Canada : La plus vieille synagogue de Montréal fête 250 ans de vie juive
Avec un gala festif, les Juifs québécois, - une communauté forte de 90 000 personnes -, s'enorgueillissent d'une diversité inconnue ailleurs
- Le président de Shearith Israel Edmond Elbaz lors d'une cérémonie organisée à l'hôtel de ville de Montréal, le 20 mars 2018 (Crédit : Sylvain Légaré)
- L'entrée principale de Shearith Israel. (Autorisation)
- Une partie des 60 rouleaux de Torah de Shearith Israel, dans une mini-chapelle de la synagogue (Crédit : Robert Sarner/ Times of Israel)
- La congrégation Shearith Israel, rue Chenneville, où elle avait opéré depuis les années 1830 à 1889 (Autorisation)
MONTREAL — Lorsque Edmond Elbaz dit autour de lui que la synagogue de Montréal dont il est le président fête actuellement son 250ème anniversaire, il a une manière simple de mettre cette information en perspective. Il explique que sa congrégation, Shearith Israel, a été fondée un siècle avant la naissance du Canada.
Plus communément connue sous le nom de « synagogue portugaise » ou « espagnole » – ou tout simplement comme « l’Espagnole » – c’est la congrégation la plus ancienne du Canada et l’une des toutes premières en Amérique du nord.
Alors qu’il est certain que la synagogue a été établie en 1768, la date exacte a été oubliée. Célébrant ce bi-centenaire et demi, la congrégation orthodoxe se trouve actuellement au beau milieu d’une série d’événements spéciaux qui seront organisés pendant toute l’année 2018.
Recevez gratuitement notre édition quotidienne par mail pour ne rien manquer du meilleur de l’info Inscription gratuite !
La maire de Montréal, Valérie Plante, a aidé à lancer les célébrations au mois de mars en accueillant une cérémonie particulière à l’Hôtel de Ville où elle a présidé l’inauguration d’une exposition itinérante de photographies, documents et artefacts (certains datant de 1768) relatant l’histoire de la synagogue.
Cela a été l’un des événements majeurs accueillis par la maire dans la belle salle d’honneur depuis qu’elle a été élue au mois de novembre dernier à la tête de la municipalité. Parmi les personnes présentes, les leaders de la communauté juive locale et d’autres dignitaires, notamment des diplomates d’Espagne et du Portugal.
« J’ai été touché par cet événement parce qu’il m’a apporté un formidable sentiment de fierté », commente Elbaz, qui est en lien avec la synagogue depuis les 40 dernières années.
« La maire et son équipe, ainsi que le chef de l’opposition, nous ont tous réservé un accueil chaleureux. Assis à côté d’elle lors de la cérémonie, j’ai constaté qu’elle avait été particulièrement émue par le choeur des enfants, qui reflète la constitution diversifiée de notre communauté », explique Elbaz.

C’est sûr : la diversité est l’un des attributs définissant le mieux la synagogue. Sa congrégation est anglophone et francophone, ashkénaze et séfarade, européenne, moyen-orientale, africaine et nord-américaine, jeune et âgée.
La majorité des 750 familles qui la forment son des immigrants de première ou de deuxième génération venus d’Irak, du Maroc, du Liban, de Tunisie, d’Egypte, d’Algérie, d’Iran, de Pologne, de Roumanie, d’Europe de l’est, de Russie et d’Ethiopie. Le dernier contingent arrivé est constitué de 25 Juifs environ qui ont quitté la France, ces dernières années, pour s’installer au Canada.
Arrangement inhabituel, cinq regroupements distincts – marocain, irakien, libanais, espagnol/portugais et ashkénaze – opèrent de manière semi-autonome au sein de la synagogue. Lors des grandes fêtes juives, par exemple, chacun a son propre service tandis qu’à d’autres moments, tout le monde se réunit pour des activités collectives.
« Notre congrégation est la seule où on peut trouver cinq communautés juives à l’ethnie différente sous le même toit », dit Norma Joseph dont l’époux, l’ancien rabbin de Shearith Israel pendant 40 ans, Rabbi Howard Joseph, a souvent parlé, évoquant sa communauté, de « Nations unies des communautés juives ».

« Ce qui est très impressionnant, c’est de voir ces communautés s’entendre de manière si harmonieuse dans un cadre orthodoxe malgré leurs patrimoines religieux différents. Elles se respectent, même avec des langues différentes, des traditions musicales différentes et des façons de prier différentes », explique-t-elle.
Ce sens fondamental de la diversité et de l’accueil mutuel est une source de fierté pour les membres même si la majorité d’entre eux considèrent comme acquise cette approche inclusive.
« Lorsqu’on m’a demandé de coordonner ces célébrations du 250ème anniversaire, j’ai pensé à ce qui pourrait avoir véritablement une signification pour notre synagogue durant cette année particulière », dit Rose Simon-Schwartz, responsable de la coordination des célébrations, qui s’est installée avec sa famille originaire d’Egypte à Montréal en 1963.
« Il m’est apparu rapidement que le plus important que nous puissions faire était de fêter les différentes communautés qui constituent l’Espagnole. La mosaïque de cultures est ce qui rend unique notre synagogue et bientôt, nous mettrons en exergue une communauté différente chaque mois dans le cadre de nos célébrations », ajoute Simon-Schwartz.
Au mois de juin, l’Espagnole va commencer une série de soirées, chacune se concentrant sur l’une de ses communautés, qui se terminera au mois de décembre par un événement mettant en lumière les Juifs éthiopiens.
Le 10 mai, pour fêter son anniversaire historique, la synagogue a accueilli un gala de collecte de fonds majeur présidé par le chanteur juif populaire Enrico Macias, né en Algérie et qui vit à Paris, aux côtés de son petit-fils Symon Milshtein, également chanteur, qui se sont produits devant 450 personnes.
Un retour dans le temps
Un après-midi, il n’y a pas longtemps, Elbaz, Joseph et Simon-Schwartz ont accueilli le Times of Israel pour une visite de la synagogue située dans le quartier Côte-des-Neiges.
La visite a commencé dans la petite chapelle où se rencontre le quorum de prière quotidien. Avec 150 sièges, elle héberge une arche magnifique en bois faite à la main, en 1867, pour une précédente incarnation de la synagogue. Encadrant cette arche, des objets encore plus anciens – deux tablettes de marbre avec les dix commandements et deux ménorah en bronze – remontant au bâtiment original, édifié en 1768.

« Ce petit sanctuaire est très spécial », dit Joseph, 73 ans, professeure de religion à l’université de Concordia. « Dans la majorité des synagogues, la chapelle est cette pièce oubliée dans laquelle le minyan quotidien [quorum de prière] se rencontre et on ne se préoccupe pas vraiment de ce lieu, parce que ce n’est pas là que se déroulent les événements majeurs. Mais cette pièce est tellement belle que les gens l’utilisent pour les petits mariages, les bar et les bat mitzvot, les circoncisions ou l’attribution des noms en hébreu pour les nouveaux-nés ».
Joseph cite un autre aspect qui la lie à cet espace.
« D’une perspective de femme, c’est la meilleure chose que l’orthodoxie peut offrir en raison de l’étroite proximité de la section des femmes avec le lieu où la Torah est lue pendant les services. Je peux voir le parchemin mieux que n’importe quel homme assis dans la section des hommes », dit-elle.

Le bâtiment actuel est le quatrième lieu qui accueille la congrégation depuis ses modestes débuts au 18ème siècle. Elle avait été fondée par Aaron Hart et Simon Levy en 1768, sur St. James St., où 15 familles, à l’origine, priaient dans des salles louées. Même s’il venait d’Angleterre, d’Allemagne et des colonies américaines, le groupe fondateur avait suivi les rites séfarades, faisant remonter ses origines à l’Espagne et au Portugal.
En 1777, la congrégation avait construit sa toute première synagogue sur le site de ce qui est aujourd’hui le palais de Justice, à quelques blocs de maisons de la mairie. C’était le premier lieu de culte non-catholique édifié à Montréal.
Pendant ses 78 premières années, la congrégation est restée la seule communauté juive de la ville. En 1846, des membres ashkénazes ont quitté l’Espagnole pour fonder la synagogue Shaar Hashomayim. C’est celle que devait fréquenter le chanteur Leonard Cohen lorsqu’il était petit garçon, des décennies plus tard, et où son grand-père et son arrière-grand père devaient servir au poste de président. C’est son choeur des hommes que l’on peut entendre sur le dernier album de Cohen, sorti juste avant son décès en 2016.
Depuis sa création, l’Espagnole, d’abord majoritairement séfarade, est devenue plutôt ashkénaze avant de retrouver une majorité séfarade ces dernières décennies, ce qui reflète les changements démographiques survenus dans la communauté juive du Québec plus globalement.
L’Espagnole se trouve à son endroit actuel – dans une zone résidentielle de l’autre côté d’un parc – depuis son installation ici en 1947, lorsqu’elle avait quitté le centre-ville. Le principal sanctuaire, qui peut accueillir 500 personnes, a été construit en 1960.
Depuis, il a connu de nombreux changements. Les murs qui font face aux membres de la congrégation ont ainsi été recouverts de pierre de Jérusalem apportée par bateau en 1998. L’arche restaurée est l’un des quatre lieux où la synagogue conserve ses 60 rouleaux de Torah.

« Ce nombre de rouleaux de Torah est inhabituel pour des synagogues », explique Elbaz, 75 ans, qui s’est installé à Montréal après avoir quitté le Maroc il y a 50 ans. « Les petites congrégations comptent habituellement deux ou trois rouleaux, les synagogues majeures peut-être une douzaine. Les nôtres sont des Torahs fonctionnelles que nous pouvons utiliser et lire ».
Il attribue cette quantité à trois facteurs principaux : Les 250 ans qui ont passé et qui ont permis à l’Espagnole d’en accumuler autant ; les familles juives, en particulier du Moyen-Orient, aiment consacrer un rouleau de Torah lors d’occasions spéciales ou en mémoire d’un ancêtre défunt ; et il rappelle également que lorsque les Juifs irakiens sont partis de Bagdad, ils ont secrètement emmené des rouleaux de Torah, certains les ayant offerts à la synagogue.
Une expansion continue
Et cette collection devrait encore s’étendre. Pour commémorer le 250ème anniversaire, la congrégation a commandé un nouveau de Torah fabriqué en Israël. Les membres espèrent le recevoir au mois de septembre, à temps pour Rosh HaShana et pour une cérémonie de consécration dans le cadre des fêtes d’anniversaire. La première Torah de la synagogue était un cadeau de la congrégation des Juifs espagnols et portugais de Londres, au Royaume-Uni. Aujourd’hui, en raison de son ancienneté et de sa signification historique, ce rouleau est conservé aux archives nationales du Canada, à Ottawa.
« En tant que synagogue la plus ancienne du Canada, sa création a marqué le commencement d’une vie juive organisée au Canada et ce bien avant que ce pays n’existe, » dit Joseph, qui s’est installée à Montréal avec son époux depuis Albany, à New York, en 1970. « Lorsque je raconte aux gens ce tournant historique, la plupart d’entre eux sont sidérés d’apprendre une si longue présence des Juifs au Canada et l’origine séfarade de l’histoire juive ici ».

C’est un fait moins surprenant pour ceux qui savent que la première synagogue, aux Etats-Unis, avait été fondée par les Juifs séfarades d’ascendance espagnole et portugaise pour la plupart. En 1654, ils avaient établi la Congrégation Shearith Israel, la synagogue espagnole et portugaise de New York dont le nom, entre autres, aura indubitablement influencé son équivalent à Montréal.
Et autant l’Espagnole se concentre sur son héritage riche, autant elle regarde vers l’avant – comme cela se reflète dans son slogan bilingue pour les célébrations actuelles : « Honoring the Past/Tournée vers le futur ». Au programme encore, un gala au mois de novembre qui visera à accroître l’adhésion des jeunes adultes.
Le nombre de membres a décliné depuis une décennie environ, reflétant en partie un phénomène plus large qui affecte la communauté juive de Montréal depuis le début des années 1970. Jusqu’à cette date, elle était – et de loin – la première communauté juive du Canada en nombre, en influence et en infrastructures.

Avec l’arrivée du nationalisme au Québec, de la violence et de l’instabilité, l’élection d’un gouvernement provincial pro-indépendance en 1976, des législations discriminatoires pro-langue française et la stagnation économique, un grand nombre de Québécois anglophones (et parmi eux, beaucoup de Juifs) ont commencé à s’installer ailleurs, et en particulier à Toronto. Au cours des 45 dernières années, proportionnellement, bien plus de Juifs ashkénazes anglophones, sont partis que les séfarades francophones.
Aujourd’hui, la population juive de Montréal s’élève à environ 90 000 personnes, moins de la moitié qu’à Toronto, et bien moins encore qu’à son âge d’or, au début des années 1970, quand la ville accueillait 125 000 Juifs.
« Je me sens en confiance en tant que Juive à Montréal », explique Simon-Schwartz, 64 ans, qui parlait français lorsqu’elle est arrivée au Canada et qui a seulement appris l’anglais plus tard, à l’école. « Dans la mesure où beaucoup plus de Juifs peuvent parler français aujourd’hui que ce n’était le cas dans le passé, nous sommes moins perçus comme une communauté anglophone isolée de la majorité. Nous faisons dorénavant bien plus partie de la société québécoise ».

Un avis partagé par Joseph.
« Je me sens moi aussi extraordinairement à l’aise en tant que Juive à Montréal », dit Joseph dont les quatre petits-enfants sont tous partis vers les Etats-Unis pour leurs choix de carrière et les opportunités économiques qui y sont offertes.
« Sans aucun doute, la judéité de la ville a décliné, nos jeunes qui sont partis nous manquent, nous sommes une communauté vieillissante et il y a des problèmes avec les écoles juives. Mais une chose intéressante est la baisse indéniable de l’antisémitisme au Québec ».
« La preuve en est le taux de mariage mixte en hausse qu’on ne pourrait pas avoir s’il y avait beaucoup d’antisémitisme », ajoute Joseph. « Un tel taux est possible lorsque la communauté chrétienne du Québec, au sens large, apprécie suffisamment les Juifs pour avoir envie d’en rencontrer et de se marier. Globalement, nous devons vraiment être reconnaissants pour cela et malgré tout, je ne constate aucune disparition de la communauté juive à Montréal ».
... alors c’est le moment d'agir. Le Times of Israel est attaché à l’existence d’un Israël juif et démocratique, et le journalisme indépendant est l’une des meilleures garanties de ces valeurs démocratiques. Si, pour vous aussi, ces valeurs ont de l’importance, alors aidez-nous en rejoignant la communauté du Times of Israël.

Nous sommes ravis que vous ayez lu X articles du Times of Israël le mois dernier.
C'est pour cette raison que nous avons créé le Times of Israel, il y a de cela onze ans (neuf ans pour la version française) : offrir à des lecteurs avertis comme vous une information unique sur Israël et le monde juif.
Nous avons aujourd’hui une faveur à vous demander. Contrairement à d'autres organes de presse, notre site Internet est accessible à tous. Mais le travail de journalisme que nous faisons a un prix, aussi nous demandons aux lecteurs attachés à notre travail de nous soutenir en rejoignant la communauté du ToI.
Avec le montant de votre choix, vous pouvez nous aider à fournir un journalisme de qualité tout en bénéficiant d’une lecture du Times of Israël sans publicités.
Merci à vous,
David Horovitz, rédacteur en chef et fondateur du Times of Israel