En ce Souccot, un nouveau livre propose une lecture originale et éclairante de l’Ecclésiaste
Dans "Qohelet : Searching for a Life Worth Living", le philosophe israélien Menachem Fisch et l'artiste américaine Debra Band présentent le texte éponyme sous un jour plus optimiste
Nous connaissons tous la célèbre phrase du livre de l’Ecclésiaste, aussi appelé Kohélet : « Vanité des vanités, tout est vanité. » Mais, cette expression est-elle aussi bien comprise que nous le pensons ? Et si elle signifiait en réalité quelque chose de tout à fait différent — non pas « vanité des vanités », mais « vapeur des vapeurs » ?
C’est l’une des audacieuses réévaluations d’un texte ancien dans Qohelet : Searching for a Life Worth Living (Kohélet : la quête pour une vie qui vaut la peine d’être vécue, non-traduit en français), une collaboration entre le philosophe israélien Menachem Fisch et l’artiste américaine Debra Band. Publié l’année dernière par Baylor University Press, ce livre s’avère une lecture opportune pour Souccot, moment où le Kohélet est traditionnellement lu à la synagogue.
« Ce n’est pas que tout soit vanité, sans signification », a expliqué Fisch lors d’un entretien conjoint avec sa collaboratrice accordé au Times of Israel. « C’est une lecture radicalement différente. »
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Fisch, professeur de philosophie des sciences à l’université de Tel Aviv, a rédigé la partie philosophique de l’ouvrage. Band a contribué aux enluminures, dont beaucoup ont été inspirées par une visite à l’Alhambra, une forteresse islamique de l’Espagne médiévale, réputée pour ses magnifiques jardins et son architecture raffinée, symboles de la coexistence culturelle (convivencia) de l’époque.
« Mon seul problème en tant que philosophe, c’est que les livres philosophiques ne sont pas censés être magnifiques », plaisante Fisch, « or, celui-ci l’est ».
« Ce fut un réel plaisir », a confié Band. « Le processus de recherche s’est avéré extrêmement significatif et introspectif pour nous deux. »
L’image représente une cour de palais, avec au premier plan une fontaine entourée de grenadiers et d’amandiers. On y voit des femmes enceintes célébrant des naissances imminentes, tandis que des courtisans discutent joyeusement. En arrière-plan, un vieil homme s’éloigne vers une chambre intérieure sombre, symbolisant le passage du temps et l’inévitabilité de la vieillesse et de la mort.
« Tout est en retrait, cour après cour après cour, jusqu’à ce que vous arriviez à cette sorte de néant brumeux », explique Band, qui décrit cette scène comme « le palais de la vie humaine ».
L’Alhambra, avec ses enchevêtrements de cours et ses jeux d’ombre et de lumière, offrait une source d’inspiration idéale pour représenter cette idée de la vie humaine, à la fois splendide et transitoire.
« Le Midrash utilise souvent la métaphore du palais », poursuit Band. « Le ciel, qui est la demeure de Dieu, est comparé à un grand palais et ses jardins représentent le monde humain… J’ai pris cette métaphore et l’ai adaptée : j’ai décidé que le palais symboliserait la vie humaine – une vie qui peut être majestueuse, mais qui est, en fin de compte, éphémère. »
Alors qu’elle admirait les mosaïques, les pierres et les galeries de l’Alhambra, Band n’a pu s’empêcher de remarquer les effets du temps. « On marche à travers ces pièces, et les mosaïques commencent à s’effriter, les murs des jardins se fissurent et tombent peu à peu. »
« Debra qualifie son travail de midrash visuel », souligne Fisch. « C’est bien plus qu’une simple illustration. »
Kohélet se prête naturellement à une réflexion profonde et nuancée. Ce texte canonique du judaïsme du Second Temple, attribué à un auteur éponyme dont le nom signifie « celui qui rassemble une assemblée » et que la tradition identifie au roi Salomon, fait partie des 24 livres de la Bible hébraïque. Cependant, il ne contient aucune référence directe à la Torah, à l’Alliance ou à Israël.
Quelle que soit l’identité de Kohélet, le texte est ponctué de phrases mémorables. Outre le célèbre « Vanité des vanités », Kohélet observe qu’il n’y a rien de nouveau. Ces mots, tout comme ceux qui ont inspiré Roger McGuinn et les Byrds dans leur tube des années 60 Turn! Turn! Turn!, résonnent toujours aujourd’hui.
En ce qui concerne les conseils de fin de vie, Kohélet se montre concis : « Crains Dieu et observe ses commandements. » Un message austère, pourrait-on penser. Mais pour Fisch et Band, ce n’est pas aussi simple, surtout après avoir réfléchi à l’usage du mot hébreu hevel dans le texte.
« Habituellement traduit par vanité ou insignifiance, hevel peut signifier autre chose », explique Fisch. « Étymologiquement, le terme désigne une brume ou une vapeur, qui peut renvoyer à l’idée de temporalité plutôt qu’à celle de futilité. »
Fisch en vient alors à se demander si Kohélet ne parle pas plutôt de la nature temporelle de la connaissance humaine. Si tel est le cas, cela donnerait au texte une perspective beaucoup plus optimiste.
« Si ce que Kohélet dit, c’est que nous sommes des êtres historiques et que notre savoir est provisoire — et c’est ainsi que nous comprenons la science aujourd’hui », explique Fisch. « La science est une entreprise très riche, toujours en évolution, mais toujours hypothétique. »
« Le grand projet de Kohélet est d’essayer de concilier cela avec Dieu », poursuit-il. « Selon notre lecture, le moment de révélation de Kohélet survient lorsqu’il réalise soudain que Dieu nous a créés limités par le temps. Dieu sait que nous ne pouvons jamais dépasser cette limite de connaissance historique provisoire. Par conséquent, Il n’attend pas de nous des certitudes absolues, mais des actions et des compréhensions humaines basées sur notre situation temporelle. Nous ne serons pas jugés selon des standards divins, mais selon les meilleurs standards humains, ce qui change tout. »
Dans cette perspective, « Il dit : Crains Dieu et obéis à Ses commandements, tels que tu les comprends, et cela suffit », conclut Fisch.
« À la fin, il y a une véritable sérénité », a ajouté Band. « Jeune homme, jeune femme, sortez et profitez de votre vie pendant que vous l’avez… vivez la bonne vie, faites vos plans d’urgence pour quand les choses tourneront mal… Ainsi, vous saurez, au terme de celle-ci, que vous avez fait de votre mieux ».
« C’est la seule chose que Dieu pourrait nous reprocher », ajoute-t-elle.
Ces mots revêtent un caractère aigre-doux. Le livre a été publié en juillet dernier et a été présenté à l’automne aux États-Unis, notamment le 9 octobre à Princeton. Fisch et sa femme ont quitté Israël par un vol de minuit le 7 octobre, alors que le pogrom perpétre par le groupe terroriste palestinien du Hamas, au cours duquel les terroristes du groupe ont assassiné plus de 1 200 personnes et enlevé 251 autres dans la bande de Gaza, était encore en cours.
« En observant ce qui se passe, sans parler de la politique américaine, la sagesse de l’approche de Kohélet me semble de plus en plus évidente », confie Band.
« Kohélet est une célébration d’une forme de religiosité talmudique et non zélée », explique Fisch. « Elle reconnaît la diversité, et n’exige pas que tout le monde marche au même rythme… Nous pouvons emprunter toutes sortes de directions. »
Les deux collaborateurs, qui sont aussi des cousins germains, ont trouvé dans Kohélet des échos de leurs propres expériences personnelles.
Pour Band, c’est la perte tragique de son demi-frère bien-aimé, il y a plusieurs années, dans un accident de voiture le soir de Kippour. (Un an plus tôt, elle avait failli perdre son fils à la naissance.) Elle s’était envolée de Berkeley pour Montréal afin d’assister aux funérailles et au shiva. Une nuit, durant Souccot, chez ses parents, elle tomba sur un exemplaire de Kohélet. Son message a résonné en elle.
« Ce type a tout compris », se souvient-elle avoir pensé. « Il comprend à quel point la vie et la mort peuvent être arbitraires et inexplicables. »
L’intérêt de Fisch pour Kohélet remonte à 1988, lorsqu’il a été invité à présenter un article en l’honneur du départ à la retraite de son père, l’universitaire israélien Harold Fisch, ancien recteur de l’université Bar-Ilan. À court d’idées et de temps, il est tombé sur un chapitre consacré à Kohélet dans un ouvrage de son père, Poetry with a Purpose : Biblical Poetics and Interpretation (Poésie avec un but : poétique biblique et interprétation) où son père parlait de Kohélet. Ce chapitre, intitulé « Kohélet : un ironiste hébreu », mentionnait Karl Popper, une grande figure de la philosophie des sciences.
« À l’époque, j’étais fasciné par Popper », se souvient Fisch. « Depuis, j’ai pris mes distances avec lui. »
Cependant, une idée de Popper l’a marqué : « L’idée même que nous ne pouvons rien savoir de manière certaine, aucune déclaration générale sur le monde ne peut être prouvée. » Cela a inspiré à Fisch « une lecture de Kohélet très différente de celle de mon père ».
Environ dix ans plus tard, Fisch et Band se sont retrouvés lors d’un dîner de Shabbat chez Fisch, pendant un voyage de Band au Royaume-Uni et en Israël.
« Menachem m’a demandé négligemment : ‘Quels sont tes projets pour la suite ?’ », se souvient Band.
À l’époque, elle travaillait sur une œuvre illustrée autour du service de Kabbalat Shabbat. Lorsqu’elle mentionna son intérêt persistant pour Kohélet, une coïncidence se produisit : Fisch lui offrit de partager son article sur ce même texte.
« Je lui ai envoyé un mot pour lui dire que nous allions collaborer », raconte Band. « Il nous a fallu quelques années pour finir nos autres projets, et voilà le fruit de ce travail. »
Pour conclure, Band partage quelques réflexions inspirées de Kohélet sur la nature de son travail :
« Je travaille sur un magnifique vélin de veau que je me procure auprès d’un sofer en Israël », explique-t-elle. « Un jour, ce manuscrit disparaîtra, d’une façon ou d’une autre… Je l’ai conçu pour qu’il dure des centaines d’années, mais il reste quelque chose de limité dans le temps. »
Elle poursuit en disant : « Chaque fois que je manipule mes ouvrages, je sais qu’ils ne sont pas éternels. » Et d’ajouter : « Je fais simplement de mon mieux. »
À cela, Fisch réfléchit et conclut : « Et ainsi, nous nous retrouvons de nouveau dans la soucca. »
Cette référence à la soucca symbolise la nature éphémère de l’existence humaine — à la fois précieuse et transitoire, tout comme les œuvres de Band et la sagesse intemporelle de Kohélet.
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