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Charniers en Libye : Les familles réclament une vraie punition des coupables

De premiers charniers ont été signalés dès le départ, en juin 2020, des forces de Khalifa Haftar, l'homme fort de l'Est libyen ; les exactions avaient en réalité commencé dès 2015

Des Libyens sur le site d’un charnier duquel des corps ont été récupérés, dans la ville de Tarhouna, au sud de la capitale Tripoli, le 9 février 2022. (Crédit : MAHMUD TURKIA / AFP)
Des Libyens sur le site d’un charnier duquel des corps ont été récupérés, dans la ville de Tarhouna, au sud de la capitale Tripoli, le 9 février 2022. (Crédit : MAHMUD TURKIA / AFP)

« Il a été enlevé le 15 septembre 2019 », raconte Mohamad Allafi, en montrant une grande photo de son fils Mourad, tué à 30 ans et jeté dans une fosse commune, dans l’ouest de la Libye où il a été retrouvé en 2020 avec des centaines d’autres corps.

Pour M. Allafi, la peine « capitale » est le seul verdict capable d’apaiser ceux qui ont perdu un enfant, tué de « sang-froid ».

« Je l’ai appelé des dizaines de fois cette nuit-là, en vain », dit cet homme d’une soixantaine d’années, des sanglots dans la voix, dans leur ferme à Tarhouna, dans l’ouest du pays.

De premiers charniers ont été signalés dès le départ, en juin 2020, des forces de Khalifa Haftar, l’homme fort de l’Est libyen, qui avait lancé une offensive infructueuse début avril 2019 pour s’emparer de Tripoli.

Les exactions avaient en réalité commencé dès 2015, lorsque Tarhouna, petite ville de 40 000 habitants à 80 kilomètres au sud de Tripoli, était tombée aux mains d’Al-Kani, une milice particulièrement violente.

Dirigée par six frères, elle a fait régner la terreur, éliminant les voix critiques, après les avoir torturées. Des familles entières ont disparu.

D’abord pro-Tripoli, dans ce pays en proie aux luttes de pouvoir entre régions rivales depuis la chute du dictateur Mouammar Kadhafi en 2011, elle change d’allégeance et s’associe au camp de Khalifa Haftar, qui en fait une base arrière dans sa tentative avortée de s’emparer de la capitale.

Trois des frères dont leur chef, Mohamed Al-Kani, sont tués, mais les autres prennent la fuite. Aujourd’hui, ils se cachent à Benghazi, le fief de Haftar dans l’est de la Libye, « en Egypte » ou « en Jordanie », supputent les habitants.

Verdicts « injustes »

En février dernier, un tribunal militaire de Tripoli a condamné à des peines de six, 10, 15 ans de prison et à la perpétuité une trentaine d’accusés du meurtre des centaines de civils trouvés dans les charniers de Tarhouna.

Mais ces verdicts n’ont pas apaisé les familles qui réclament la mort pour les coupables. En Libye, la peine de mort reste appliquée mais dans des cas limités, selon un avocat.

« Le parquet militaire a jugé des personnes impliquées dans des crimes à Tarhouna et a rendu des verdicts injustes et insuffisants. Il fallait les condamner à mort », martèle Mossab Abou Kleich, de l’Association des familles des victimes.

Un membre des forces de sécurité affilié au ministère de l’Intérieur du gouvernement libyen d’accord national (GNA) pointe le site signalé d’un charnier dans la ville de Tarhouna, au sud de la capitale Tripoli, le 11 juin 2020. (Crédit : MAHMUD TURKIA / AFP)

Aucune famille « n’est satisfaite des peines de prison contre ceux qui sont, preuves à l’appui, directement responsables du meurtre de centaines de civils », ajoute-t-il, réclamant une peine « à la hauteur du crime commis ».

« Depuis l’assassinat de Mourad, mon épouse et moi sommes malades. Je souffre de diabète et d’hypertension, ma femme est alitée tant la douleur est insupportable », dit M. Allafi, son fils cadet Abdelhakim près de lui.

Mourad, « un jeune homme ambitieux resté à l’écart de la politique et des milices », a été « tué à cause de sa carte d’identité », montrant son appartenance, selon son père, à la tribu Na’aji, farouchement opposée à l’emprise violente des Al-Kani sur Tarhouna.

Réparation

Les familles ont trois revendications : « retrouver les disparus, poursuivre les criminels et les juger, et la réparation », insiste M. Abou Kleich.

Le gouvernement devrait aussi donner la priorité au dédommagement des familles, dont les propriétés ont été incendiées et détruites, pour clore ce dossier sanglant dans une ville où le tissu socio-tribal est important, dit-il.

L’oncle de Mahmoud al-Marghani, Khaled, 59 ans, a disparu en juin 2019 lorsque trois inconnus l’ont emmené de force de chez lui dans leur gros 4X4. Il reste introuvable et a laissé trois orphelins de 7, 10 et 14 ans.

Lorsqu’ils posent des questions sur leur père, son neveu répond « qu’il est parti en voyage », incapable de leur expliquer qu’il est « certainement mort », l’un « des criminels ayant reconnu l’avoir torturé et tué ».

Le drame de Tarhouna est loin d’être clos.

Les autorités continuent les fouilles dans trois principaux sites d’où 350 dépouilles ont déjà été extraites de dizaines de fosses, dont 226 identifiées grâce à l’ADN, selon l’autorité gouvernementale de recherche et d’identification des disparus.

Un nouveau verdict est en outre attendu dans les prochaines semaines contre des dizaines de personnes impliquées dans ce dossier, selon le ministère de la Justice.

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