Comment un jeune Juif doué pour la contrefaçon a vécu dans Berlin durant la Guerre
À l’affiche aux USA, le film en allemand « The Forger » raconte l’histoire du fougueux Cioma Schönhaus qui, en faisant de faux documents, a sauvé des centaines de vies
Cioma Schönhaus a survécu à la Shoah tout en continuant à vivre, sans jamais se cacher, à Berlin.
Les parents et la grand-mère du jeune homme juif ont, eux, été déportés dans des camps de la mort à l’Est, mais lui a pu rester à la faveur d’une dérogation lui permettant de travailler dans une usine d’armement.
À la fin de sa mission, il est resté à Berlin dans l’illégalité la plus complète, a retiré son étoile jaune, pris le nom plus germanique de Peter Schönhausen et s’est fondu dans la masse.
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Imprudemment, il n’a pas toujours gardé un profil bas : il a rejoint la clandestinité et utilisé ses compétences graphiques pour falsifier des passeports qui ont permis à des centaines de Juifs de s’enfuir et donc de sauver leur vie.
Lorsque la Gestapo a commencé à s’intéresser à lui, il s’est fabriqué une carte d’identité de soldat de la Wehrmacht et un laissez-passer de vacances avec lequel il s’est enfui à vélo en Suisse, où il a vécu le restant de sa vie.
L’extraordinaire histoire de Schönhaus du temps de la Seconde Guerre mondiale est décrite dans « The Forger », film en allemand écrit et réalisé par Maggie Peren.
Il est à l’affiche à New York depuis le 3 mars et le sera à Los Angeles dès le 17.
« The Forger » est basé sur les mémoires du même nom de Schönhaus, publiés en allemand dès 2004, et complétés d’une édition anglaise en 2008.
« J’ai décidé de faire le film après avoir rencontré Cioma en novembre 2013. Après avoir lu son livre, je n’arrivais pas à penser à autre chose qu’à cette histoire et à son amour de la vie. Je l’ai appelé puis j’ai pris le train pour Bâle afin de le rencontrer », explique Peren.
Dans un entretien avec le Times of Israel depuis son domicile de Munich, Peren, âgée de 48 ans, dit avoir rencontré Schönhaus à quatre reprises et avoir été en contact constant avec lui par téléphone jusqu’à sa mort, en 2015, à l’âge de 93 ans.
« Au moment de sa mort, j’en étais à la quatrième sinon cinquième version du scénario du film », se rappelle Peren.
« The Forger » est un film intimiste, où tout est vu du point de vue de Schönhaus.
Fort d’une personnalité solaire et d’une grande joie de vivre, il réussit à survivre dans un environnement fait de menaces permanentes.
Sa nature optimiste lui permet de s’adapter à toutes les situations et, avec un coup de pouce de la chance, de survivre à la guerre.
Bien qu’Hitler apparaisse ça et là dans le film, on n’y voit pas de scènes de grands rassemblements nazis, de drapeaux à croix gammée, de rafles de Juifs destinés à la déportation ou de soldats marchant dans les rues.
« Cioma se cachait, donc ça n’avait pas de sens de faire un film de grande envergure. Je voulais me concentrer sur l’univers intime de Cioma au moment des faits. Il n’allait pas aux défilés nazis », souligne Peren.
Le très prometteur Louis Hofmann, âgé de 25 ans, qui campe Cioma d’une manière très intelligente, a d’emblée été en phase avec l’approche de la réalisatrice.
« Nous avons vu tellement de films de guerre. Ce sont des images que nous connaissons par cœur. Nous n’avons plus besoin de grandes scènes nazies cruelles. Ce film est le contraire et sa focale très resserrée autour du personnage principal fonctionne très bien », selon lui.
Le film couvre un laps de temps limité, de la mi-1942 au début 1943 et commence à un moment très précis. Tout ce qui a pu se passer avant est simplement évoqué lors du film.
Tout comme dans la vraie vie, dans le film, les personnages ne révèlent presque rien d’eux-mêmes pour des raisons de sécurité.
Lorsque commence le film, Cioma, âgé de 21 ans, rentre du travail cinq jours après l’expulsion de ses parents et de sa grand-mère. Il est seul jusqu’à ce que son ami Det Kassriel (Jonathan Berlin), dont les parents ont également été récemment expulsés, vienne lui demander s’il peut loger avec lui.
Det travaillait jusqu’alors dans une usine d’uniformes militaires allemands, mais son exemption a expiré et il est désormais dans l’illégalité. Il survit en faisant des travaux de couture pour les femmes, sur le marché, en échange de nourriture.
On en sait encore moins sur « Gerda » (Luna Wedler), jeune femme qui vit sous une fausse identité et fait le commerce de ses charmes contre quelques tickets de rationnement.
Cioma entretient une relation avec elle, à laquelle elle met un terme quand elle réalise que sa négligence la met en danger.
Les spectateurs n’ont d’autre choix que de lire les mémoires de Schönhaus ou faire des recherches pour combler les trous dans son histoire.
Les parents de Samson (Cioma est un diminutif) Schönhaus sont nés à Minsk. Lorsqu’il déserte l’Armée rouge, son père part s’installer avec son épouse à Berlin, où Cioma, leur unique enfant, naît en 1922.
La famille s’installe ensuite à Haïfa, dans ce qui est alors la Palestine sous mandat britannique, en 1926, mais revient à Berlin un an plus tard.
Ils s’installent dans le quartier de Mitte où ils exploitent une société d’eau minérale, spoliée par le régime nazi en 1938.
En 1941, Cioma est contraint d’abandonner ses études de graphisme et d’art pour effectuer des travaux forcés.
Lors d’une interview depuis son domicile londonien (après avoir vécu à Cologne et Berlin), Hofmann confie être tombé amoureux du personnage de Cioma à la lecture du script.
« Ça a été plus fort encore après la lecture des mémoires de Schönhaus. C’était un personnage incroyable. Son histoire est tellement porteuse de sens. Il a été une improbable source de lumière dans une période de ténèbres. J’ai essayé de trouver cette énergie, cette lumière en moi, pour interpréter ce rôle », explique-t-il.
Hofmann admet ne jamais avoir été informé avant cela, lors des cours qu’il a pu avoir sur la Shoah, que des Juifs avaient survécu en se cachant dans Berlin.
Il dit avoir entendu parler de Schönhaus la première fois en regardant le film de 2015 « Les Invisibles », qui raconte l’histoire de quatre jeunes Juifs demeurés à Berlin alors même que les nazis aient déclaré la ville « Judenfrei » dès 1943.
Ce film utilise interviews, reconstitutions, images d’archives et récits pour expliquer de quelle manière Schönhaus et ses 1 700 compagnons d’infortune, cachés dans la capitale allemande, ont survécu, sur les 7 000 qui s’y trouvaient à l’origine.
Marc Limpach et Nina Gummich jouent également des rôles importants dans « The Forger ».
Limpach y interprète le rôle de Franz Kaufmann.
Juriste et membre de l’Église antinazie, Kaufmann, avec son épouse Hélène Jacobs, dirige un réseau qui fournit de faux papiers aux Juifs clandestins.
Bien que d’origine juive, Kaufmann a reçu le baptême protestant. Il échappe à la déportation grâce à son mariage à une chrétienne dont le père est un nazi de haut rang, et à l’éducation chrétienne qu’il donne à son enfant.
En 1944 toutefois, il est arrêté par la Gestapo et abattu au camp de concentration de Sachsenhausen.
Gummich interprète Mme Peters, jeune veuve de guerre et propriétaire bruyante de l’immeuble où vivaient les Schönhaus. Elle demande à Cioma de retirer les cadavres des juifs de l’immeuble qui se sont suicidés en désespoir de cause.
« C’est à toi de le faire », lui dit-elle.
Mme Peters pense avoir bien agi en vendant elle-même les biens de la famille Schönhaus, pour empêcher les gros bonnets du parti nazi d’en profiter.
Après beaucoup d’atermoiements, elle consent à prêter à Cioma la carte de la Wehrmacht de son mari pendant quelques jours, mais lui refuse tout le reste, y compris une couverture lorsque la température se fait glaciale.
« Nous, Allemands, nous accrochons à l’idée qu’il y a eu de ‘Bons Allemands’ et des ‘Nazis’. Pourtant, ce n’est pas vrai. L’antisémitisme était enkysté dans la société allemande. Presque tous les Allemands étaient comme Mme Peters, qui soutenait – ou du moins suivait – le régime nazi et faisait et disait des choses antisémites », explique la réalisatrice.
Schönhaus en était bien conscient et l’utilisait pour se fondre dans la masse.
Dans le film, Cioma parle à plusieurs reprises de sa pratique du « mimétisme » et de l’intériorisation des aspects négatifs de la personnalité et du comportement de son prédateur.
Bien que d’une nature très positive, Peren se disait très profondément traumatisé par son expérience de la guerre, dans la crainte d’une persistance de l’antisémitisme en Europe.
« Il n’a pas dit qu’il était juif avant ses 70 ans. Ce n’est qu’à ce moment-là qu’il a commencé à parler à des groupes d’étudiants », rappelle Peren.
Peren admet que sa propre famille n’a pas fait exception à l’antisémitisme ambiant des Allemands moyens. En fouillant dans les affaires de sa grand-mère, elle a trouvé une carte postale avec la photo d’Hitler.
Selon Peren, il était important pour elle de faire ce film parce que la haine des Juifs en Allemagne n’a jamais vraiment disparu, et elle s’inquiète particulièrement de sa résurgence aujourd’hui.
Hofmann dit avoir voulu faire « The Forger » parce qu’il donne une image différente des Juifs, dépeints par les autres films sur la Shoah comme de simples victimes des camps.
« Cioma s’est rebellé contre les stéréotypes et la stigmatisation », dit-il.
Le film atteste également du fait – peu connu – qu’il y avait des Juifs dans la résistance allemande, qui ont risqué leur vie pour en aider d’autres à s’échapper ou survivre sous une fausse identité.
« J’espère que les gens se souviendront du nom de Cioma Schönhaus », conclut Peren.
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