Grèce: le président allemand « demande pardon » pour les crimes nazis
Le chef de l'État a reconnu la « responsabilité politique et morale » de l'Allemagne dans l'occupation brutale de la Grèce, tout en balayant la question des réparations, toujours douloureuse à Athènes

Le président allemand Frank-Walter Steinmeier a demandé « pardon » pour les crimes perpétrés par le Troisième Reich en Grèce durant la Seconde Guerre mondiale, lors d’une visite jeudi dans un village de Crète anéanti par les nazis, un « lieu de la honte allemande ».
« Aujourd’hui je voudrais demander pardon au nom de l’Allemagne », a déclaré, en grec, le chef de l’Etat allemand lors d’un discours emprunt d’émotion dans le village de Kandanos.
Premier chef de l’Etat allemand à se rendre sur cette île du sud de la Grèce, Frank-Walter Steinmeier a été accueilli par des Crétois scandant « justice » et « le combat continue » alors que l’épineuse question des réparations de guerre, jamais versées par l’Allemagne, demeure un sujet hautement sensible en Grèce.
Le village de Kandanos fut rasé le 3 juin 1941 par les nazis.
Quelque 180 de ses habitants furent tués par des soldats allemands après que les villageois eurent participé à la bataille de Crète en mai 1941 pour tenter d’empêcher l’invasion aéroportée de la Crète par les nazis.
L’occupation nazie de ce pays méditerranéen (1941-1944) a été parmi les plus sanglantes en Europe marquée notamment par la famine et l’extermination de quelque 90% de sa communauté juive.
« C’est un chemin difficile que de se rendre à cet endroit en tant que président allemand », a-t-il également souligné.
« Vous nous avez tendu la main de la réconciliation, et je vous suis profondément reconnaissant », a-t-il renchéri.
Le président allemand a longuement insisté sur le fait que le criminel de guerre nazi Kurt Student à l’origine de la destruction de Kandanos n’avait jamais rendu de compte après la guerre pour les crimes perpétrés en Grèce, un autre « chapitre honteux ».
Arrêté le 28 mai 1945 et condamné à cinq ans de prison, il avait été libéré en 1948, malgré une demandé d’extradition formulée par la Grèce en 1947. Il est mort en Allemagne en 1978 à l’âge de 88 ans.
« C’est la deuxième faute dont l’Allemagne s’est rendue coupable », a-t-il jugé.
« Je vous demande pardon pour le fait que mon pays ait tardé pendant des décennies à punir ces crimes », a souligné le chef d’Etat.
Avant cette visite hautement symbolique, le chef de l’État allemand a insisté sur « les atrocités commises par les Allemands en Grèce » tout en assurant une nouvelle fois que la question des réparations de guerre, contentieux de longue date entre Berlin et Athènes, était définitivement réglée du point de vue de l’Allemagne.
Le déchaînement de brutalité des Nazis est « un sujet difficile qui joue un rôle dans nos relations actuelles et que nous ne devons pas éluder », a-t-il assuré lors d’une rencontre avec son homologue grecque, Katerina Sakellaropoulou mercredi à Athènes.
Dans le quotidien grec Ta Nea, Steinmeier a martelé la nécessité de « garder vivant ce chapitre terrible et douloureux de notre histoire », déplorant « qu’il ne tombe trop facilement dans l’oubli ».
Le Premier ministre grec, Kyriakos Mitsotakis voit dans ce déplacement « un geste très important » de reconnaissance « des atrocités perpétrées par les nazis ».
Peu connue hors de Grèce, l’occupation nazie de ce pays méditerranéen (1941-1944) a été parmi les plus sanglantes en Europe.
Pour l’historien Hagen Fleischer, « dans aucun autre pays non slave, les SS et la Wehrmacht n’ont sévi aussi brutalement qu’en Grèce ».
De 1941 à 1944, la Grèce fut saignée à blanc, sa population réduite à la famine. Face à la résistance farouche des Grecs, les nazis ont pillé, incendié, massacré, fusillé.
Près de 54 000 juifs grecs, dont la majorité vivait à Thessalonique, ont été déportés à Auschwitz, 90 % de sa communauté a été exterminée, selon l’historien Mark Mazower, auteur d’un ouvrage de référence Dans la Grèce d’Hitler.
Le IIIe Reich a également imposé un prêt forcé à la banque centrale de Grèce, jamais remboursé.
Le président allemand, qui effectue sa quatrième visite en Grèce, doit notamment s’entretenir avec des survivants de Kandanos, ce village crétois à une cinquantaine de kilomètres au sud-ouest de La Canée qui fut rasé le 3 juin 1941 par les nazis.
« Crime de guerre »
Quelque 180 de ses habitants avaient été tués par des soldats allemands après que les villageois eurent participé à la bataille de Crète en mai 1941 pour tenter d’empêcher l’invasion aéroportée de l’île du sud de la Grèce par les Nazis.
Un « crime de guerre », a rappelé Frank-Walter Steinmeier, « pour lequel le commandant responsable [Kurt Student] n’a jamais été condamné par la justice ».
De fait ce militaire avait été libéré dès 1948.
Dans le village reconstruit, l’une des plaques commémoratives rappelle la pancarte rédigée en allemand et en grec sur laquelle les nazis avaient inscrit : « en représailles à l’assassinat bestial d’une section de parachutistes et d’une demi-section de pionniers par des hommes et des femmes armés embusqués, Kandanos a été détruit ».
Le président allemand a coupé court à la question des réparations de guerre jamais versées par l’Allemagne, un sujet hautement sensible en Grèce quoi que mis en sourdine à la faveur de l’arrivée au pouvoir en 2019 du conservateur Mitsotakis.
« La question des réparations est close pour notre pays au regard du droit international », a répété Steinmeier.
« Revendications permanentes »
Une position que ne partage pas Athènes. Pour Kyriakos Mitsotakis, « ces questions sont encore très « vivantes » », a-t-il asséné avant un entretien avec Steinmeier. « Nous espérons qu’à un moment donné nous les résoudrons », a-t-il insisté.

Ce débat acrimonieux était réapparu au moment de la crise financière entre 2008 et 2018 en Grèce alors écrasée par une dette publique abyssale.
Il y a cinq ans, une commission parlementaire grecque avait même évalué ces réparations à plus de 270 milliards d’euros.
Berlin n’a jamais dédommagé la Grèce et assure que la question a été réglée en 1990 avant la Réunification, par les Alliés (Union soviétique, États-Unis, Royaume-Uni, France) et les deux Allemagne.
Il a fallu attendre 2014 et la visite du prédécesseur de Steinmeier, Joachim Gauck pour que, témoignant de sa « honte et de sa souffrance », un chef d’État allemand demande pardon à la Grèce.