Justice: L’avant-poste de Mitzpe Kramim pourra rester sur des terres palestiniennes
La Haute-cour a estimé que les terres avaient été allouées "de bonne foi" aux partisans du mouvement pro-implantation qui ignoraient tout de leurs propriétaires
Jeremy Sharon est le correspondant du Times of Israel chargé des affaires juridiques et des implantations.
La Haute-cour de justice a décidé, mercredi, que l’avant-poste de Mitzpe Kramim, qui avait été construit sur des terres privées palestiniennes, pourra rester en place, faisant volte-face deux ans après avoir ordonné à l’État de faire partir les partisans du mouvement pro-implantation qui vivaient sur la colline.
La Cour a finalement estimé que l’avant-poste ne devait pas être évacué, les terres ayant été attribuées « de bonne foi » par l’État aux partisans du mouvement pro-implantation.
La décision stipule que des indemnisations seront données aux propriétaires enregistrés ou à ceux qui pourront prouver qu’ils sont bien les propriétaires des parcelles concernées.
Ce jugement, qui établit un précédent et qui renverse une décision prise par la Haute-cour en 2020 – les juges étaient alors moins nombreux à s’être prononcés sur le dossier – pourrait ouvrir la voie à la légalisation de milliers d’habitations supplémentaires dont la construction est actuellement mise en cause par des Palestiniens, qui affirment qu’elles ont été installées sur des terres qui leur appartenaient.
Les politiciens et les organisations de droite se sont réjouis de ce jugement et notamment le leader de l’opposition et dirigeant du Likud, Benjamin Netanyahu – même si certains ont affirmé que la décision de la Haute-cour n’allait pas assez loin dans la légalisation des implantations construites sur des parcelles appartenant à des Palestiniens à titre privé.
Netanyahu a chaleureusement salué le jugement et les résidents de Mitzpe Kramim, ajoutant qu’il légaliserait officiellement l’avant-poste et qu’il œuvrerait en faveur de la légalisation et du développement « des avant-postes et des implantations dans tout le pays » s’il était en mesure d’établir un nouveau gouvernement de droite après les prochaines élections.
De son côté, le groupe de gauche La Paix Maintenant a condamné avec force le jugement, estimant qu’il « piétine les rares protections qui protégeaient encore les biens palestiniens » en Cisjordanie, ajoutant qu’il permettra la légalisation rétroactive « de la confiscation des terres par les partisans du mouvement pro-implantation ».
Dans le jugement rendu en 2020 sur Mitzpe Kramim, la Haute-cour avait déclaré que l’utilisation d’une tactique juridique approuvée par le procureur général Avichai Mandelblit, connue sous le nom de « régulation du marché », pouvait être utilisée pour protéger les habitations situées dans les implantations et dans les avant-postes et pour éviter leur démolition.
La « régulation du marché » accorde une légalisation rétroactive aux habitations d’avant-postes construites sur les terres palestiniennes, à condition qu’elles aient été construites de « bonne foi ».
Mais cette décision majoritaire – prise à deux voix contre une – avait établi des standards relativement élevés en matière de « bonne foi », estimant que Mitzpe Kramim n’était pas à la hauteur de ces standards et que l’avant-poste devait donc être démoli.
Dans le cadre d’un appel déposé auprès d’un panel de sept magistrats de la Cour suprême, les représentants juridiques de Mitzpe Kramim avaient affirmé qu’ils avaient reçu ces parcelles « de bonne foi » en 1999 de la part de la Division des Implantations de l’Organisation sioniste mondiale, un groupe quasi-gouvernemental qui administre les terres israéliennes en Cisjordanie.
A l’époque, le gouvernement de l’ancien Premier ministre Ehud Barak avait trouvé un arrangement avec le Conseil pro-implantation de Yesha sur l’évacuation et la démolition de certains avant-postes illégaux, et notamment sur le site d’origine de Mitzpe Kramim.
Le gouvernement, à travers le bureau de Tutelle des biens gouvernementaux dans les territoires, qui dépend du ministère de la Défense, avait alloué de nouvelles terres pour l’avant-poste au nord-est de Ramallah, ignorant apparemment que la propriété de ces parcelles était revendiquée par le village voisin palestinien de Deir Jarir.
En 2011, un groupe de Palestiniens du village de Deir Jarir, revendiquant la propriété des terres sur lesquelles se trouve l’avant-poste, avait déposé une requête auprès de la Cour suprême pour faire évacuer la communauté qui s’y était établie et qui était composée d’une quarantaine de familles.
Afin de retarder le processus, les résidents de Mtizpe Kramim avaient adressé leur propre requête au tribunal de district de Jérusalem, affirmant que le ministère de la Défense était responsable de leur installation sur cette colline du centre de Cisjordanie après que leur site d’origine eut été jugé tout aussi illégal.
En août 2018, le tribunal de district avait accepté la plainte dans un jugement qui avait été salué par les dirigeants des implantations, qui espéraient que cela conduirait à des décisions similaires concernant la légalisation d’autres maisons d’avant-postes dans toute la Cisjordanie.
Dans une décision de quatre voix contre trois, la Haute-cour a statué, mercredi, en faveur de Mitzpe Kramim et il a permis l’application du principe de « régulation du marché ».
Noam Sohlberg, l’un des magistrats, a écrit dans son jugement en faveur de l’application du principe qu’il ne pensait pas que « la norme interprétative que nous sommes tenus d’adopter doive être nécessairement étroite et restreinte ».
Il a ajouté que « les deux parties dans cet accord croyaient réellement et honnêtement – et plus important encore, de bonne foi – que ce secteur faisait partie d’un secteur saisi par l’armée » et qui avait été alloué pour les implantations par l’Organisation sioniste mondiale.
Et dans cette mesure, la « régulation du marché » doit pouvoir s’appliquer, a écrit Sohlberg.
Et dans la mesure où le jugement rabaisse la barre des normes de « bonne foi », les organisations pro-implantations et les groupes qui s’y opposent estiment que dorénavant, le principe de « régulation du marché » pourrait s’appliquer plus largement à l’avenir dans des cas similaires en Cisjordanie.
L’organisation-cadre du mouvement pro-implantation, le Conseil de Yesha, qui représente les autorités locales des implantations de Cisjordanie, s’est réjoui du jugement, affirmant que la décision du tribunal confirmait ce que lui-même n’avait jamais cessé d’affirmer depuis 2011 et dénonçant fortement « de longues années de tortures judiciaires, de longues années de gaspillage des ressources de l’État par les groupes de gauche ».
Pour sa part, le député Simcha Rothman du parti Sionisme religieux d’extrême-droite a critiqué la décision prise par les juges, disant que si elle apportait une solution pour Mitzpe Kramim, elle laissait dans l’incertitude « des milliers d’habitations dans toute la Judée-Samarie ».
Il a ajouté que « seul un traitement à la racine du système » pourrait faire évoluer la situation.
La Paix Maintenant a pour sa part dénoncé le jugement, disant qu’il ôtait toute protection apportée aux Palestiniens qui revendiquent la propriété de terres en Cisjordanie.
« Cette décision permettra la légalisation rétroactive de nombreux cas où des partisans du mouvement-pro-implantation s’étaient saisis de parcelles privées palestiniennes. Il est malheureux que la criminalité et le vol puissent être encouragés, aujourd’hui, par rien d’autre que la Haute cour de justice », a dit l’organisation.