Intimidations, doxing, assassinats : Comment le Hezbollah élimine les dissensions au Liban
Alors que les tensions montent, un sondage récent révèle que le groupe soutenu par l'Iran est à moins de 10% de soutien parmi les non-chiites. Mais ceux qui osent exprimer des critiques risquent d'en payer le prix - et il est élevé
Lors de la cérémonie organisée jeudi à l’occasion des funérailles de Fuad Shukr, un commandant de premier plan du Hezbollah qui avait été assassiné par Israël mardi soir en riposte à l’attaque meurtrière de Majdal Shams survenue samedi dernier, le chef du groupe terroriste, Hassan Nasrallah, a proféré des menaces, disant que les hostilités avec l’État juif entraient « dans une nouvelle phase » et promettant une nouvelle escalade dans les jours à venir.
« Les Israéliens sont heureux maintenant », a indiqué Nasrallah, « mais ils pleureront plus tard. Ils ont franchi une ligne rouge » et ils doivent dorénavant s’attendre « à la rage et à la vengeance sur tous les fronts qui soutiennent Gaza » – une référence au dit « axe de la résistance » qui est appuyé par Téhéran au Moyen-Orient.
Le Hezbollah, qui est entré dans une confrontation militaire avec Israël pour afficher son soutien au Hamas dès le 8 octobre, au lendemain du pogrom du 7 octobre, est dorénavant passé « bien au-delà de cette phase de soutien », a ajouté Nasrallah qui a déclaré que « la bataille est maintenant ouverte sur tous les fronts ».
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Il n’a semblé que peu se préoccuper de la manière dont un conflit de grande envergure impacterait le Liban, pays pourtant largement en proie à la crise économique et à l’instabilité politique depuis des années. Une insouciance qui est de toute évidence minoritaire dans le pays.
« Il y a une inquiétude énorme, au Liban, face à la possibilité que le Hezbollah entraîne une nouvelle fois le pays dans une guerre catastrophique », commente David Schenker, ancien secrétaire d’État adjoint chargé des affaires au Moyen-Orient, au cours d’un entretien accordé au Times of Israel.
Toutefois, ceux qui osent élever la voix pour s’opposer à l’agressivité du groupe chiite sont réduits au silence – et souvent de façon violente.
« Au Liban, avoir une opinion est un crime », selon un dissident
Le 18 juin, le journaliste libanais Rami Naim, opposant fervent au Hezbollah, a été agressé en plein jour par une vingtaine d’hommes dans un Starbucks de Verdun, un quartier chic de Beyrouth. Naim a publié des images de cette agression sur X. Sur la vidéo, l’un de ses attaquants pointe une arme dans son dos.
Dans une séquence publiée sur Instagram, Naim raconte que l’un des voyous lui a dit : « Nous tuerons tous ceux qui parlent du Hezbollah ».
« Mon grand crime a été d’avoir un positionnement à l’égard du Hezbollah. Au Liban, avoir une opinion est un crime », a-t-il ajouté. Le groupe terroriste, qui a été contacté par le quotidien libanais L’Orient-Le Jour, a démenti toute implication dans cette agression – même si le mode opératoire de cette dernière rappelle clairement celui du groupe chiite.
هيدا الفيديو كامل للإعتداء عليي من قبل عناصر قالولي نحنا #حزب_الله . الفيديو بدل بوضوح على تنظيم الإعتداء بداية من عامل المقهى اللي رافق اول ٤ شباب واعتدو عليي برا ثانياً يلي مكلّف بالتصوير وواضح بالفيديو كيف من البداية عم يصور وحاضر تالتا ليلي حط الفرد بخاصرة رواد الشب اللي معي… pic.twitter.com/FRoB210UT7
— Rami Naim (@NAIMRami) June 20, 2024
« Le Hezbollah a des lignes rouges claires. Et une fois qu’un acteur de l’opposition franchit ces limites, il peut s’attendre à ‘recevoir une visite’, » explique la colonelle à la retraite Sarit Zehavi, fondatrice de l’Alma Center, un institut de recherche israélien qui se consacre aux défis sécuritaires que doit relever la région nord du pays.
« Peu importe si ce sont des druzes, des chrétiens ou des musulmans – chiites y compris. Le Hezbollah menace tous ceux qui s’opposent à lui et il va, parfois, jusqu’à les assassiner. C’est d’ailleurs également arrivé pendant la guerre actuelle. Un grand nombre ont dû quitter le pays », déclare Zehavi au Times of Israel.
« En résultat, on a une opposition qui n’est pas en capacité de se dresser contre le Hezbollah », continue-t-elle.
Résistance rare
Ces derniers mois, quelques exemples isolés de résistance efficace à la prise en otage du pays par le Hezbollah ont été signalés. Au mois de mars, les résidents de Rmaych, un village chrétien situé à la frontière, avaient chassé des membres du Hezbollah qui voulaient exploiter sa localisation proche d’Israël et y installer des lance-roquettes. L’église locale avait fait sonner ses cloches, en cri de ralliement pour les habitants.
Christians in Lebanon stand up to Hezbollah.
Hezbollah tried to launch rockets near a high school in a village called Rmaych.
The Christians there rang the Church bells as a warning and united to expel the terrorists.Lebanese people do not war. Iran does. pic.twitter.com/yFXUawklyH
— CJC (@cj_chep) March 29, 2024
Dans une interview accordée au New Yorker, le père Najib al-Ami, prêtre de 73 ans originaire de Rmaych, avait raconté que les hommes du groupe terroriste étaient entrés dans le village à deux occasions et qu’ils y avaient installé des batteries de roquettes Katyusha avant de les tirer en direction d’Israël. Après le bombardement par l’État juif d’une habitation de Rmaych qui avait été saisie par le Hezbollah au mois de décembre dernier, al-Amil avait écrit un message au groupe terroriste pour lui faire savoir qu’il n’était pas le bienvenu.
La capacité affichée par les résidents de Rmaych à rejeter le Hezbollah n’est pas sans précédent. En 2021, les habitants du village druze de Chouya avaient arrêté un groupe du Hezbollah qui était entré dans la communauté avec des lance-roquettes. Les terroristes avaient été placés en détention par les résidents jusqu’à l’arrivée de l’armée.
Le « facteur d’intimidation »
Depuis que les hostilités entre le groupe terroriste et Israël ont commencé, le 8 octobre, le Hezbollah a toutefois fait preuve de plus d’audace s’agissant de réprimer les critiques, intimidant ses opposants en les menaçant de violences ou en commettant des assassinats.
« Dans le passé, les citoyens libanais de toutes les parties descendaient dans les rues pour protester contre le gouvernement », rappelle Zehavi. Par exemple, en octobre 2019, des centaines de milliers de personnes avaient défilé pour demander l’abandon d’une taxe qui était envisagée sur les appels passés via WhatsApp et pour faire part de leur mécontentement face à la corruption endémique et face à la situation économique désastreuse dans le pays.
Mais depuis que le Hezbollah est monté au front contre Israël, le 8 octobre, les citoyens libanais n’ont pas osé descendre dans les rues pour demander la fin des affrontements à la frontière sud – des affrontements qui ont entraîné le déplacement de 80 000 personnes qui, contrairement à ce qui s’est passé en Israël, n’ont pas bénéficié d’un logement subventionné par le gouvernement. Les hostilités ont par ailleurs gravement nui au secteur du tourisme et exacerbé la crise économique.
« Les gens ont peur de s’exprimer publiquement. On constate une forte activité sur les réseaux sociaux mais ce n’est pas suffisant », dit Zehavi.
« C’est dur de rassembler une opposition contre le Hezbollah à cause du facteur d’intimidation », dit Schenker. « Le Hezbollah intimide ses adversaires politiques et il les tue ».
Schenker déclare que de nombreux individus issus de différentes communautés religieuses – chiites, sunnites, chrétiens, druzes – n’ont aucune envie de se laisser entraîner dans une nouvelle guerre désastreuse.
« Le dernier conflit avec Israël, en 2006, a coûté des milliards de dollars à l’économie libanaise et elle a eu un impact sur tout le pays », dit Schenker, qui est chercheur au sein du Washington Institute.
« C’est plus difficile de s’opposer aujourd’hui à la guerre parce que le Hezbollah affirme que ses attaques viennent défendre les Palestiniens et pourtant, il y a beaucoup de gens qui accusent le Hezbollah d’être un instrument de l’Iran au Liban. Mais s’exprimer, c’est quelque chose de dangereux », ajoute-t-il.
Peu de soutien pour le Hezbollah
Un sondage qui a été réalisé par l’institut Arab Barometer Lebanon entre le mois de février et le mois d’avril et qui a été publié il y a trois semaines a révélé que la population libanaise n’apportait que peu de soutien au groupe terroriste. Seulement 30 % des personnes interrogées ont dit avoir « beaucoup » et « énormément » confiance dans le Hezbollah, tandis que 55 % ont déclaré « ne pas du tout avoir confiance » dans l’organisation.
Les résultats varient selon les groupes religieux. 85 % des membres de la population chiite interrogés ont indiqué qu’ils avaient une confiance réelle dans le Hezbollah – contre 9 % seulement des sunnites et des druzes et contre seulement six pour cent des chrétiens.
This is the Arab Barometer's recent polling study on Lebanese trust in Hezbollah across sects.
Hezbollah has lost much of its cross-sectarian legitimacy.
It has to ask the tough questions: How in the world can a national resistance lose the trust of most of the population? pic.twitter.com/nYIWKLJ41e
— Karim Safieddine – كريم صفي الدين (@safieddine00) July 23, 2024
Depuis la dernière enquête réalisée par l’institut, en 2022, la confiance dans le Hezbollah a gagné sept points chez les chiites mais elle est restée inchangée parmi les trois autres groupes religieux.
Le soutien apporté par les chiites au groupe terroriste soutenu par l’Iran n’est pas entièrement idéologique, note Schenker, de nombreux membres de cette minorité dépendant de plus en plus des institutions financières ou des banques du Hezbollah, de ses services sociaux ou de ses services d’emploi dans le cadre d’une crise financière qui ne cesse de s’aggraver.
Même parmi les chiites, un grand nombre de personnes portent un regard négatif sur la loyauté affichée par l’organisation au régime de Téhéran au détriment, estiment-ils, de l’État libanais.
Pendant des années, l’opposition chiite au Hezbollah avait eu le visage de Lokman Slim, activiste qui était parvenu à rassembler des intellectuels, des hommes d’affaires et des universitaires défavorables au parti de Dieu. Il avait été assassiné dans le sud du pays en février 2021. De nombreuses personnes et notamment sa famille accusent depuis le Hezbollah de ce meurtre – une accusation rejetée avec force par l’organisation terroriste.
Surveillance hi-tech de l’opposition virtuelle
Aujourd’hui, exception faite de quelques candidats particulièrement courageux aux élections locales, l’opposition politique au Hezbollah s’exprime majoritairement sur internet, affirme Schenker, avec des opposants qui ouvrent des groupes, sur les réseaux sociaux, où ils peuvent fustiger l’organisation de manière plus sûre.
Le Hezbollah a néanmoins réussi à transformer le monde virtuel en nouveau champ de bataille contre ses critiques.
Au mois de novembre, des journalistes libanais avaient été pris pour cible par « l’armée virtuelle » de l’organisation sur des plateformes diverses et ils avaient été accusés d’avoir collaboré avec Israël. Leur crime : ils avaient précédemment critiqué le groupe terroriste pour avoir provoqué une attaque de Tsahal, dans le sud du Liban, qui avait fait quatre morts, une femme et trois fillettes, selon un compte-rendu de l’Alma Center.
Les journalistes avaient été visés par des trolls qui avaient partagé leurs photos avec une étoile de David, avec la légende : « Aide au massacre des enfants ». Ils avaient reçu des messages haineux et des menaces de mort.
#شركاء_قتلة_الأطفال pic.twitter.com/34U0t2WuUA
— ????جعفر'ص'???? حساب10 (@jaefar_s11755) November 7, 2023
Pour traquer ses victimes, le Hezbollah aurait créé une unité électronique sophistiquée, la SIMIA, qui emploie environ une centaine de personnes et qui dirige toute une armée de robots dotés de milliers de faux comptes qui propagent sur internet des contenus favorables à l’organisation.
Selon un rapport qui a été diffusé au mois de février par l’Alma Center, l’unité lance des offensives en ligne contre les rivaux du Hezbollah et elle aurait « de larges capacités, comme localiser et étiqueter les articles, les commentaires, les posts et les profils, sur les réseaux sociaux, qui sont considérés comme trop critiques à l’égard du groupe ou de ses dirigeants ».
De plus, l’armée électronique « utilise les réseaux sociaux pour lancer des campagnes de diffamation à l’encontre des critiques et des opposants » du Hezbollah, note le rapport. De cette manière, le groupe terroriste parvient à faire taire ceux qui le fustigent ou qui s’en prennent à Nasrallah, son dirigeant.
Par exemple, « si une photo ou des paroles du Hezbollah ou de Nasrallah apparaissent dans un article qui les présente sous un mauvais jour, alors l’armée électronique passe à l’action pour le faire supprimer, même si cela veut dire procéder à une cyber-attaque », écrit l’Alma Center.
Il établit aussi qu’au cours de la dernière décennie, cette armée virtuelle du groupe terroriste a organisé des camps de formation, à Beyrouth, pour des trolls étrangers qui sont venus de tout le Moyen-Orient. Ils ont appris comment propager des faits de désinformation et comment installer la peur et les clivages dans la région.
Les spécialistes font remarquer que l’existence de cette « armée électronique » est une nouvelle preuve de la manière dont le Hezbollah a su accumuler des ressources énormes pour mener à bien sa mission de destruction d’Israël pour le compte de l’Iran, prenant en otage tout le pays dans ce processus.
« L’État n’est plus souverain au Liban », déclare Schenker. « Tout le monde sait que c’est le Hezbollah qui décide ».
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David Horovitz, rédacteur en chef et fondateur du Times of Israel