Jordanie : à Petra sans touristes, les animaux crient famine
Fermée de mars 2020 à mai 2021, la cité nabatéenne, où les nombreux bâtiments ont été taillés dans la roche, n'accueille aujourd'hui qu'entre 150 à 200 touristes par jour
La pandémie a ruiné l’antique cité nabatéenne de Petra, principale attraction touristique de la Jordanie, privant de revenus les habitants et plongeant dans la quasi-famine leurs animaux.
Devant la clinique vétérinaire située près de cette ville de grès où se déclinent des nuances allant du rose au vermeil, Abdel Rahmane Ali, 15 ans, attend son lot de fourrage gratuit pour nourrir son âne.
« Avant le coronavirus, nous avions tous du travail. Les Bédouins de Petra gagnaient leur vie et nourrissaient leurs animaux. Maintenant, nous devons venir dans cette clinique pour recevoir de la nourriture et des soins gratuits pour nos bêtes », déplore le jeune homme, en chemise bleue et pantalon vert olive.
En 2019, la cité avait accueilli plus d’un million de visiteurs, un record. Pandémie oblige, le nombre de touristes venus admirer cet ensemble unique inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco a été divisé par quatre l’année suivante.
Fermée de mars 2020 à mai 2021, la cité troglodyte, où les nombreux bâtiments ont été taillés dans la roche, n’accueille aujourd’hui qu’entre 150 à 200 touristes par jour, contre 3 000 en 2019, explique à l’AFP le chef de l’Autorité régionale de Petra, Souleiman Al-Farajat.
Tout un secteur à genoux
Selon lui, en plus des 200 guides que compte Petra, environ 4.000 personnes tiraient bénéfice du transport des touristes, à dos des 700 à 800 chevaux, chameaux, mules et ânes qui sillonnaient la cité.
« 80% des 35 000 habitants de la région dépendaient directement ou indirectement du tourisme. Avec la pandémie, les propriétaires d’animaux ont été touchés, mais aussi les hôtels, les restaurants, les boutiques de souvenirs… Des centaines d’employés ont perdu leur emploi », regrette-t-il.
La crise sanitaire a mis à genoux le tourisme qui représentait entre 12 et 14 % du PIB jordanien. Le secteur pesait 5,8 milliards de dollars en 2019 mais est passé à un milliard en 2020, selon les chiffres officiels.
« Les bons jours, je gagnais entre 100 et 200 dinars (140 à 280 dollars) et moins de 20 dinars les mauvais jours, ce qui suffisait à peine pour acheter de l’orge pour mon âne », confie Abdel Rahmane, qui subvient aux besoins de sa mère et de ses deux petits frères.
« Avec la fin du tourisme, plus personne ne peut acheter de fourrage ou de médicaments. Celui qui dispose d’un peu d’argent le dépense pour se nourrir », ajoute l’adolescent.
Devant la porte en fer de la clinique, créée par l’ONG américaine « PETA » dans le village d’Oum Sayhoun voisin de la cité antique, Mohammad al-Badoul, 23 ans, attend lui aussi de remplir de fourrage son sac en plastique.
« Ma famille et moi possédions sept ânes. Nous avons dû les vendre faute de revenus. Maintenant, nous n’en avons qu’un et je peux à peine le nourrir », dit-il amèrement.
« Malnutrition » des animaux
L’établissement, ouvert en janvier 2020, nourrit et soigne des animaux dont la santé est trop fragile. Entre 10 et 15 bêtes sont reçues chaque jour.
« Les gens ici dépendent de leurs animaux et avec l’arrêt du tourisme, ils n’ont plus la possibilité de s’occuper d’eux », explique Hassan Shatta, le chirurgien vétérinaire égyptien qui dirige la clinique, la seule ouverte et gratuite aux alentours de Petra.
« Il y a environ huit mois, nous avons commencé à voir de nombreux cas de malnutrition, des ânes et des chevaux très maigres », ajoute-t-il.
« Nous fournissons des soins et de la nourriture. Nous avons ainsi pu sauver 250 animaux car leurs propriétaires n’avaient plus la capacité financière de les nourrir ni de les soigner », assure le médecin.
Tous ces équidés ne reprendront pas le transport de touristes dans la cité nabatéenne. M. Farajat a en effet pour projet de remplacer les animaux par des voitures électriques.
« Nous espérons commencer le 1er juillet avec 20 véhicules conduits par les propriétaires d’animaux », dit-il.
« Ils seront employés par l’Autorité qui leur versera un salaire prélevé sur les tickets d’entrée », dit-il. L’entrée du site coûte 50 dinars jordaniens dont huit dinars financeront les salaires.
« Passer à la voiture électrique aura au moins deux avantages: le site sera plus propre et cela mettra fin aux critiques contre les mauvais traitements infligés aux animaux », souligne le responsable.