Budapest : Une université laïque du mouvement Habad vise une expansion majeure
L'université Milton Friedman va pouvoir utiliser une subvention gouvernementale de 22 millions de dollars - et elle espère attirer davantage d'étudiants juifs
- Un étudiant prend la photo d'une diplômée de l'université Milton Friedman University de Budapest, en Hongrie, le 15 juillet 2017. (Crédit : Université Milton Friedman University/via JTA)
- Des étudiants et des professeurs lors d'une cérémonie de remise des diplômes à l'université Milton Friedman de Budapest, le 21 juillet 2021. (Autorisation : Université Milton Friedman/ via JTA)
- Des étudiants et des professeurs lors d'une cérémonie de remise des diplômes à l'université Milton Friedman de Budapest, le 21 juillet 2021. (Autorisation : Université Milton Friedman/ via JTA)
- L'université Milton Friedman de Budapest au mois de janvier 2019. (Autorisation : Université Milton Friedman/ via JTA)
- Une employée de l'université Milton Friedman prépare les prospectus pour les visiteurs dans le hall d'accueil de l'institution, le 21 juillet 2021. (Autorisation : Université Milton Friedman/ via JTA)
BUDAPEST (JTA) — Pôle majeur encore aujourd’hui de la pensée et de la culture juives, Budapest accueille plusieurs institutions juives imposantes – comme la majestueuse synagogue Dohany et l’Université d’études juives, dont c’est le 145e anniversaire cette année.
Mais l’institution la plus ambitieuse de toutes se trouve, sans aucun doute, nichée sur le campus universitaire d’une banlieue morne du nord de la capitale hongroise. Là-bas, des jeunes hommes et des jeunes femmes, habillés de manière décontractée, pique-niquent et fument sur les pelouses qui entourent quatre bâtiments accolés à un hall spacieux.
Il s’agit de l’université Milton Friedman, qui porte le nom d’un influent économiste juif américain dont les parents immigrants étaient originaires du secteur, un territoire qui appartenait à l’époque à la Hongrie (et qui fait dorénavant partie de l’Ukraine). L’université a ouvert ses portes en 2018 sous la houlette de l’EMIH, un groupe juif hongrois affilié au mouvement hassidique Habad-Loubavitch.
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Il y a environ 700 étudiants à plein temps qui fréquentent actuellement cet établissement d’enseignement supérieur – appelé l’UMF – et sur les bancs des salles de cours, 15 % seulement d’étudiants juifs. Mais grâce à une enveloppe de subvention de 22 millions de dollars qui a été accordée au mois de mai par le gouvernement, l’université – qui est en capacité de multiplier encore par six le nombre de ses inscrits – cherche à s’élargir et à se transformer en « acteur majeur du milieu universitaire hongrois », explique son président Daniel Bodnar.
Diriger une université laïque est quelque chose d’inhabituel dans le mouvement Habad, un courant orthodoxe dont les rabbins font un travail de développement communautaire partout dans le monde. Le groupe est célèbre pour ses efforts livrés pour sensibiliser les Juifs les moins pratiquants et il ne fait pas de prosélytisme auprès des non-Juifs. Mais l’université n’est pas une institution religieuse – la preuve en est que la plus grande partie des étudiants y étudient le commerce.
L’EMIH espère augmenter le nombre d’étudiants dans le département d’études juives, appelé l’Ashkenazium. Selon des informations récentes, l’organisation espère pouvoir aussi ouvrir une école rabbinique.

« Dans un pays où la vie communautaire juive a été décimée pendant la Shoah et pendant le communisme, le seul moyen de rendre une pertinence à la communauté juive est de promouvoir ses croyances et ses valeurs de la manière la plus ouverte et la plus diversifiée », explique le rabbin Slomo Koves, le dirigeant du groupe.
Les détracteurs de l’EMIH estiment pour leur part que le groupe utilise l’université comme stratégie dans le but d’obtenir plus de financements et de gagner en influence. « Il n’y a pas de véritable suivi assuré en Hongrie, donc on a créé des organisations qui ne sont que des coquilles vides comme l’UMF, qui n’est pas juive, et on a ouvert des synagogues qui restent désertes, » accuse Zoltan Radnoti, un éminent rabbin de Mazsihisz, le plus important groupe juif en Hongrie. Mazsihisz est affilié au judaïsme néologue, un courant du judaïsme en Europe centrale similaire au judaïsme conservateur ou massorti. Son groupe et l’EMIH entretiennent depuis longtemps une relation conflictuelle.
L’organisation affiliée au mouvement Habad, déplore Radnoti, « n’est que trop heureuse d’approuver tout ce que dit le gouvernement et elle obtient des financements en retour ».
Koves rejette ces accusations, notant que Mazsihisz reçoit beaucoup plus de fonds que l’EMIH – ce que le vice-Premier ministre hongrois Zsolt Semjen confirme auprès de la JTA. Ainsi, le groupe obtient 75 % du financement accordé par le gouvernement aux communautés juives, explique Semjen et l’année dernière, Mazsihisz a inauguré une nouvelle aile de son hôpital caritatif juif à Budapest, qui a été construite à l’aide d’une subvention de 14 millions de dollars versée par les autorités à la tête du pays.
Les synagogues de l’EMIH qui ont été récemment ouvertes – au moins cinq ont été inaugurées, ces dernières années – sont « dynamiques et viables », affirme Koves. Concernant le faible pourcentage d’étudiants juifs qui se sont inscrits à l’UMF, il note que « tout comme la Yeshiva University à New York ou l’hôpital construit par Mazsihisz ne limitent pas leurs activités aux seuls Juifs, nous ne le faisons pas non plus ».

Cette querelle – et l’université – attirent l’attention sur le calcul compliqué que doivent faire aujourd’hui les groupes juifs de Hongrie qui travaillent sous le gouvernement du Premier ministre Viktor Orban, un populiste qui a déclaré souhaiter transformer la Hongrie en « démocratie illibérale » et qui a récemment fait part de son désaccord avec le métissage.
Mazsihisz avait averti qu’Orban « encourageait l’antisémitisme » avec sa campagne d’affichage qui avait visé George Soros, un milliardaire juif américain né en Hongrie qui a financé de nombreuses causes défendues par la gauche de l’échiquier politique – et ce notamment en Hongrie (en 2018, Soros avait transféré de Budapest à Vienne une université qu’il avait fondée et qu’il soutenait, l’Université d’Europe centrale, après l’adoption par Orban de nouvelles mesures qui l’empêchaient dorénavant d’accorder des diplômes). Koves, pour sa part, avait estimé à ce moment-là que la campagne menée contre Soros « n’a rien d’antisémite ».
Les différences ont finalement éclaté au grand jour le mois dernier après qu’Orban a déclaré que les Hongrois « ne veulent pas devenir une population métissée », ajoutant une plaisanterie qui avait semblé faire référence aux chambres à gaz nazies, lors d’un discours prononcé par le Premier ministre hongrois en Roumanie.
Le plus important rabbin de Mazsihisz, Robert Frolich, a alors indiqué que les paroles d’Orban s’apparentaient « à une violation de la dignité et de la morale humaines ». De son côté, Koves a seulement évoqué des mots « malheureux ».
L’approche pour laquelle Koves a opté reflète un positionnement général au sein du mouvement Habad, qui estime qu’il n’y a pas de problème à travailler avec un gouvernement quel qu’il soit si ce dernier ne met pas les Juifs en danger. Mais elle reflète aussi la créativité dont a fait preuve ce rabbin de 43 ans, au carnet d’adresses solide et à la propension à travailler 16 heures par jour, pour faire de l’EMIH, un groupe marginal, une force majeure de la communauté juive hongroise.

Avant que l’EMIH n’achète les bâtiments en 2018, l’université était connue depuis près de deux décennies sous le nom de Collège du roi Sisimund. Les salles de cours sont spacieuses, mais le vieillissement du campus est visible. Il y a deux cafétérias, dont une casher.
« La plus grande partie du budget va aux étudiants, pas aux bâtiments », explique Adam Gere, mathématicien juif hongrois qui est le directeur-général de l’université.
Située à trente minutes en voiture du centre de Budapest, le secteur résidentiel dans lequel se trouve l’université présente son lot d’attractions et notamment une plage sur le Danube, avec des nombreux bars et restaurants où aiment se retrouver les étudiants. La majorité des cours se font en hongrois. Moins de 10 % des étudiants viennent de l’étranger.
Dans le passé, de nombreux étudiants assumaient les frais de scolarité qui peuvent s’élever à quelques milliers de dollars – soit une fraction de ce que coûte une université privée aux États-Unis, mais une somme qui reste énorme dans un pays où le salaire moyen annuel avoisine les 21 000 dollars seulement. La nouvelle subvention servira à réduire le prix à payer par les étudiants, dit Bodnar et cette année, pour la première fois, la majorité d’entre eux ont pu obtenir des bourses gouvernementales.

« Avant l’enveloppe de subvention qui nous a été versée, l’UMF était difficilement abordable pour une partie significative de la population en Hongrie, y compris pour de nombreux Juifs », commente Bodnar au sujet de l’établissement d’enseignement supérieur qui disposait auparavant d’un budget de fonctionnement de six millions de dollars. « Aujourd’hui, nous allons pouvoir attirer une population étudiante bien plus large ».
Koves souhaite que l’université puisse dorénavant inclure un plus grand nombre d’étudiants juifs.
« Nous avons deux moyens de le faire : Offrir des études juives mais aussi, tout simplement, en faisant de notre université un établissement d’excellence avec des départements économique, de communication, de commerce et de mathématiques forts, parce que c’est traditionnellement là que les étudiants juifs ont tendance à graviter », dit-il.
Mazsihisz a aussi son université, le Centre théologique juif, qui enseigne les études juives et le travail social. 230 étudiants y sont inscrits et la structure dispose d’un budget annuel d’environ 1,5 million de dollars – la moitié est fournie par le gouvernement et l’autre par le groupe, selon son vice-recteur, Gábor Balázs.

Mais pour les Juifs évoluant dans le milieu académique, ajoute Koves, une université laïque placée sous l’autorité d’un groupe juif a une vraie signification symbolique en Hongrie – premier pays européen à avoir institué, en 1920, un quota limitant les inscriptions des étudiants juifs, bien avant la Seconde Guerre mondiale.
Oliver Laczko, étudiant juif de 19 ans, dit être « à l’aise » à l’université Milton Friedman parce que c’est un établissement juif. Mais il ne s’y est pas inscrit pour cette raison et il n’a pas non plus ressenti le besoin d’y étudier des disciplines juives, ajoute-t-il. Comme de nombreux Juifs hongrois, l’un de ses parents – son père – n’est pas Juif. Son grand-père maternel n’est pas Juif non plus et sa mère n’a appris que sa propre mère était juive que lorsqu’elle avait vingt ans. « Mes origines juives m’intéressent mais je ne suis pas vraiment pratiquant », dit-il.
Un autre étudiant juif, Geri Buzas, qui travaille dans le secteur de la sécurité pour le transporteur aérien israélien El Al, dit avoir le sentiment d’être dans un environnement sûr à l’UMF.
L’université Milton Friedman « est un endroit cool, c’est décontracté et les profs sont de très haut niveau », s’exclame Buzas, 24 ans, qui fait des études en licence d’affaires internationales et qui ne prévoit pas d’intégrer un département d’études juives. « Mais je pense aussi que c’est un endroit sûr pour moi parce que finalement, je suis un jeune juif ».
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