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Garouste consacré dans deux expositions à Paris

Entre interprétation de la Meguila d’Esther, sculpture et exploration de son histoire, le peintre n'a pas fini de nous surprendre - avec ses couleurs notamment

Garouste. (Crédit : Bertrand-Huet-Tutti)
Garouste. (Crédit : Bertrand-Huet-Tutti)

La rentrée culturelle est placée sous le signe de l’artiste Gérard Garouste. Deux expositions parisiennes dévoilent en effet ses œuvres. Au Centre Pompidou, c’est une rétrospective d’envergure qui est consacrée à l’un des plus importants peintres contemporains français alors que la Galerie « Les Arts dessinés » dévoile sa réinterprétation de la Meguila d’Esther en collaboration avec Édouard Cohen, de presque 50 ans son cadet.

Au-delà du plaisir artistique de découvrir les œuvres de Garouste, le public surprend ses interprétations toutes personnelles des textes de la tradition juive. En cela, il se rend (sans le vouloir ?) un passeur de la richesse du message des sources du judaïsme.

À une heure où les menaces pèsent trop lourdement sur les juifs de France, bien souvent en raison d’une incompréhension de ce qui différencie, mais aussi de ce qui rassemble, les œuvres de l’artiste livrent un message pacifié. À observer le public qui s’est rendu en masse au vernissage, ravi d’admirer une rétrospective consacrée à l’artiste, on s’aperçoit que des jeunes gens underground côtoient des religieux en chapeau noir et papillotes. Tout âge, tout public. Lors du vernissage, le peintre est présent pour accueillir son public et accepter avec bienveillance les félicitations qui émanent aussi bien d’un ancien ministre de la Culture que d’un ami talmudiste. C’est cela une exposition de ce magicien des couleurs : une fête !

L’artiste est à l’origine d’un style bien identifiable qui fait sa signature et le hisse parmi les plus importants artistes contemporains internationaux. Adepte d’une figuration sans concession, l’évolution de son itinéraire intellectuel le conduit à imprégner ses réalisations de son étude des textes de la Tradition juive.

À examiner ses tableaux, on s’interroge pour savoir si le vrai est toujours vraisemblable. On examine, on interroge, qu’importe, ils fascinent…

Le Golem, 2011. (Crédit : Collection particulière, France© Adagp, Paris, 2022. Crédit :Templon, Paris-Brussels-New York. Photo Bertrand Huet-Tutti )

Avec générosité, Garouste affectionne les grands tableaux, des réalisations monumentales devant lesquelles les spectatrices et visiteurs se sentent si petits et si humbles. Les couleurs explosent, même si des tableaux plus sombres inquiètent. Souvent aussi, les représentations semblent s’envoler dans une logique de disposition bien pensée par l’artiste pour au contraire déstructurer la toile et perdre celui qui la regarde.

Le public peut ainsi admirer ses expériences artistiques dans deux lieux de la capitale française.

C’est d’abord, le Musée d’art contemporain de la ville de Paris, autrement dit le Centre Pompidou, qui accueille une rétrospective des inventions de Gérard Garouste. Aux côtés de 120 tableaux majeurs de l’artiste, souvent de très grand format, l’exposition donne une place à l’installation, à la sculpture et à l’œuvre graphique. Elle permet de saisir toute la richesse du parcours inclassable de « l’Intranquille », ainsi qu’il avait intitulé un de ses livres autobiographiques qui s’enrichit d’une postface inédite en cette rentrée littéraire. Car sa vie a été placée sous le signe de la création, de la folie et de l’étude dont l’œuvre énigmatique se nourrit en un dialogue saisissant.

L’exposition donne aussi une place à l’installation, à la sculpture et à l’œuvre graphique.

Le Rabbin et le Nid d’oiseaux, 2013. (Collection particulière© Adagp, Paris, 2022. Crédit : Templon, Paris-Brussels-New York. Photo Bertrand Huet-Tutti)

La vie de celui qui vit le jour le 10 mars 1946 à Paris s’émaille d’étapes que le parcours de l’exposition rappelle. Plus qu’aucun autre, vie et œuvre s’identifient chez lui. S’il montre très tôt un don pour le dessin, son enfance est marquée par la lourde personnalité de son père. Un père dont il découvrira le passé trouble sous l’Occupation bien plus tard. Il n’aura de cesse de réparer. Son tikoun s’illustrera par les hasards de sa destinée. D’abord, il rencontre, en 1964, Elizabeth Rochline qu’il épousera civilement quatre ans plus tard, et dont l’influence sera déterminante dans la découverte de l’art moderne, mais peut être aussi du judaïsme qui est le sien.

En 2014, alors que Garouste a choisi de se convertir au judaïsme, adoptant même le prénom hébraïque d’Abraham, il épouse religieusement Elizabeth. Auparavant, au début des années 90, l’artiste découvre le Talmud et la Kabbale en suivant les conférences du rabbin Philippe Haddad ainsi que celles du philosophe et rabbin Marc-Alain Ouaknin. On l’aperçoit d’ailleurs dans un tableau de l’exposition. Avec son ami de jeunesse, François Rachline, il débute des cours d’hébreu avec le professeur Yakov. Son œuvre se réinvente alors à l’aune du judaïsme.

Des réalisations qui auparavant s’imprègnent d’un mythe qu’il invente : « le Classique et l’Indien » reprenant la dualité dionysiaque de la pensée nietzschéenne. C’est à la même période que les premières crises liées à ses troubles bipolaires apparaissent. « Gam Zou le Tova » (Tout est pour le bien), puisque cette « folie » habite ses travaux avec bonheur, car ils plaisent. Sa reconnaissance devient vite nationale avec de nombreuses commandes et des expositions, mais aussi internationale.

Gérard Garouste dans son atelier. (DR)

Garouste écrira dans son autobiographie L’Intranquille : « Je suis le fils d’un salopard qui m’aimait. Mon père était un marchand de meubles qui récupéra les biens des Juifs déportés. Mot par mot, il m’a fallu démonter cette duperie que fut mon éducation. À vingt-huit ans, j’ai connu une première crise de délire, puis d’autres. L’enfance et la folie sont à mes trousses. Longtemps je n’ai été qu’une somme de questions. Aujourd’hui, j’ai soixante-trois ans, je ne suis pas un sage, je ne suis pas guéri, je suis peintre. Et je crois pouvoir transmettre ce que j’ai compris. »

Les gens, Garouste les aime. On le voit à sa manière de saluer chaleureusement et sincèrement le public lors du vernissage. Il prend le temps que d’autres n’auraient pas donné. Ses amitiés sont d’ailleurs nombreuses et, parfois, ils les représentent dans ses tableaux comme François Rachline, Jean-Michel Ribes et tant d’autres. Avec ce dernier, il a même entamé une collaboration tous azimuts avec le monde du théâtre ou de la nuit, qui se poursuivra avec d’autres projets. Les décors de la pièce « Jacky Paradis » donnée en 1978 au Théâtre de la Ville par J.-M. Ribes, la décoration de la célèbre boîte de nuit Le Palace, les fresques sur le plafond et les murs de la chambre à coucher de Danielle Mitterrand au Palais de l’Elysée, et même la commande du rideau de scène au Châtelet (etc.), aident à saisir une autre facette de ses mises en scène sur ses tableaux : la théâtralité ! Les œuvres de Garouste jouent une histoire. Le prodige est là !

L’intérêt de la rétrospective du Centre Pompidou est d’aborder toutes ses facettes. Et notamment, son interprétation de son rapport à l’étude des textes saints du judaïsme (qui peuvent être aussi ceux du christianisme). On l’a dit, à partir des années 1990, Gérard Garouste s’intéresse à la tradition exégétique juive à travers l’étude du Talmud et du Midrash et apprend l’hébreu. Sa peinture s’en fait désormais l’écho. La figure y devient lettre : elle surgit des récits jamais univoques de ces textes sacrés pour lesquels l’artiste se passionne toujours davantage. Plusieurs salles du parcours de l’exposition nous permettent de le découvrir. Il accorde par exemple une place particulière à la Meguila d’Esther. Dieu n’y apparaît pas nommément en même temps que le récit constitue l’ultime susceptible de résister au temps. Autant de thèmes qu’il aborde.

Exposition Garouste, au Centre Pompidou. (Crédit : Audrey Laurans)

Garouste se plaît ainsi à réinventer la polysémie de l’hébreu en images. Il consacre ainsi une série à l’épisode biblique de Juda et Tamar à Kézive, qui veut dire « mensonges ». Dans cette ville, la jeune Tamar invente un stratagème afin de donner une descendance à la famille de Juda. L’un des jumeaux qu’elle enfante est l’ancêtre du roi David.

Mais ce sont aussi des personnalités juives du monde intellectuel que Garouste grime. L’écrivain Franz Kafka, les philosophes Emmanuel Levinas ou Éliane Amado Lévy-Valensi, le fascinant Chouchani (dont il a d’ailleurs signé le dessin en couverture du livre qui a paru cette année sur ce génial clochard céleste)… les associant parfois à un bestiaire dont la symbolique prend corps de son imagination et de ses lectures.

En parallèle, à l’occasion de l’exposition, la Galerie des enfants met à l’honneur le travail de l’association La Source d’Elizabeth et Gérard Garouste, créée en 1991. Son but est d’aider les enfants en difficulté à s’épanouir à travers des pratiques artistiques. Cette installation est conçue dans l’esprit des ateliers pratiqués au sein de La Source à destination du jeune public, et se construit autour d’un thème cher à l’artiste : la mythologie.

Les enfants partent à la découverte de personnages étranges et fantastiques, se confrontent à un univers merveilleux et changeant. Ils peuvent peindre sur une immense cimaise de papier magique, se transformer en monstres ou en héros grâce à des dispositifs numériques ou bien composer une « symphonie de la nature », en manipulant des éléments naturels comme des éponges, des écorces ou du sable.

Les jeunes explorateurs déambulent, à travers ce parcours inédit, dans une forêt de miroirs déformants pour jouer à l’infini avec leurs reflets : immenses ou tordus, fins ou ondulés, ils se dessinent, guidés par leur image en créant des postures singulières. Enfin, des courts-métrages inédits sont à découvrir, produits spécialement pour l’exposition-atelier par des artistes de La Source, ou issus de la collection du Centre Pompidou.

Exposition Garouste, au Centre Pompidou. (Crédit : Audrey Laurans)

Et puis, il y a la seconde exposition parisienne présentée à la Galerie Les Arts dessinés. Elle est le fruit d’une collaboration avec le jeune artiste Edouard Cohen (né en 1987), admirateur et voisin en Normandie de Garouste. Des œuvres à quatre mains sont ici présentées essentiellement, même si des tableaux de Garouste ou de Cohen, seuls, sont également installés.

L’idée de cette collaboration fructueuse était de réinterpréter la Meguila Esther ensemble. Le jeune artiste réinvente une écriture tandis que Gérard Garouste propose ses visions du récit biblique par la peinture et le dessin. Si Meguila signifie à la fois « rouleau » et « dévoilement » et Esther, « caché », il s’agit ici de la révélation d’un secret, d’un récit dans lequel Dieu n’existe pas : une aventure qui permet aux deux artistes de nombreuses lectures, libertés et représentations. Une association qui scelle une complémentarité intéressante à détailler et qui fait écho à l’œuvre présentée au Centre Pompidou. Situées à quelques pas de distances, les deux expositions peuvent être visitées le même jour.

Gérard Garouste au Centre Pompidou, du 7 septembre 2022 au 2 janvier 2023.

Cohen et Garouste, « La Méguila d’Esther », à la Galerie Chapon (19 rue Chapon, 75003 Paris) du 9 septembre au 1er octobre 2022.

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