En tuant Soleimani, Washington prend une mesure radicale aux effets inconnus
L'élimination du chef de la Force Al-Qods, une personnalité "irremplaçable" ayant dirigé les milices iraniennes au Moyen-Orient, assène un coup sérieux à l'expansionnisme iranien

L’élimination par les États-Unis du commandant iranien Qassem Soleimani, l’une des grandes figures de la République islamique, constitue une escalade majeure dans le conflit actuel entre Washington et Téhéran, face à laquelle le régime iranien ne restera certainement pas les bras croisés.
Chef de la Force Al-Qods du Corps des gardiens de la Révolution islamique, Soleimani était directement responsable des activités de Téhéran à travers la région ces deux dernières décennies, établissant et constituant les milices iraniennes réparties à travers le Moyen-Orient et permettant à la République islamique de projeter sa puissance au-delà de ses frontières, au Liban, en Syrie, en Irak, au Yémen, en Afghanistan et ailleurs.
« Il s’agit d’un pas de plus dans le conflit entre les États-Unis et l’Iran, un pas assurément significative », a commenté Orna Mizrahi, un ancien vice-conseiller à la sécurité nationale israélienne pour les affaires étrangères, auprès du Times of Israël vendredi.
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L’armée israélienne accuse Soleimani d’avoir personnellement chapeauté des attaques contre l’État juif depuis la Syrie, notamment une attaque de drone ratée l’année dernière, et le considère comme un soutien majeur du Hezbollah, aidant le groupe terroriste libanais de passer d’acteur relativement mineur au Moyen-Orient à l’une des principales organisations militaires et politiques au pays du Cèdre, avec des arsenaux rivalisant ceux de nations souveraines. Soleimani a revendiqué avoir personnellement assisté le Hezbollah dans le développement de stratégies pour combattre Israël lors de la Seconde Guerre du Liban de 2006.
Bien que déjà remplacé, la mort de Soleimani assène un coup sévère à l’Iran et accroît significativement le risque de conflit dans la région, Téhéran et ses alliés souhaitant le venger. En effet, le guide suprême iranien Ali Khamenei a rapidement menacé « [d’]une vengeance virulente… contre les criminels » responsables de cette frappe.

Soleimani était l’une des « rares personnalités majeures irremplaçables » en Iran, qui a orchestré la plupart des opérations militaires du pays à l’étranger et était perçu comme le potentiel futur dirigeant de la République islamique, d’après un ancien vice-conseiller à la sécurité nationale israélien, Chuck Freilich.
« Sa mort n’affectera pas fondamentalement l’expansionnisme iranien, mais l’Iran aura perdu un grand stratège et un possible futur leader national, » a commenté Chuck Freilich.
Au cours de l’année et demi passée, les tensions entre Washington et Téhéran se sont intensifiées, à la suite du retrait du président Donald Trump de l’accord sur le nucléaire iranien et de la reprise des lourdes sanctions américaines contre le régime perse.
En réaction, l’Iran a enfreint l’accord, depuis cet été, avec des violences directes contre l’armée américaine et ses alliés — en plus de son soutien indéfectible aux milices chiites dans tout le Moyen-Orient.
Cependant, à l’exception de sa campagne de pression maximum par des sanctions financières, l’administration Trump s’est largement retenue de se livrer à des représailles contre les agressions iraniennes dans la région, suscitant quelques critiques d’officiels israéliens, qui s’abstiennent d’ordinaire de désapprouver publiquement le plus grand allié du pays.

Pour Orna Mizrahi, le raid sur Soleimani — qui a également tué le vice-commandant d’une puissante milice pro-iranienne, Abu Mahdi al-Muhandis — est la preuve que Washington est toujours capable et prêt à agir militairement contre l’Iran.
Ennemi clé non seulement des États-Unis et d’Israël mais également des nations sunnites du Moyen-Orient, Soleimani avait été menacé d’assassinat par divers acteurs gouvernementaux au fil des ans. L’année dernière, Téhéran clamait avoir déjoué une atteinte « israélo-arabe » à la vie du général, arrêtant trois personnes en lien avec le complot. Le chef de la Force al-Qods clamait avoir survécu à une frappe israélienne lors de la Seconde Guerre du Liban de 2006.
La survie de Soleimani peut être imputée au rebut de ses ennemis de porter le poids de la mort d’une personnalité iranienne si capitale, ainsi qu’à sa prudence lors de ses déplacements et de ses activités lors de ses voyages dans la région pour rencontrer des alliés clés.
En effet, le général de la Force al-Qods aurait eu recours à de nombreux leurres en quittant l’aéroport de Bagdad jeudi soir, tout juste arrivé de Beyrouth. Cependant, sa vigilance était visiblement futile, puisque l’aviation américaine a été en mesure de frapper spécifiquement les véhicules dans lesquels lui et al-Muhandis se trouvaient, démontrant un niveau de renseignements impressionnant.
« Les Américains viennent de montrer qu’ils savent répondre lorsqu’ils le veulent », estime Orna Mizrahi. « Il s’agit d’un grand succès pour les États-Unis. »
D’après celui qui a occupé différentes hautes fonctions au sein du renseignement militaire israélien et du bureau du Premier ministre, il est probable que Washington voulait que cette frappe fasse office de K.O, plutôt que de stratégie en faveur d’une guerre plus vaste. Sous Trump et Obama, les États-Unis se sont efforcés de se désengager du Moyen-Orient, pas de s’impliquer davantage dans les conflits régionaux.

Il est encore trop tôt pour savoir comment l’Iran compte se venger. Du fait, en majeure partie, des efforts de Soleimani ces 20 dernières années, Téhéran dispose de nombreuses options et lieux pour mener des représailles au travers de ses représentants au Moyen-Orient — les milices chiites en Irak et en Syrie, le Hezbollah au Liban et les Houthis au Yémen.
Bien que les États-Unis aient revendiqué la responsabilité de cette attaque, Téhéran et ses bras armés pourraient tenter de se venger en frappant des alliés américains comme l’Arabie saoudite et Israël.
S’exprimant aux médias d’État iraniens, le porte-parole des gardiens de la Révolution Ramezan Sharif a explicitement menacé l’État d’Israël de représailles.
« La joie fugace des Américains et des sionistes se transformera en tristesse en un rien de temps », a-t-il averti.
Même si Téhéran s’abstient traditionnellement de perpétrer des frappes de grande ampleur directement depuis son territoire par peur de représailles, préférant passer par les pays où opèrent ses alliés — une telle frappe n’est en aucun cas inconcevable.
En plus de ripostes physiques, Téhéran pourrait faire appel à des opérations de piratage informatique contre les États-Unis et consorts.
Le régime de Khamenei, qui devait déjà annoncer d’autres violations de l’accord nucléaire la semaine prochaine, pourrait également décider d’accroître son enrichissement d’uranium en réaction à l’élimination de Soleimani.
Rien n’est inévitable ni certain. L’histoire récente du Moyen-Orient renferme plusieurs exemples d’éminentes personnalités ayant été éliminées sans donner lieu à des représailles.
En 2004, Israël a tué le fondateur du Hamas, Ahmed Yassin, lors d’une attaque aérienne sur Gaza. La période qui s’en est suivie avait connu un déclin du terrorisme palestinien et plus tard, la fin de la Seconde Intifada. En 2008, un cadre du Hezbollah Imad Mughniyeh avait été éliminé dans l’explosion de sa voiture à Damas lors d’une opération imputée au Mossad et à la CIA. Malgré les menaces belliqueuses de « guerre ouverte » proférées par le numéro un actuel du Hezbollah, Hassan Nasrallah, les frontières nord étaient restées relativement calmes.
Alors qu’Israël et les autres ennemis de l’Iran dans la région doivent se préparer à d’éventuelles représailles, on ignore clairement si les ramifications de la mort de Soleimani se produiront à court et long terme.
« À ce stade, nous devrions employer plus de points d’interrogation que de points d’exclamation », estime Orna Mizrahi.
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