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Des centaines d’immeubles israéliens ‘aussi vulnérables’ que la Grenfell Tower de Londres

Les pompiers expliquent n'avoir aucune idée du nombre de bâtiments à étages à considérer comme 'risqués' et admettent que même s'ils découvrent des matériaux dangereux, ils ne peuvent rien faire

Incendie dans un immeuble d'habitation à Ramat Gan, le 13 juin 2016. (Crédit : capture d'écran YouTube)
Incendie dans un immeuble d'habitation à Ramat Gan, le 13 juin 2016. (Crédit : capture d'écran YouTube)

De nombreux immeubles en Israël sont potentiellement aussi vulnérables que la Grenfell Tower de Londres – ce bâtiment d’habitation à plusieurs étages qui a été ravagé par les flammes lors d’un incendie qui a fait au moins 79 morts le 14 juin, a appris le Times of Israel.

La police britannique a fait savoir que l’incendie de la Grenfell Tower – le pire brasier survenu au Royaume-Uni depuis plus d’un siècle – s’est propagé grâce aux matériaux inflammables contenus dans la façade de l’immeuble et a indiqué que des poursuites judiciaires pour homicide involontaire pourraient suivre la tragédie.

Les services d’incendie et de secours israéliens ont déclaré pour leur part qu’il pourrait y avoir des centaines d’immeubles dans tout le pays affichant la même vulnérabilité que la Grenfell Tower, précisant qu’ils en ignoraient toutefois le nombre exact. Et que même s’ils parvenaient à établir quels bâtiments présentent exactement des risques, ils ne disposent pas des pouvoirs nécessaires pour faire quoi que ce soit pour aider à réduire le danger.

En effet, l’année dernière seulement, et malgré la forte opposition des services d’incendie, le gouvernement israélien a amendé le code de la construction pour assouplir les réglementations déjà relativement laxistes du pays et permettre à certains projets de construction d’utiliser les mêmes matériaux inflammables qui auraient été l’un des facteurs majeurs étant à l’origine du drame survenu à Londres.

Alors qu’une opération visant à identifier les bâtiments dotés des mêmes panneaux d’isolation que la Grenfell Tower de 24 étages est actuellement menée dans tout le Royaume-Uni – une opération qui a provoqué l’évacuation jusqu’à présent d’environ 650 appartements londoniens dans d’autres constructions jugées dangereuses – des responsables israéliens ont admis devant le Times of Israel que des failles dangereuses existent dans les propres réglementations des services de sécurité incendie du pays. Ces failles ressemblent de manière frappante à celles qui ont ouvert la porte au Royaume-Uni à certaines pratiques douteuses – dorénavant examinées de près par le gouvernement de Theresa May.

Au mois de juin, l’année dernière, un petit incendie s’est déclenché dans un appartement situé dans un immeuble à plusieurs étages de Ramat Gan, se propageant rapidement à l’extérieur et gagnant les autres étages. Vingt-huit équipes de soldats du feu ont lutté contre l’incendie pendant plus de cinq heures et les flammes ont détruit les appartements sur dix étages sur le côté sud de l’immeuble, projetant des débris enflammés sur la rue adjacente qui ont détruit plusieurs voitures. Des douzaines d’habitants et d’employés qui se trouvaient dans cet immeuble d’habitation qui accueillait également des bureaux ont été soignés pour inhalation de fumées toxiques après avoir été secourus grâce à des échelles et à des grues.

Un incendie fait rage dans un immeuble d'habitation de 15 étages à Ramat Gan, le 13 juin 2016 (Capture d'écran : Deuxième chaîne)
Un incendie fait rage dans un immeuble d’habitation de 15 étages à Ramat Gan, le 13 juin 2016 (Capture d’écran : Deuxième chaîne)

Le feu n’aurait probablement pas pu se propager d’une telle manière s’il n’avait pas été aidé par des panneaux d’isolation inflammables placés sur l’extérieur du bâtiment. Selon les services des incendies, ce sont les mêmes panneaux qui ont contribué à la tragédie de la Grenfell Tower. Ces panneaux en composite de polyéthylène, retrouvés dans les deux constructions, sont très largement mis en cause, soupçonnés d’avoir grandement permis à l’incendie se de répandre rapidement.

Une source proche de la municipalité de Haïfa, qui a demandé l’anonymat, a indiqué au Times of Israel qu’un immeuble d’habitation dans la ville qui s’était transformé en brasier lors d’une série de feux qui s’étaient propagés dans le pays au mois de novembre dernier avait utilisé le même matériel pour ses travaux d’isolation. Les services des incendies ont toutefois annoncé que les enquêtes qui avaient suivi le sinistre n’avaient pas révélé l’usage de matériaux interdits et qu’aucun résidu de polyéthylène n’avait été découvert sur le site.

Les experts font remarquer des failles qui entrent en jeu lors des inspections de construction. Ces lacunes permettent en effet à tous ceux qui rénovent des bâtiments d’utiliser des matériaux moins chers, non-résistants aux flammes, non-ignifuges, ce qui place les habitants dans une situation risquée si, par malheur, un incendie doit se déclarer.

Jeudi, le bureau de la Première ministre du Royaume-Uni Theresa May a fait savoir qu’environ 600 bâtiments au Royaume-Uni pourraient avoir été construits en utilisant des panneaux extérieurs inflammables comme ceux qui auraient contribué au désastre de l’incendie de la Grenfell Tower. Dimanche, les responsables ont expliqué que 60 immeubles dans 25 secteurs avaient été considérés comme peu sûrs et que toutes les constructions vérifiées avaient, jusqu’à présent, échoué aux tests de sécurité.

Le revêtement de la Grenfell Tower avait été fait en polyéthylène – un composite d’aluminium et de plastique. Ce matériau a été utilisé dans des centaines de panneaux Reynobond qui ont été placés à l’extérieur de cette tour d’habitation londonienne l’année dernière. Fabriqués par une entreprise qui porte le même nom, les panneaux Reynobond existent en trois types – l’un avec un cœur en polyéthylène inflammable et deux avec des centres ignifugés.

Des policiers gardent un cordon de sécurité alors qu'un immense incendie ravage la Grenfell Tower à l'ouest de Londres, le 14 juin 2017 (Crédit : Daniel Leal-Olivas/AFP Photo)
Des policiers gardent un cordon de sécurité alors qu’un immense incendie ravage la Grenfell Tower à l’ouest de Londres, le 14 juin 2017 (Crédit : Daniel Leal-Olivas/AFP Photo)

Comme au Royaume-Uni, les réglementations sur les constructions en Israël interdisent l’utilisation des panneaux en polyéthylène Reynobond au cours d’une construction initiale. Mais des failles permettent de s’en servir sans rendre de comptes dans certains cas durant des rénovations, où les entrepreneurs cherchent surtout à réduire les coûts.

Une simple recherche sur internet montre que les panneaux Reynobond ont été utilisés dans des projets dans tout le pays, notamment dans des projets de constructions massifs – d’habitations ou de locaux d’entreprise – à Haïfa, Rehovot, Tel Aviv, Herzliya et à Petah Tikva. L’entreprise a refusé les requêtes du Times of Israël qui désirait savoir quels types de panneaux avaient été utilisés dans ces différents lieux.

Les représentants du bureau international de Reynobond et du distributeur israélien ont également refusé de commenter la nature des matériaux qui sont fournis par l’entreprise en Israël, ni la potentielle importation de ces panneaux Reynobond PE controversés au sein de l’Etat juif.

L’Institut israélien chargé des normes (SII), qui a la responsabilité de faire passer des tests et d’octroyer des certifications à tous les produits utilisés lors des projets de construction dans le pays, n’a pas confirmé avoir examiné les panneaux Reynobond PE et a indiqué que les résultats spécifiques n’appartenaient pas au registre de l’information publique. Le Times of Israël a néanmoins soumis une demande officielle sous les termes de la loi consacrée à la Liberté de l’information pour obtenir des détails sur les entreprises qui avaient demandé des certifications pour les panneaux, ainsi que les résultats des tests menés sur eux par la SII.

De mauvaises pratiques, des régulations laxistes

Selon Haim Tamam, chef du département de la Sécurité et des enquêtes au sein des Services israéliens des incendies et des secours, il est impossible d’estimer combien de constructions en Israël peuvent avoir été rénovées en utilisant comme matériel ces panneaux dangereux et non-approuvés. Il pourrait y en avoir des centaines, reconnait-il, affichant un certain malaise. Il affirme que dans les conditions actuelles, certaines constructions sont sûrement « aussi vulnérables » que la Grenfell Tower.

Haim Tamam, chef du département de la Sécurité et des enquêtes au sein du service israélien d'incendies et de secours (Autorisation)
Haim Tamam, chef du département de la Sécurité et des enquêtes au sein du service israélien d’incendies et de secours (Autorisation)

« Nous avons une législation stricte pour les plans et le lancement des constructions réalisées par les entrepreneurs. Ils doivent présenter leurs plans lors de deux examens rigoureux et séparés », explique Tamam. « Il y a des réglementations strictes concernant les matériaux inflammables pour l’intérieur comme pour l’extérieur des structures. Et plus le bâtiment est élevé, plus les régulations sont strictes ».

Sans l’autorisation des Services des incendies – chargés notamment de confirmer l’approbation de tous les matériaux qui seront utilisés – les entrepreneurs n’auront pas la permission de débuter les travaux.

Mais une fois qu’un bâtiment a été construit, ajoute Tamam, il est plus compliqué de superviser les éventuels changements effectués durant la rénovation.

A Tel Aviv, une ville remplie d’immeubles à plusieurs étages, par exemple, des modifications réalisées à l’extérieur d’une construction – comme l’ajout de panneaux d’isolation – exigent une autorisation préalable des services chargés des incendies.

« Une requête de cette sorte doit être examinée par les services incendies. C’est une condition préalable à l’octroi du permis et c’est la règle », a commenté un porte-parole de la municipalité de Tel Aviv. « Et dans le cadre de l’examen d’une requête, les services chargés des incendies demandent que tous les matériaux utilisés soient résistants au feu, conformément aux régulations ».

Le porte-parole a ajouté qu’afin qu’une construction puisse recevoir un permis de fin de travaux, le département chargé des incendies mène une vérification supplémentaire pour s’assurer que toutes les exigences requises ont bien été respectées.

Mais – et c’est une plainte que l’on entend tant en Israël qu’aux services anti-incendies au Royaume-Uni – Tamam déplore que les services israéliens n’ont presque pas de moyens d’action pour vérifier par eux-mêmes la conformité des changements et rénovations apportés à une structure avec les normes en vigueur. Il ne peut le faire que sur demande de la municipalité.

Et Tamam indique que conformément à la législation actuelle, alors qu’il est officiellement exigé de la part des municipalités de soumettre les plans de rénovation aux services chargés des incendies, les villes sont techniquement en mesure d’octroyer des permis contre les recommandations faites par le service incendie – et un grand nombre d’entre elles le font. « Il y a eu des cas où les municipalités n’ont pas accepté nos recommandations et où les rénovations sont passées à travers le filet », raconte-t-il.

Et lorsque ça arrive, continue-t-il, il est pratiquement impossible pour les services d’incendie de savoir si des matériaux douteux ont été utilisés et dans certains cas, ces derniers ne le découvrent qu’après un sinistre. Un exemple de cela a été l’incendie survenu à Ramat Gan. « Nous ne le savions pas auparavant mais il est clairement apparu après et très rapidement que de tels panneaux avaient été utilisés lors des travaux », poursuit Tamam.

Des gratte-ciels à Tel Aviv (Crédit : Simona Weinglass/Times of Israel)
Des gratte-ciels à Tel Aviv (Crédit : Simona Weinglass/Times of Israel)

Et même si les services d’incendie devaient découvrir une construction ayant utilisé ce même panneau dangereux, il n’y a rien qu’ils soient en mesure de faire pour les faire retirer, dit Tamam. « Qui forcera les constructeurs à les enlever ? Qui paiera pour cela ? Qui fera le travail ? »… Ces questions, entre autres, ne trouvent pas de réponses claires dans la loi actuelle, avertit-il.

De plus, en 2016, le ministère des Finances a introduit des changements aux lois portant sur la sécurité incendie, retirant l’obligation d’une étude menée par les services d’incendie pour tout bâtiment faisant moins de 50 mètres de hauteur ou pour les constructions de type « cuboïdes » s’élevant jusqu’à 100 mètres.

« Ces changements ont codifié les mauvaises pratiques », estime Tamam, qui ajoute que les services d’incendie ont souligné – en vain – les dangers d’une telle législation auprès du ministère des Finances et exprimé leur profonde opposition à ces changements.

Une source proche de l’Autorité chargée de la construction et de la planification au sein du ministère des Finances, qui a supervisé ces changements, a indiqué que ces derniers avaient été institués « pour faciliter le processus et supprimer la paperasse bureaucratique ». La source, qui a noté que les changements avaient été signés par le ministre des Finances Moshe Kahlon, a réclamé l’anonymat dans la mesure où il n’avait pas l’autorisation nécessaire du ministère pour commenter les régulations.

Zeev Lavi, directeur commercial de Myko Engeneering, un distributeur israélien de matériaux composites qui, insiste-t-il, ne vend que des produits strictement ignifuges, explique que ces lacunes ont permis à certains de ses concurrents d’importer des matériaux dangereux.

« Certaines personnes s’en fichent tout simplement », dit-il. « Les réglementations se sont améliorées mais ceux qui veulent les contourner peuvent le faire et le feront ».

Les membres des services d'urgence travaillent dans les étages des ruines de la Grenfell Tower, ravagée par les flammes le 14 juin, à Kensington dans l'ouest de Londres, le 17 juin 2017 ( Crédit : Tolga AKMEN/AFP PHOTO)
Les membres des services d’urgence travaillent dans les étages des ruines de la Grenfell Tower, ravagée par les flammes le 14 juin, à Kensington dans l’ouest de Londres, le 17 juin 2017 ( Crédit : Tolga AKMEN/AFP PHOTO)

Yisrael David, président en exercice de l’Association des Ingénieurs en Israël et son représentant à l’instance gouvernementale qui supervise la sécurité des infrastructures, évoque un certain nombre d’autres failles prévalentes dans les pratiques israéliennes de construction et qui, si elles étaient comblées, aideraient à empêcher des incendies de grande ampleur.

David explique que les projets de construction moins importants devraient être davantage surveillés, soulignant qu’ils ne bénéficient pas du même examen minutieux que les projets de grande ampleur. « Le même processus d’octroi de permis et de vérifications officielles n’existe pas dans la construction à petite échelle », regrette-t-il. De plus, tandis que David soutient que les régulations pour les matériaux extérieurs sont relativement fortes, il déplore qu’il « n’y en ait presque aucune pour ce qui peut être utilisé à l’intérieur d’une construction ».

David explique penser qu’Israël a fait déjà beaucoup de chemin dans ce domaine et que, globalement, l’Etat juif est bien placé pour empêcher des désastres massifs comme celui de Grenfell. Il reconnaît toutefois que d’autres choses peuvent encore être faites.

« Je ne peux pas imaginer qu’une tragédie similaire survienne en Israël », dit David. « Mais encore une fois, je ne pouvais pas imaginer cela non plus à Londres ».

‘Plus répandues à l’avenir alors que les constructions prendront de l’âge’

La rénovation de l’isolation extérieure est l’un des changements que les architectes et les entrepreneurs peuvent mettre en avant pour améliorer l’apparence de constructions plus anciennes et pour les rendre plus efficaces au niveau de la consommation énergétique. Parmi les autres modifications à également envisager, l’amélioration de l’isolation thermique d’un toit ou l’ajout de stores aux fenêtres.

Le professeur Evyatar Erell, qui appartient au département d’Architecture et de Planification urbaine de l’université Ben-Gourion du Negev, estime que la « climatisation » – le chauffage ou l’air frais – compte pour entre 25 à 33 % de l’énergie consommée dans un immeuble résidentiel. Trouver des moyens d’optimiser les performances pour conserver l’habitation chaude ou fraîche peut contribuer à faire des économies énergétiques significatives, note-t-il.

« Lorsque nous avons de meilleures isolations thermiques dans les constructions entre l’intérieur et l’extérieur, nous utilisons moins d’énergie parce que cela reste plus chaud pendant l’hiver et plus frais pendant l’été », explique Erell. « Si vous imaginez un seau avec des trous dedans, lorsqu’il y plus de trous, vous devez continuer à verser de l’eau dans le seau. Lorsque vous chauffez une construction et qu’il y a un trou dans l’isolation, vous devez alors constamment remplir de chaleur le bâtiment ».

« Dans les nouvelles constructions, les murs sont souvent érigés avec des normes plus élevées dès le départ, ce qui réduit les pertes de chaleur. Mais dans les anciennes, en particulier celles des années 1970, l’isolation thermique n’était pas aussi bonne ».

Appartements en construction à Jérusalem. Illustration. (Crédit : Sliman Khader/Flash90)
Appartements en construction à Jérusalem. Illustration. (Crédit : Sliman Khader/Flash90)

Même si l’isolation des murs fait actuellement les gros titres, en Israël, plus d’efficacité énergétique pourrait être obtenue en améliorant l’isolation thermique des toits, un procédé qui est moins coûteux que l’ajout de panneaux aux murs d’une habitation. Ceci parce que dans la plus grande partie des régions israéliennes, les constructions connaissent des températures extrêmes durant l’été et que l’isolation thermique doit être adaptée pour préserver au mieux les bâtiments de la chaleur.

Le nord d’Israël et Jérusalem, plus vallonnés, ressemblent davantage au Royaume-Uni, avec une isolation thermique concentrée sur le froid en hiver.

Erell ajoute que les rénovations réalisées à l’aide de panneaux extérieurs, comme cela a été le cas dans les appartements de la Grenfell Tower à Londres, sont moins courantes en Israël. « Je pense qu’elles seront plus répandues à l’avenir alors que les constructions prendront de l’âge », dit-il. « La majorité des constructions en Israël sont encore assez jeunes ».

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