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Brûler Haman : une tradition perdue de Pourim de la communauté juive indienne de Cochin

Pendant des siècles, les Juifs de Cochin ont célébré cette fête, marquant le jour où les Juifs de toutes origines se réunissaient, en brûlant des effigies de Haman

Des Juifs de la communauté des Paradesis venus du monde entier pour célébrer le 450ᵉ anniversaire de leur synagogue, à Cochin, en 2018. (Crédit : Shalva Weil)
Des Juifs de la communauté des Paradesis venus du monde entier pour célébrer le 450ᵉ anniversaire de leur synagogue, à Cochin, en 2018. (Crédit : Shalva Weil)

En 1533, Leonor Caldeira, une femme juive qui avait été forcée de se convertir au christianisme, quitta Lisbonne, la capitale de l’Empire portugais, pour Cochin, dans le sud de l’Inde, dans l’espoir d’échapper à la surveillance de la tristement célèbre Inquisition. Cependant, le répit face à la persécution ne dura que quelques années : en 1557, Caldeira et dix-neuf autres « nouveaux chrétiens » (terme désignant les Juifs convertis et leurs descendants) furent accusés d’être revenus à la pratique juive. Quatre ans plus tard, Caldeira fut brûlée sur un bûcher au Portugal.

Caldeira était notamment accusée d’avoir visité des synagogues, mangé du pain azyme et brûlé des effigies, l’une des traditions de Pourim chères aux Juifs de Cochin depuis des siècles, comme l’a expliqué la professeure Shalva Weil de l’Université hébraïque de Jérusalem lors d’une interview accordée au Times of Israel avant la fête juive.

« Le concept de créer des effigies représentant de mauvaises personnes et de les brûler par la suite existe chez de nombreux peuples et cultures à travers l’histoire », a souligné Weil, une anthropologue qui a consacré une bonne partie de sa carrière à l’étude de l’histoire, de la culture et des traditions des Juifs du sud de l’Inde.

« Même [le fondateur de la psychanalyse, Sigmund] Freud mentionne la puissance de brûler l’image d’un ennemi », a-t-elle ajouté.

« De nos jours, la Guy Fawkes Night en Grande-Bretagne en est un bon exemple, mais brûler des effigies pour inverser les rôles sociaux et protester est également très courant chez les hindous. »

À Cochin, les Juifs utilisaient de la paille, des chiffons et des branches pour construire une effigie presque grandeur nature représentant Haman, le maléfique ministre du roi de Perse Assuérus, qui conspirait pour exterminer le peuple juif comme le relate le Livre d’Esther – ou Meguilat Esther. D’autres effigies étaient parfois créées pour représenter la diabolique épouse de Haman, Zeresh, et leurs dix fils.

Une Meguilat Esther, ou Livre d’Esther, datant de la fin du 19ᵉ ou du début du 20ᵉ siècle, provenant d’Inde. (Crédit : Yakov Finkelstein, ancien consul général d’Israël à Mumbai)

Maria Raposa, une autre femme juive convertie au christianisme et qui avait témoigné au procès de Caldeira, avait déclaré que les Juifs de Cochin avaient fabriqué une effigie de Haman avec des feuilles de palmier pendant le « jeûne de Mardochée » – également connu sous le nom de jeûne d’Esther -, ajoutant que cela rappelait la crucifixion d’un homme.

On ignore si, à cette époque, la tradition remontait à plusieurs siècles ou si elle avait été introduite depuis peu. La source la plus ancienne remonte à quelques décennies avant la mise à mort cruelle de Caldeira.

« Le jour de Pourim, après la prière, ils lisent la Meguilat Esther, boivent, sont heureux, s’enivrent et s’endorment », peut-on lire dans un manuscrit de 1503 découvert à la Bodleian Library d’Oxford et signé par Moïse, fils d’Abba Mori, décrivant sa rencontre avec les Juifs de Cochin.

« Ensuite, ils fabriquent une effigie qu’ils emmènent dans la rue de la ville pour la brûler et la lapider. Tout Israël, toutes les nations du monde, les Ismaélites, les chrétiens et le reste du monde sont gênés et ont honte de cet acte. »

Le fait que les célébrations impliquant de l’alcool et des effigies puissent devenir incontrôlables est également corroboré par une histoire beaucoup plus récente mentionnée par Weil, qui a traité du sujet des rituels des effigies à Cochin dans un récent article universitaire.

En 1952, des Juifs ivres s’introduisirent par effraction dans une église catholique de la ville et brûlèrent une image de la Vierge Marie, ayant vraisemblablement confondu la représentation avec celle de Haman.

« La communauté fabriquait généralement les effigies avant Pourim », a déclaré Weil.

« Après avoir lu la Meguilat Esther soit la nuit, soit le lendemain, ils la faisaient défiler dans les rues avant de la brûler. »

Des milliers d’années de présence juive

Aujourd’hui connue sous le nom de Kochi, la ville de Cochin, dans l’État indien du Kerala, abritait probablement une communauté juive dès l’époque du roi Salomon (10ᵉ siècle avant notre ère). L’Inde (Hodu en hébreu) est mentionnée dans le premier verset du Livre d’Esther, où Assuérus est décrit comme le roi qui régna « depuis l’Inde jusqu’en Nubie ». De par cette proximité géographique, il est possible que Pourim ait été une fête centrale dans la vie de la communauté juive locale.

Bien que toujours peu nombreuse, avec un pic d’environ 2 400 individus en 1948, la communauté juive de Cochin a conservé un fort sentiment identitaire.

« Ils étaient toujours divisés en deux groupes distincts », a expliqué Weil.

A crumbling old Cochin synagogue (photo credit: CC-BY, Emmanuel Dyan via Flickr)
Une ancienne synagogue de Cochin (Crédit: CC-BY, Emmanuel Dyan via Flickr)

« Les Juifs malabaris, qui étaient en Inde depuis aussi longtemps qu’ils pouvaient s’en souvenir, ressemblaient beaucoup à leurs voisins indiens non juifs. En revanche, les Juifs paradesis, dont les ancêtres étaient arrivés de l’étranger, principalement d’Espagne et du Portugal après 1492, étaient généralement plus riches que les Malabaris. »

Influencés par le système rigide de castes indien, les Malabaris et les Paradesis ont maintenu des communautés et des synagogues autonomes et ne se mariaient pas entre eux. En outre, les deux communautés employaient également des descendants d’esclaves affranchis, désignés en hébreu par le terme meshuhrarim, qui signifie « libérés ». Dans ce cas également, la ségrégation était totale, car les Meshuhrarim n’avaient même pas leur propre synagogue et étaient contraints de prier à l’extérieur ou chez quelqu’un.

Pourtant, Pourim était le seul jour de l’année où les frontières s’estompaient et où les Juifs de toutes les communautés descendaient ensemble dans la rue pour célébrer, chanter, danser et brûler des effigies.

« Ces divisions ont duré jusqu’au milieu du 20ᵉ siècle, lorsqu’un homme nommé Abraham Barak Salem, qui a grandi parmi les Paradesis et qui était très instruit, au point d’être devenu avocat, est tombé amoureux d’une femme de la communauté Paradesi », a raconté Weil.

La professeure Shalva Weil de l’Université hébraïque de Jérusalem. (Crédit : Autorisation)

« Son activisme avait provoqué une véritable révolution, et on l’appelait le ‘Gandhi juif’. Cependant, les mariages entre différentes communautés de Juifs de Cochin restaient rares. »

En 1954, la grande majorité des Juifs du sud de l’Inde avaient émigré en Israël. Selon Weil, quelque 15 000 descendants des Juifs de Cochin vivent aujourd’hui en Israël. D’autres vivent en Amérique, en Australie et en Grande-Bretagne.

« La plupart d’entre eux, cependant, ne s’identifient plus comme des Juifs de Cochin », a-t-elle ajouté.

Nul ne sait exactement quand la communauté a cessé de créer et de brûler des effigies dans le cadre de ses célébrations de Pourim.

« Cela pourrait remonter à 25 ans en arrière, car il n’y a plus de véritable communauté dans cette ville depuis longtemps », a estimé Weil.

« Cependant, de nombreux Juifs de Cochin auxquels j’ai parlé s’en souviennent. »

Aujourd’hui, seule une poignée de Juifs vivent dans la région du sud de l’Inde.

« En 2018, des Juifs paradesis du monde entier s’étaient réunis à Cochin pour célébrer le 450ᵉ anniversaire de la construction de leur synagogue », a déclaré Weil.

« Je me suis sentie très honorée d’être invitée à y assister, même si, d’une certaine manière, l’événement marquait aussi la fin de cette communauté. »

Si la coutume de brûler des effigies de Haman s’est perdue, un vaste répertoire de chants para-liturgiques de Pourim de Cochin a survécu. De nombreux descendants de Juifs de Cochin chantent encore aujourd’hui ces mélodies dans le cadre de leurs célébrations de Pourim.

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