Des soldats inconnus morts au combat désormais reconnus
Grâce à une organisation à but non lucratif, des centaines de héros pratiquement anonymes, morts en Terre sainte en 1948 et avant, ont enfin été identifiés
Pendant des années, Henri Fernebok n’a été qu’un nom sur le site Internet du ministère de la Défense consacré au souvenir (Izkor). En effet, on ne savait presque rien de ce jeune soldat, mort pendant la guerre d’Indépendance d’Israël en 1948, à part son nom, sa date de naissance et l’année de son décès.
Mais ce qui a commencé par une petite note sur sa tombe – placée là par des bénévoles de l’organisation israélienne à but non lucratif, « Giving a Face to the Fallen » (GFF) – a connu une fin passionnante et longtemps attendue, en juin, lorsque des proches de Fernebok ont rencontré une Américaine âgée de 92 ans.
Les bénévoles de la GFF (« Latet Panim Lanoflim » en hébreu) ont passé de longs mois à rechercher, dans le monde entier, des informations sur Fernebok, reconstituant minutieusement son histoire.
Recevez gratuitement notre édition quotidienne par mail pour ne rien manquer du meilleur de l’info Inscription gratuite !
Finalement, l’association a réussi à localiser des proches du soldat décédé en Israël et en France, ainsi que la New-Yorkaise Nancy Klein, qui avait régulièrement correspondu avec le jeune homme, après les horribles expériences qu’il avait vécues pendant la Shoah.
Leurs efforts ont été récompensés lorsque les parties se sont retrouvées lors d’une rencontre chargée en émotion au cimetière militaire du mont Herzl, à Jérusalem.
Jusqu’à la création de la GFF, les détails et/ou les lieux de sépulture de 962 hommes et femmes qui ont combattu pour libérer Israël de la domination étrangère du XIXe siècle à 1948, étaient inconnus.
La plupart d’entre eux n’avaient pas de visage ; il n’existait pas une seule photo connue.
Mais en 2010, des habitants de Jérusalem, Dorit Perry et Uri Sagi, se sont mis à la recherche d’informations et, en 2013, ils ont fondé la GFF. À ce jour, 270 soldats israéliens autrefois inconnus, ont désormais un visage et une histoire.
« Honorer leur mémoire avec leurs histoires et leurs photos était le moins que nous pouvions faire pour ces héros qui, par leur sacrifice, ont rendu possible l’État d’Israël », a déclaré Dorit Perry.
Les graines de la GFF ont été plantées il y a 12 ans, lors de l’une des visites régulières de Perry au mont Herzl à l’occasion de Yom HaZikaron, la journée nationale du souvenir en Israël.
Habituellement, elle rendait hommage à un parent ou à un ami tombé au champ d’honneur, en se tenant à côté de sa pierre tombale.
En 2010, cependant, elle a décidé d’honorer un soldat dans une zone vide, ou presque, de visiteurs.
Cette année-là, elle a fait le tour de la section où sont enterrés les soldats qui ont combattu pendant la guerre d’Indépendance de 1948.
En regardant les noms sur les pierres et en discutant avec la seule autre personne présente sur le site, Perry a remarqué que l’une des pierres tombales était presque vide : l’inscription ne mentionnait que son nom, le lieu et la date de la bataille où il était tombé, et son âge (24 ans) qui, en réalité, était incorrect.
Le nom figurant sur la pierre tombale était Yosef Lahana.
Perry a alors décidé de trouver tout ce qui était possible sur Lahana, de localiser les membres restants de sa famille élargie et de trouver une photo en vue de la publier sur le site web Izkor.
Les neuf mois de recherche nécessaires ont finalement été payants. Non seulement Lahana avait un visage, mais il avait aussi une histoire.
Yosef Lahana est né à Arta, en Grèce, en 1921, et a combattu avec des soldats partisans après l’invasion de son pays par les Allemands, 20 ans plus tard.
Presque immédiatement après la fin de la guerre, en 1945, Lahana a embarqué sur un bateau d’immigration clandestine en direction de la Terre promise.
Bien que les dirigeants britanniques de la Palestine mandataire aient détenu de nombreux Juifs débarqués, Lahana a réussi à se fondre dans la population locale et à se rendre dans un kibboutz.
En février 1948, Lahana rejoint l’armée israélienne pré-étatique. Bien qu’il soit gravement blessé pendant les combats, il insiste pour reprendre du service.
Le 3 juin 1948, il est à nouveau grièvement blessé, cette fois lors d’une tentative infructueuse de capturer la ville arabe stratégique de Jénine.
La plupart des troupes israéliennes ont battu en retraite, mais Lahana a été laissé derrière avec d’autres soldats morts et blessés et désigné comme disparu au combat.
45 soldats israéliens, dont Lahana, sont morts en captivité et il aura fallu deux ans pour que leurs corps soient libérés et rendus à Israël. Lahana a été enterré dans une fosse commune sur le mont Herzl, avec une pierre commémorative qui ne disait presque rien.
Aujourd’hui, la pierre a été complétée.
On ne sait que très peu de choses sur un autre soldat également enterré au mont Herzl : Moshe Noah Wilinger, né en Tchécoslovaquie en 1928.
Lorsque les bénévoles de la GFF ont commencé à enquêter sur son histoire, ils sont allés sur le site web Izkor qui était plein d’informations sur la Tchécoslovaquie et la Seconde Guerre mondiale.
Mais à part une photo, il y avait peu de choses sur le jeune homme lui-même, ses expériences pendant la Shoah ou ce qu’il était advenu de sa famille.
Il aura fallu plusieurs années de recherche. Mais aujourd’hui, nous en savons beaucoup sur sa famille et sur son séjour à Auschwitz et Buchenwald, alors qu’il n’était âgé que de 15 ans.
Ironiquement, lorsqu’il a finalement trouvé refuge en Palestine mandataire un an plus tard, il a été emprisonné – à nouveau – cette fois dans le camp de détention d’Atlit, en tant qu’immigrant illégal.
Finalement libéré, il a été traité pour une tuberculose avancée.
Deux mois avant la création de l’État d’Israël en 1948, il s’engage dans l’armée et est affecté à l’une des positions les plus instables de Jérusalem : la frontière avec la Jordanie.
Le 15 mai, la légion jordanienne a tiré des milliers d’obus sur la ville.
Lorsque les lignes de communication entre le quartier général et les positions frontalières ont été coupées, Wilinger s’est porté volontaire pour les réparer. Il y est parvenu juste avant d’être abattu par la balle d’un sniper.
Comme pour Lahana, une fois que la GFF eut achevé ses recherches, la pierre tombale presque vide du soldat fut remplacée et un mémorial a pu être érigé sur sa tombe. Malheureusement, Wilinger était le dernier de sa lignée.
Tous les soldats, dont la mémoire est préservée par la GFF, ne sont pas enterrés en Israël.
En 1943, Tamar Mark a été tuée alors qu’elle servait dans l’armée britannique. À l’époque, les seules informations dont on disposait à son sujet étaient son nom, son unité et la date du tragique accident qui a entraîné sa mort.
Même son âge était inconnu, et sa nationalité était indiquée par erreur comme britannique – jusqu’à ce que la GFF ne commence à faire des recherches sur son histoire. Aujourd’hui, une photo d’elle se trouve sur le site de Yizkor, et sa vie est désormais à la disposition de tous.
Mark est née en 1922 à Vienne, en Autriche. À ses 17 ans, l’Allemagne annexe le pays lors de l’Anschluss.
Choquée par le comportement bestial des nazis à l’égard de la population juive, Mark s’embarque sur un bateau et se dirige vers la Terre promise.
Une fois sur place, elle étudie l’agriculture et, avec un groupe de personnes qui la décrivent comme optimiste et pleine de vie, elle se prépare à établir une nouvelle implantation.
En 1942, elle se porte volontaire pour servir dans la branche féminine de l’armée britannique. Un an plus tard, elle est tuée dans un accident de la route et est enterrée dans un cimetière militaire britannique dans la lointaine Égypte.
C’est pourquoi l’accès à des informations complètes sur son histoire est si important. Il est désormais possible de « rendre visite » à la soldate décédée et même d’allumer une bougie virtuelle en son honneur, bien que son lieu de repos final soit si éloigné de son peuple et de sa patrie.
On ne savait rien non plus du sort de Mordecai Shimon Harrar, bien qu’il ait servi dans l’armée britannique. Aucun détail n’existait sur sa famille ou son histoire, et il n’y avait aucune photo de ce soldat inconnu sur le site Izkor.
Il aura fallu trois ans de recherche, mais les volontaires de la GFF ont finalement retrouvé sa tombe non marquée et appris l’histoire de sa vie.
Harrar est né en Palestine mandataire, de parents qui avaient immigré du Maroc, alors qu’ils n’étaient encore que des enfants.
En 1935, alors qu’Harrar n’avait que 15 ans, sa mère est décédée et a été enterrée dans l’ancien cimetière juif du mont des Oliviers.
Peu après le début de la Seconde Guerre mondiale, les dirigeants juifs de la Palestine mandataire ont lancé un appel aux volontaires pour servir aux côtés des Britanniques, en Afrique du Nord.
Harrar s’est présenté et a été rattaché au Royal Pioneers Corps (« Corps des Pionniers Royaux »).
En 1941, son unité a été envoyée en Grèce pour se préparer à une attaque allemande redoutée. En effet, les Allemands ont attaqué en avril de cette année-là.
Lorsque leurs troupes ont atteint Athènes, les Britanniques ont ordonné la retraite – mais, tragiquement, l’ordre n’est jamais parvenu à la compagnie d’Harrar.
Il a été fait prisonnier par les Allemands.
Après un échange de prisonniers quatre ans plus tard, Harrar a finalement pu rentrer chez lui. Mais il est tombé gravement malade en prison et est mort peu après.
Il était référencé comme soldat mort au combat dont le lieu de sépulture était inconnu.
Des volontaires de la GFF ont retrouvé sa tombe, car bien qu’il ait été enterré à côté de sa mère et de son frère sur le mont des Oliviers, il n’y avait pas de pierre tombale et le site avait été oublié.
L’année dernière, le ministère israélien de la Défense a ajouté une pierre commémorative sur sa tombe.
Reuven Rivlin a été élu à la présidence de la Knesset en 2003, puis a rempli un mandat de sept ans en tant que président d’Israël, qui s’est achevé en 2021.
Chaque année depuis cette première élection, Rivlin s’est adressé au pays à l’occasion des journées du souvenir et de la mémoire de la Shoah.
Et dans presque chaque discours, le président mentionnait un garçon surnommé « Freddy » dont il ne connaissait pas le nom de famille.
Freddy, un adolescent qui était arrivé dans le quartier de Rivlin après avoir miraculeusement survécu à la Shoah, est parti se battre pendant la guerre d’Indépendance, pour ne jamais en revenir.
Freddy a été tué le 16 mai 1948, deux jours après qu’Israël a déclaré son indépendance. 71 ans plus tard, la GFF a offert à Rivlin un réel cadeau.
Pendant de longs mois, des bénévoles ont parcouru toutes les pistes possibles en Israël, en France, aux États-Unis et en Allemagne, à la recherche d’informations sur Freddy.
Ce qu’ils ont trouvé est incroyable. Non seulement Freddy avait enfin un nom – Zvi (Freddy) Gross – mais une histoire détaillée de sa très courte vie a également pu être compilée.
Le 7 mai 2019, lorsque les recherches se sont achevées, une cérémonie commémorative spéciale en l’honneur de Freddy a eu lieu sur le mont Herzl.
Rivlin était présent et a personnellement insisté pour diriger une partie du service. C’est Rivlin lui-même qui y a récité le Kaddish (prière de deuil pour les défunts).
L’une des batailles les plus sanglantes de la guerre d’Indépendance a eu lieu au monastère de San Simon, dans le quartier de Katamon, à Jérusalem.
Les combats, qui se sont déroulés à la fin du mois d’avril 1948, ont été terribles et, le deuxième jour, seuls 20 hommes étaient encore en vie et en état de se battre.
Pourtant, à la surprise générale, ils sont parvenus à gagner la bataille.
Les soldats de la brigade, qui ont participé à la bataille, ont été enterrés dans le cimetière militaire du kibboutz Kiryat Anavim.
Leurs pierres tombales racontent leur histoire, ainsi que le nom de leurs parents et leur lieu de naissance.
Ce n’est pas le cas de la pierre tombale d’un soldat connu de ses amis sous le surnom de « Benny Berele ».
À part la date à laquelle il est tombé, la pierre est complètement nue.
Plusieurs volontaires de la GFF ont cherché des informations sur lui pendant des années, en vain.
Espérons qu’un jour cela changera, car les recherches continuent.
Toutes les personnes impliquées dans « Giving a Face to the Fallen » sont des bénévoles, y compris ses fondateurs. Le gouvernement israélien ne participe pas aux dépenses, et les dons de charité permettent à la GFF de continuer à fonctionner. Les bénévoles utilisent souvent leurs propres ressources pour passer des appels à l’étranger et pour payer des documents dans le pays et à l’étranger.
Pour en savoir plus sur l’organisation à but non lucratif, pour obtenir des détails supplémentaires sur ces soldats autrefois inconnus, pour faire un don ou pour devenir bénévole, veuillez consulter le site Web de l’organisation.
Aviva Bar-Am est l’auteure de sept guides en anglais sur Israël. Shmuel Bar-Am est un guide touristique agréé qui propose des visites privées et personnalisées en Israël pour les particuliers, les familles et les petits groupes.
... alors c’est le moment d'agir. Le Times of Israel est attaché à l’existence d’un Israël juif et démocratique, et le journalisme indépendant est l’une des meilleures garanties de ces valeurs démocratiques. Si, pour vous aussi, ces valeurs ont de l’importance, alors aidez-nous en rejoignant la communauté du Times of Israël.
Nous sommes ravis que vous ayez lu X articles du Times of Israël le mois dernier.
C'est pour cette raison que nous avons créé le Times of Israel, il y a de cela onze ans (neuf ans pour la version française) : offrir à des lecteurs avertis comme vous une information unique sur Israël et le monde juif.
Nous avons aujourd’hui une faveur à vous demander. Contrairement à d'autres organes de presse, notre site Internet est accessible à tous. Mais le travail de journalisme que nous faisons a un prix, aussi nous demandons aux lecteurs attachés à notre travail de nous soutenir en rejoignant la communauté du ToI.
Avec le montant de votre choix, vous pouvez nous aider à fournir un journalisme de qualité tout en bénéficiant d’une lecture du Times of Israël sans publicités.
Merci à vous,
David Horovitz, rédacteur en chef et fondateur du Times of Israel