Des tatzpitaniot témoignent de problèmes et de manque d’entraînement avant le 7 octobre
Elles étaient sans armes ni directives en cas de débordement de la base, explique le père de Noa Price, tuée à Nahal Oz ; Une ex-soldate parle de caméras cassées
Les tatzpitaniot, soldates de Tsahal chargées de surveiller la frontière de Gaza dans les semaines et les mois précédant l’invasion du Hamas le 7 octobre ont dû faire face à des problèmes techniques répétés sans jamais avoir reçu de formation sur la façon de réagir en cas d’invasion, ont témoigné mardi plusieurs ex-soldates, ainsi que les parents de leurs camarades mortes au combat.
Le père d’une soldate de surveillance qui a été tuée a précisé que les soldates n’avaient pas d’armes et n’avaient reçu aucune formation sur la façon de se défendre, manifestement parce que l’éventualité d’une attaque de la base n’avait jamais été envisagée sérieusement par leurs supérieurs.
« Il y a eu de nombreux dysfonctionnements, dont certains n’ont été que très tardivement solutionnés. Il y avait par exemple des caméras qui fonctionnaient moins bien, ce qui explique que nous ayons beaucoup moins bien vu », a expliqué à la commission d’enquête civile indépendante, à Tel Aviv, Margaret Weinstein, ex-soldate du Corps de défense des frontières qui a terminé son service à la base militaire du kibboutz Nahal Oz un peu avant le 7 octobre.
Elle a également parlé des ballons de surveillance défectueux, alors qu’ils sont supposés donner des images des « zones non couvertes ». Lorsqu’on lui a demandé à quel point ces ballons étaient importants dans leur travail de veille, elle a répondu : « Ils sont absolument essentiels. »
Weinstein – qui a ensuite été affectée à la base d’Urim, elle aussi envahie le 7 octobre – a indiqué qu’on avait répondu à ses plaintes : « On n’a pas les budgets pour ça ».
Malgré les problèmes d’équipement, ces soldates de surveillance se sont aperçues, quelque temps avant le 7 octobre, que le Hamas préparait quelque chose, a-t-elle poursuivi. « Nous avons senti que quelque chose se passait, il y a avait un je-ne-sais-quoi dans l’air », a-t-elle précisé.
Comme cette augmentation des entraînements et des déplacements des pick-up d’hommes armés du Hamas dans la zone frontalière « plusieurs fois par semaine ».
Les hommes armés du Hamas ont également fait exploser des charges près de la clôture, a-t-elle dit, affirmant qu’« il était clair que c’était davantage destiné à nous tester qu’à causer des dégâts – à tester combien de temps il fallait pour que la charge explose, et comment nous réagirions. Il était tout à fait clair pour nous que c’était leur intention, nous tester. »
Weinstein et ses collègues ont « tout transmis » à leurs supérieurs, a-t-elle dit. Mais « nous ne faisions que rendre compte, nous ne pouvions rien faire de plus », a-t-elle ajouté. « Nous transmettions à ceux, au-dessus de nous, dont le travail est d’interpréter… et de tirer leurs propres conclusions. »
C’est en temps réel que ces soldates d’observation fournissent des renseignements aux soldats de terrain, d’où leur surnom des « yeux de l’armée ». Plusieurs membres de cette unité exclusivement féminine disent ne pas avoir été prises au sérieux en raison de leur genre – ce qui, selon elles, a conduit à la mort de 15 d’entre elles dans leur base du kibboutz Nahal Oz, le 7 octobre.
Plusieurs semaines avant l’attaque du Hamas – qui a vu des milliers de terroristes traverser la frontière pour massacrer plus de 1 200 personnes et faire 251 otages – les soldates ont signalé des activités, le long de la frontière agitée de Gaza, située à un kilomètre.
Roni Lifshitz, soldate de surveillance affectée à la base de Nahal Oz jusqu’à peu de temps avant le 7 octobre, a corroboré les doléances de Weinstein.
« Pendant la majeure partie de mon service, soit plus d’un an, les ballons d’observation étaient au sol. Et les caméras tombaient en panne très souvent », a-t-elle déclaré. « On nous disait qu’il n’y avait pas d’argent » pour de nouvelles caméras, a-t-elle ajouté.
Amit Yerushalmi, observatrice de la base de Nahal Oz démobilisée peu de temps avant l’attaque, se souvient avoir vu les hommes du Hamas redoubler la fréquence de leurs entraînements avant le 7 octobre.
« J’ai vu leurs entrainements. Avant, ils s’entraînaient une fois à deux fois par mois. Puis ils sont passés à une fois par semaine, puis plusieurs fois par semaine et enfin plusieurs fois par jour. J’ai également constaté un changement du lieu des entrainements. Le fait que ces entrainements ne se déroulent pas dans leur complexe habituel a renforcé les soupçons », a-t-elle expliqué à la commission.
Yerushalmi se rappelle par ailleurs avoir vu des convois d’une trentaine de camionnettes, parfois jusqu’à trois fois par jour, rouler le long de la frontière « avec des terroristes armés à bord, porteurs de caméras et de drapeaux du Hamas et de la Palestine ».
« Nous pensions que [les échelons supérieurs de Tsahal] nous écoutaient et faisaient quelque chose de nos renseignements. Compte tenu de ce qui s’est passé, je sais maintenant qu’ils n’en ont rien fait », a-t-elle ajouté.
Elle a également indiqué que les soldates n’avaient reçu aucune instruction pour savoir comment se défendre en cas d’attaque contre leur base. « Nous étions censées rester assises derrière nos écrans dans le centre de commandement », a-t-elle ajouté.
Erez Price, le père de la sergente Noa Price, 20 ans, l’une des soldates de surveillance tuées le 7 octobre lorsque les terroristes du Hamas ont envahi la base de Nahal Oz, a également évoqué ce manque de formation.
Il a parlé de son déplacement à Nahal Oz, au lendemain des meurtres du Hamas, et « des dizaines de soldates en dehors de la base » en train d’attendre que des membres de l’unité d’élite Shaldag la nettoient.
« Je me suis présenté comme le père d’une soldate et j’ai demandé aux officiers pourquoi ils n’entraient pas », ce qui m’a valu d’être menacé de détention par un officier, a-t-il dit.
« Je suis retourné chercher une arme, un casque et un gilet. J’ai demandé à l’un des soldats de me donner une arme », a-t-il poursuivi.
Interrogé sur la raison pour laquelle les soldates de surveillance n’étaient pas armées, il a déclaré à la commission qu’elles n’avaient ni formation ni armes.
« Elles savaient se mettre à l’abri [des attaques de roquettes]… Elles n’étaient aucunement préparées à une attaque », a-t-il ajouté.
Les témoignages plaident en faveur de la « nécessité de mettre en place une commission d’enquête d’État », a déclaré Eyal Eshel, dont la fille, la sergente Roni Eshel, 19 ans, soldate du Corps de défense des frontières, a été tuée le 7 octobre.
Il est l’un des instigateurs de cette Commission d’enquête civile, créée cet été suite au refus du Premier ministre Benjamin Netanyahu de diligenter, tant que la guerre durera, une commission d’État chargée d’enquêter sur les défaillances ayant permis les attaques du 7 octobre.
Il estime que l’armée israélienne a sa part de responsabilité dans la mort de sa fille ; en janvier dernier, il avait d’ailleurs déclaré aux députés que sa fille « n’était plus en vie parce qu’on ne l’avait pas écoutée ».
Une commission d’enquête indépendante est nécessaire « pour faire toute la lumière sur ce qui s’est passé : rien d’autre ne nous apportera le repos », avait-il déclaré à l’époque.
Eshel a déclaré mardi à l’enquête que sa fille lui avait également parlé de certains des problèmes le long de la frontière de Gaza, tels que des caméras qui ne fonctionnaient pas, mais lui avait demandé de ne pas contacter l’armée israélienne en son nom afin de ne pas l’embarrasser.
« J’ai écouté mais je n’ai pas agi. Je lui ai dit que nous avions la meilleure et la plus forte armée du monde », se souvient-il.