitaire appelée « le Saint des Saints » du mouvement sioniste – amoureux de l’idée d’“arabité”. Il traitait les membres de la Section arabe comme des « super-héros », a-t-il dit, tout en les faisant devenir « autres » et en les considérant comme des étrangers.
« Les caractéristiques mêmes qui les ont empêchés de s’intégrer sont devenues leur ticket d’entrée dans le Palmach », a-t-il déclaré. La section arabe ad hoc du Palmach « a pris en charge des enfants des rues en marge de la société juive et les a emmenés dans une aventure incroyable et dangereuse », a-t-il expliqué.
Né à Damas sous le nom de Jamil Cohen, Gamliel a attrapé le virus sioniste et a fait son alyah et s’est installé dans un kibboutz en Israël avant la création de l’État. Bien qu’il ait hébraïcisé son nom, il ne s’est jamais intégré avec les autres Nouveaux Juifs, des pionniers qui travaillaient les champs le jour et écoutaient Beethoven la nuit, raconte Friedman. Puis le Palmach est arrivé et a demandé à Gamliel de se « retourner » et de prendre l’identité de couverture de Yussef el-Hamed. Gamliel est devenu l’un des meilleurs espions d’Israël, dont l’identité secrète s’est prolongée même après la naissance de ses enfants.
Friedman a raconté à une assemblée fascinée qu’en l’absence de communications du quartier général – une cabane de fortune avec une table en bois et une liaison par Morse dans un kibboutz – les agents secrets à Beyrouth ont lu de fausses victoires par les armées arabes. Préoccupés par le fait qu’ils venaient d’être envoyés dans le monde arabe par un État qui n’était pas encore né, ils ont installé un kiosque au cœur de Beyrouth et ont vendu des bonbons et des sandwichs pour gagner leur vie, poursuit Friedman. Au cours des deux années solitaires de leur périlleuse mission, l’un des agents a rencontré une chrétienne maronite locale et tout le subterfuge s’est presque effondré.
Mais leur identité arabe était-elle vraiment un subterfuge ? Friedman a fait valoir que ces membres de la Section arabe ne correspondaient pas exactement à la définition de « mistaarvim », ou littéralement, « ceux qui deviennent comme les Arabes », l’étiquette que leur ont donnée les agents du renseignement. Au contraire, a-t-il fait valoir, il s’agissait peut-être en fait de Juifs arabes.
« C’est de la fiction ? » demanda Friedman. « Se font-ils passer pour des Arabes ? Ou, est-ce que ce sont des Arabes qui se font passer pour des Juifs et qui se font passer pour des Arabes ? »
« Leurs âmes étaient arabes », dit-il. Mais en 1948, « tout leur monde est devenu ‘l’ennemi' ».
La moitié des citoyens juifs d’Israël viennent de pays arabes, mais dans un pays fondé sur une version européenne du sionisme colonialiste, a dit Friedman, le récit du juif Mizrahi a été mis de côté. En se concentrant intentionnellement sur les contributions de ces juifs arabophones, son livre est une tentative visant à rectifier cela.
Pour vraiment comprendre l’histoire d’Israël, dit Friedman, il faut comprendre que « les Juifs des pays arabes ne sont plus une note de bas de page ».
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