Décès de Shalom Nagar, le gardien de prison qui a exécuté Adolf Eichmann
Ce Juif yéménite avait été choisi contre son gré pour exécuter la peine de mort et en a été traumatisé ; il est resté anonyme pendant trois décennies avant de raconter en détail les horreurs de la pendaison
Shalom Nagar, qui, par hasard et contre sa volonté, a procédé à l’exécution par pendaison d’Adolf Eichmann après que l’État d’Israël eut condamné à mort le commandant nazi pour son rôle dans la Shoah, est décédé mercredi à l’âge de 88 ans.
Nagar avait 26 ans au moment de l’exécution de la sentence. Il est resté inconnu du grand public pendant les trois décennies qui ont l’exécution à la prison de Ramle aux premières heures du 1er juin 1962. Les autorités israéliennes avaient choisi de garder le silence sur les détails de l’exécution de la peine de mort, seule une brève annonce ayant été faite sur la radio Kol Yisrael.
Puis, en 1992, une station de radio israélienne qui recherchait des informations pour un reportage à l’occasion du trentième anniversaire de l’exécution est tombée sur le nom de Nagar. Dans les années qui ont suivi, il a donné plusieurs interviews aux médias, notamment à un média allemand, dans lesquelles il a décrit les six mois qu’il avait passés à surveiller Eichmann pendant son procès et comment il en était venu à être celui qui avait procédé à l’exécution, la première et la seule condamnation à mort jamais prononcée par l’État d’Israël.
Nagar est né au Yémen en 1936 et est arrivé en Israël à l’âge de 12 ans, orphelin. Il a servi dans la brigade des parachutistes de l’armée israélienne et a ensuite rejoint l’administration pénitentiaire israélienne, où son chemin a croisé celui d’Eichman.
Eichmann, architecte de la « Solution finale » de l’Allemagne nazie, avait été arrêté en Argentine en mai 1960 et ramené pour qu’il soit jugé pour avoir aidé à orchestrer le génocide des Juifs par les nazis pendant la Seconde Guerre mondiale. Il avait finalement été reconnu coupable et condamné à mort, devenant ainsi la seule personne à être exécutée après la création de l’État d’Israël.
Pendant son procès, il a d’abord été détenu dans le nord du pays, puis à la prison de Ramle, où Nagar faisait partie des 22 membres du personnel pénitentiaire soigneusement sélectionnés pour veiller sur lui et qui sont devenus les « gardiens d’Eichmann ».
Nagar a expliqué dans des interviews que les gardiens choisis pour ce travail étaient triés sur le volet afin de s’assurer qu’aucun d’entre eux n’avait de raison personnelle de tuer le prisonnier. À l’époque, de nombreux gardiens de prison portaient encore les matricules tatouées sur leurs bras par les nazis pendant la Shoah, et ces derniers n’étaient même pas autorisés à pénétrer dans l’étage où Eichmann était détenu, dans une aile spéciale de la prison. Les gardiens ashkénazes, descendants des Juifs européens qui ont été les plus touchés par la Shoah, n’ont pas été autorisés à pénétrer dans le complexe cellulaire où Eichmann était détenu, a déclaré Nagar au journal Mishpacha.
Eichmann était détenu dans une cellule qui faisait partie d’une série de pièces communicantes. Un garde le surveillait de près, séparé du prisonnier par des barreaux, un autre surveillait le premier dans une pièce adjacente pour s’assurer qu’il n’attaquait pas leur collègue, et un commandant surveillait les deux autres dans une troisième pièce.
Les autorités craignaient qu’Eichmann ne tente de se suicider, et les gardiens devaient empêcher cela « à tout prix », a expliqué Nagar, mais on craignait également que quelqu’un n’essaie d’empoisonner le prisonnier.
Nagar a déclaré que la nourriture était apportée dans un récipient scellé et que le gardien de service qui surveillait Eichmann devait d’abord la goûter, une tâche que Nagar a également été amené à effectuer.
Si le garde était encore en vie au bout de deux minutes, le reste du repas était alors remis à Eichmann.
Nagar a également décrit les moments qu’il a passés avec Eichmann, et a indiqué qu’il était poli lors des quelques mots qu’ils ont échangés.
Lorsqu’un tribunal israélien a reconnu Eichmann coupable et l’a condamné à mort, la question s’est posée de savoir qui procéderait à la pendaison.
Alors que de nombreux gardiens étaient prêts à assumer cette tâche, Nagar a déclaré qu’il n’en voulait pas. Dans une interview non datée publiée sur YouTube l’année dernière, Nagar explique que la question a été soumise au ministre chargé de la police, qui a demandé aux commandants de la prison de choisir quelqu’un.
Un tirage au sort a été effectué et le nom de Nagar a été retenu. Il a été convaincu d’accepter le poste après avoir vu des photos d’atrocités commises sur des enfants pendant la Shoah.
« Cela m’a tellement choqué que j’ai accepté de faire ce qui devait être fait », a-t-il déclaré au journal Mishpacha lors d’une interview en 2005.
Après le rejet par la Cour suprême de l’appel d’Eichmann contre la condamnation à mort, il était temps de l’exécuter. Nagar, cependant, était en permission. Son commandant est allé chercher Nagar alors qu’il marchait avec sa femme dans la rue et l’a fait monter dans la voiture afin de préserver le secret autour de ce qui était en train de se passer.
Nagar a protesté, faisant remarquer que sa femme pourrait penser qu’il avait été kidnappé et signaler l’affaire à la police. La voiture a donc fait demi-tour et Nagar a dit à sa femme qu’il avait été appelé en raison d’un manque de personnel.
À la prison, une potence de fortune avait été installée en perçant des trous entre trois étages, avec un nœud coulant qui pendait de l’étage le plus élevé jusqu’à une trappe située à l’étage du milieu, et un endroit où le corps tombait au fond.
Eichmann, qui avait reçu la visite d’un prêtre, avait reçu un petit verre de vin, puis s’était préparé à l’exécution. Nagar et son commandant lui ont passé la corde au cou, tandis qu’Eichmann refusait de porter le bandeau qu’on lui proposait.
Nagar a décrit comment il a regardé Eichmann « dans les yeux », puis s’est retiré derrière un paravent. Il a alors actionné le mécanisme de déverrouillage, apparemment un bouton, et la trappe s’est ouverte. Eichmann a été laissé pendant une heure pour s’assurer qu’il soit mort, puis les gardes sont allés récupérer le corps.
Nagar a reçu l’ordre de découper le corps. Il a décrit une scène « cauchemardesque », le visage d’Eichmann blanc comme de la craie, les yeux exorbités, la langue pendante et du sang sur le front, à l’endroit où la corde avait éraflé son cou.
Lorsqu’il a soulevé le corps pour le libérer, l’air restant dans les poumons du cadavre s’est dégagé, provoquant chez Eichman un violent souffle, qui a terrifié Nagar.
« Tout l’air est resté dans son estomac. Quand je l’ai soulevé, tout l’air à l’intérieur est sorti et un son horrible et insupportable a retenti. J’ai senti que l’ange de la mort venait me prendre aussi », s’est souvenu Nagar, selon le quotidien Haaretz.
Le corps a finalement été descendu, placé sur une civière et incinéré.
L’élimination de la dépouille d’Eichmann a été empreinte de symbolisme. Un four spécial a été construit par un survivant des camps de concentration, et un gardien dont la famille a été décimée pendant la Shoah a allumé la flamme. Nagar a ensuite été chargé de charger le corps dans le four, mais il ses mains tremblant encore sous l’effet de la peur qu’il avait ressentie. À ce stade, le commandant de Nagar a décidé de le renvoyer chez lui dans une voiture, accompagné d’un autre agent pénitentiaire.
Dans la vidéo publiée sur YouTube, Nagar raconte qu’il était dans un tel état qu’il ne pouvait pas marcher sans l’aide de l’agent. Pendant un an, il a fait des cauchemars et, même pendant la journée, il craignait qu’Eichmann ne le suive.
Les cendres d’Eichmann ont été transportées par bateau au-delà des eaux territoriales d’Israël et dispersées dans la mer.
Nagar, issu d’une famille religieuse dans sa jeunesse, est devenu laïc par la suite avant de revenir à la religion pour devenir orthodoxe. Après avoir pris sa retraite de l’administration pénitentiaire, il a passé son temps à étudier la Torah dans un institut religieux de l’implantation de Kiryat Arba, en Cisjordanie.
En 2004, un média allemand a demandé à interviewer Nagar. Selon un reportage du Jewish Herald, ce dernier a insisté pour que le tournage ait lieu dans cet institut, avec en bruit de fond, l’activité d’autres personnes engagées dans l’étude.
Le journaliste allemand a demandé à Nagar pourquoi il avait insisté pour réaliser l’interview dans un environnement aussi bruyant. Nagar a répondu qu’il savait que des millions d’Allemands regarderaient l’interview et qu’il voulait leur montrer que le peuple juif n’avait pas seulement survécu à la Shoah, mais qu’il se nourrissait de la culture, des livres, des traditions et de la langue que les Allemands avaient essayé de détruire, selon le Jewish Herald.