Hausse de l’antisémitisme: « Le temps joue contre nous », estime le président du CRIF
"L'antisémitisme a mué dans le temps", note Yonathan Arfi qui dénonce ses nouveaux visages depuis une vingtaine d'années : la haine d'Israël, l'islamisme et enfin le complotisme qui prospère sur les réseaux sociaux

« Pour la première fois, le temps joue contre nous » face à l’antisémitisme, estime dans un entretien à l’AFP Yonathan Arfi, le président du CRIF (Conseil représentatif des institutions juives de France), qui a fait état mercredi de 1.570 actes antisémites en 2024.
Que vous inspire le niveau historique des actes antisémites ?
Ces chiffres doivent être entendus comme un signal d’alarme, d’abord sur l’explosion du phénomène en tant que tel mais aussi sur la vigilance par rapport aux plus jeunes générations.
Le 7 octobre a été le catalyseur d’un antisémitisme décomplexé qui s’est traduit par beaucoup d’atteintes aux personnes. C’est aussi une des particularités de l’antisémitisme: il y a une part d’agressions physiques importantes. Le moteur n’est pas uniquement celui du préjugé, mais aussi de la haine.
Où cet antisémitisme s’exprime-t-il ?
Tous les secteurs de la société sont concernés: la sphère privée, les lieux publics, la haine en ligne… y compris l’institution scolaire.
On imaginait, il y a quelque temps, que l’antisémitisme, c’était des graffitis ou des insultes près des lieux de culte. Aujourd’hui, ça va bien au-delà, puisque des Français, identifiés comme Juifs, se retrouvent menacés, au nom du conflit [au Proche-Orient, NDLR] qui sert de prétexte pour des passages à l’acte.
Quels sont les moteurs de l’antisémitisme aujourd’hui?
L’antisémitisme a mué dans le temps. Il a été chrétien, racial, social… On a depuis une vingtaine d’années de nouveaux visages: la haine d’Israël, l’islamisme, et enfin le complotisme qui prospère sur les réseaux sociaux, notamment auprès des jeunes générations. Ces trois carburants nouveaux forment un cocktail extrêmement dangereux à la faveur du 7 octobre.
Vous avez eu des paroles très dures envers LFI…
L’année 2024 a permis de voir l’importance de la parole politique, dans sa capacité à libérer les passages à l’acte antisémite. La hausse a atteint 140% pendant les deux semaines précédant l’élection européenne, qui sont celles au cours desquelles la France insoumise a choisi d’hystériser le débat public autour de la question palestinienne, de faire de Gaza un slogan électoral, sur le dos de la sécurité des Juifs de France.
Espérez-vous une amélioration avec le cessez-le-feu au Proche-Orient?
Je le souhaite évidemment, mais l’expérience montre que lorsqu’il y a des tensions au Proche-Orient, l’antisémitisme monte très vite par ricochet en France et en Europe. En revanche, quand la situation se calme, ça met beaucoup de temps à redescendre. Je crains qu’en 2025, comme en 2024 et 2023, nous ayons des actes antisémites par milliers.
Faut-il s’attendre à des départs vers Israël ?
Avec un peu plus de 2.000 départs en 2024, c’est un message qu’il faut entendre, s’adressant à la République dans son ensemble. C’est une forme d’échec quand des Français, quels qu’ils soient, considèrent que leur avenir ne peut pas s’écrire ici au nom de la haine qui les vise.
Comment lutter contre l’antisémitisme ?
Il faut que la société française dans son ensemble se sente concernée par le sujet. On a appelé à ce que l’antisémitisme puisse être une grande cause nationale. Cette cause n’est pas que celle des Juifs: l’antisémitisme est un révélateur des failles de notre démocratie dans l’histoire.
Pour la première fois, le temps joue contre nous. On a longtemps vécu avec l’idée que l’antisémitisme était un archaïsme qui passerait avec les générations, et que le phénomène disparaîtrait naturellement. C’est désormais faux.
80 ans après, êtes vous inquiet pour la mémoire de la Shoah ?
L’un des paradoxes, c’est qu’on n’oublie pas la Shoah, mais qu’on l’utilise à tort et à travers. Ce qui la menace aujourd’hui n’est pas le négationnisme mais une forme de relativisme, qui consiste à convoquer la mémoire de la Shoah sans cesse, et une concurrence victimaire qui est tout à fait malsaine dans notre cadre républicain.
Quelle est la responsabilité des réseaux sociaux ?
Les réseaux sociaux sont aujourd’hui incontestablement le premier lieu de radicalisation antisémite dans notre pays. Nous demandons, au CRIF, qu’il y ait une amende civile sanctionnant les commentaires racistes, antisémites, xénophobes, sexistes, sur le modèle de ce qu’avait fait Hadopi pour les téléchargements de films.