Israël en guerre - Jour 394

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Il y a 80 ans, « l’exil intérieur » des Alsaciens dans le Sud-Ouest

Trente kilos de bagage, quatre jours de vivres, pas plus. Et quelques heures pour abandonner son foyer : voici les instructions le 1er septembre 1939 en Alsace et en Moselle

Une photographie prise le 23 août 2019 montre le mémorial de grès du village alsacien de Wintzenbach, considéré comme un monument unique en Alsace puisqu'il montre un soldat français (R) et un soldat allemand (L) réunis dans les bras de sa mère alsacienne. (Crédit : PATRICK HERTZOG / AFP)
Une photographie prise le 23 août 2019 montre le mémorial de grès du village alsacien de Wintzenbach, considéré comme un monument unique en Alsace puisqu'il montre un soldat français (R) et un soldat allemand (L) réunis dans les bras de sa mère alsacienne. (Crédit : PATRICK HERTZOG / AFP)

Les Strasbourgeois en Dordogne, les habitants de Saint-Louis dans le Gers, ceux de Huningue dans les Landes : le 1er septembre 1939, l’Allemagne nazie envahit la Pologne et la France lance une évacuation massive de l’Alsace et de la Moselle, qui verra un demi-million de personnes partir pour le Sud-Ouest.

« L’évacuation de la commune est ordonnée. Elle sera effectuée immédiatement et sans délai », exhorte l’affiche diffusée dans 417 communes. Tocsin et sirènes résonnent, les maires ouvrent les enveloppes « top secret » avec les instructions.

Trente kilos de bagage, quatre jours de vivres, pas plus. Et quelques heures pour abandonner son foyer.

Dans une opération d’ampleur inédite préparée en secret depuis des années, 275 000 Alsaciens et 210 000 Mosellans habitant près de la frontière allemande sont évacués entre le 1er et le 3 septembre, selon les chiffres du Mémorial Alsace-Moselle. Ils seront 126 000 de plus en mai 1940, sans compter les milliers de personnes parties d’elles-mêmes dès les années 1930.

A l’aube de la déclaration de guerre, une bataille le long du Rhin semblait le scénario le plus probable et Paris voulait éviter un bain de sang de civils en laissant le champ libre aux troupes sur la ligne Maginot.

Par train, wagons à bestiaux compris, les évacués sont répartis selon des affectations précises : Charentes, Dordogne, Vienne, Haute-Vienne et Landes pour les uns, Corrèze, Gers, Hautes-Pyrénées et Lot-et-Garonne pour d’autres.

Strasbourg se vide en 36 heures de 120 000 personnes. Les photos conservées aux archives municipales montrent une ville déserte, vite rendue fantomatique par la neige du rude hiver 1939/1940, où seuls les chats errants jettent des ombres de vie. Les monuments sont protégés par des sacs de sable, les vitraux de la cathédrale retirés et juste 3 500 personnes resteront pour surveiller et éviter les pillages, fréquents dans les alentours.

Charles Hirlimann ne voulait pas que son histoire soit imprimée avant sa mort : son fils a donc attendu 2016 pour éditer ce récit raconté par bribes au fil des ans.

L’exil est arrivé pour ses 15 ans. Pour cette famille strasbourgeoise habituée au confort citadin, loger dans une maison sans eau courante à Château-l’Evêque, « c’était un choc quand même, parce que c’était un pays ‘arriéré’ le Périgord. (…) Mais pour les Périgourdins, le choc était de se retrouver avec des gens qui ne parlaient pas français », rapporte à l’AFP Charles Hirlimann fils.

Né en 1870, le grand-père parti avec lui « n’a jamais parlé un mot de français malgré son séjour d’un an en Dordogne où je lui servais d’interprète », se souvenait son père.

Surnommés les « ya-ya », ces Français parlant une langue semblable à celle de l’ennemi heurtent d’abord les habitants du Sud-Ouest.

« Il serait absurde de croire que le fait de parler l’alsacien implique que l’on a des sentiments allemands », insista, dans un courrier aux maires, le préfet de Dordogne, refusant que ces réfugiés soient traités de « boches ».

Pour les adultes ayant tout abandonné, l’adaptation est dure. « On a logé les évacués où on pouvait, dans des pièces, des locaux vacants, souvent désaffectés », expliquent François et Catherine Schunck, spécialistes du sujet.

Mais pour le lycéen Hirlimann, dont la photo sur un pont de Périgueux, parue dans le magazine Match, symbolisera le visage des évacués alsaciens, ce sera « les grandes vacances » dont il gardait « un bon souvenir », estime son fils.

« A Périgueux, naît chaque jour un petit Strasbourgeois », écrivait l’ancêtre de Paris-Match. La vie alsacienne s’ancre sur les terres d’exil, le conseil municipal se délocalise et le Racing club de Strasbourg rechausse les crampons pour devenir… champion de Dordogne de football.

Jusqu’à la défaite française. Considérant l’Alsace-Moselle comme allemande, le régime nazi veut que les Alsaciens rentrent au bercail, ce que la plupart feront, accueillis en grande pompe par les militaires d’Hitler.

Environ 30 % des Strasbourgeois ne seraient pas revenus, car ils étaient indésirables parce que juifs ou Français « de l’intérieur », entrés dans la résistance ou avaient recommencé leur vie.

Entre mariages et amitiés, des liens durables sont nés de cette année d’exil. De nombreuses communes évacuées sont jumelées avec leur « hôte » de 1939, Strasbourg et Périgueux sont « villes soeurs ».

La Moselle va commémorer les 80 ans de cet « exil intérieur » avec le voyage d’une délégation dans la Vienne, tandis qu’ailleurs des rencontres ou expositions sont organisées.

En Dordogne, Saint-Cyprien vient de recevoir une statue d’Alsacienne en grès rose des Vosges. « Tous les ans, voire deux fois par an, on a des gens qui vont voir des amis de Mackenheim, ou l’inverse », explique le maire-adjoint Jean-Pierre Servoir.

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