La BBC a envoyé 8 Juifs britanniques en Israël pour une nouvelle émission
Diffusée les 4 et 5 septembre, la série "Nous sommes des Juifs britanniques" interpelle les participants - et le public - sur leurs préjugés sur le judaïsme et la politique
LONDRES – Dans les heures qui ont suivi la sortie de la bande-annonce du nouveau programme télévisé en deux parties aux heures de grande écoute de la BBC, « We Are British Jews », [Nous sommes des Juifs britanniques], une avalanche de commentaires antisémites ont été postés.
Dans cette émission sans précédent, diffusée au Royaume-Uni les mardi et mercredi 4 et 5 septembre, la BBC a envoyé huit Juifs britanniques en Israël. Produit et réalisé par une femme juive britannique, Lucie Kon, les programmes ont été filmés dans le contexte d’une vague croissante d’antisémitisme en Grande-Bretagne et d’un « débat féroce au sein de la communauté juive sur la meilleure façon d’établir des relations avec Israël et le conflit avec les Palestiniens ».
Mais alors que la bande-annonce de l’émission était diffusée en direct sur YouTube, la rubrique commentaires du clip était envahie par un flot de messages antisémites.
« On ne peut pas être à la fois juif et britannique. C’est l’un ou l’autre. Choisis ton camp, disait l’un d’entre eux. « La reine d’Angleterre est génétiquement juive. Le Prince Charles aussi. Tout comme les Rothschild », a dit un autre. Une autre qui disait : « Si vous aimez tant Israël, pourquoi ne déménagez-vous pas là-bas ? »
Lucie Kon, reconnaissant les profondes divergences d’opinion entre les Britanniques, a déclaré qu’elle avait « été passionnée par la réalisation d’une série qui illustrerait la diversité et les divisions auxquelles est confrontée la communauté [juive] d’aujourd’hui ».
Le groupe de Juifs n’est peut-être pas aussi diversifié que les producteurs l’auraient souhaité : la moitié d’entre eux sont dans la vingtaine, tandis que l’un est dans la trentaine, l’autre à la fin de la cinquantaine et deux sont dans la soixantaine. Il n’y a pas de positions anti-sionistes extrémistes dans le groupe ; Kon a indiqué que le choix du casting a été très difficile.
« Peut-être que les plus difficiles à choisir furent les plus religieux et les plus actifs politiquement », ajoute Mme Kon.

La seule voix critique dans le groupe est celle de Lilly, une diplômée en sciences sociales de l’Université de Cambridge, âgée de 22 ans, qui s’est portée volontaire dans les camps de réfugiés palestiniens et qui passe une grande partie de la deuxième émission à exprimer son malaise avec les soldats et les résidents des implantations.
La plupart des autres participants ont une attitude radicalement différente à l’égard d’Israël, le plus marquant étant Damon, 58 ans, de Plymouth. Damon n’avait jamais été en Israël avant de participer aux programmes, et planifie actuellement son émigration en Israël.

Damon a raconté au Times of Israel que cette scène avait été fortement coupée et qu’il avait demandé à plusieurs reprises « que la scène soit prolongée afin de rendre compte de ce qu’il [Issa] a dit. Il nous a déclaré que tous les Juifs devraient être expulsés de Hébron et que ceux qui y restaient devraient être jugés comme des criminels de guerre. Je ne me suis pas senti en sécurité ».
« Nous étions au milieu d’un bastion palestinien et les amis du type étaient tout autour, derrière notre équipe de tournage. Je me suis dit que ce n’était pas le bon endroit pour discuter », a-t-il indiqué, ajoutant qu’il n’a reçu aucune réponse à ses questions.
Hébron figure en bonne place dans la deuxième émission, où le groupe rencontre le responsable d’une implantation, ainsi qu’une militante juive nommée Tsipi, qui parle avec émotion de la mort de son père, tué par un terroriste palestinien.
Cette rencontre a eu un fort impact sur Ella, qui a dit après l’émission qu’elle avait été « surprise » par le petit nombre de Juifs vivant à Hébron et qu’elle avait été impressionnée par Tsipi, « une femme extraordinaire qui, bien que son père ait été tué dans son sommeil par un Palestinien, était toujours aussi désireuse de paix et ne montrait aucune haine ».
Pour jeter les bases de l’histoire, le groupe passe plusieurs jours à Manchester, la deuxième plus grande communauté juive du Royaume-Uni après Londres, où ils se présentent aux téléspectateurs et les uns aux autres.
Nous rencontrons Alan, qui est âgé de « 77 ans, laïc et amateur de sandwich au bacon », et qui, en fait, a vécu en Israël de 1979 à 1986. Et il y a aussi Sylvia, qui est traiteur casher à Londres, semi-retraitée et la « grand-mère » de facto du groupe.

« Fière d’être britannique, Sylvia a expliqué qu’elle s’est rendue plusieurs fois en Israël – mais jamais en tant que touriste. Malheureusement, sa sœur est morte au Royaume-Uni quelques heures après l’arrivée du groupe en Israël, de sorte qu’elle n’apparaît pas dans le deuxième épisode clé.
Nous découvrons aussi Emma, une étudiante en journalisme de 20 ans à Leeds, dans le nord de l’Angleterre – « la première personne juive que la plupart de mes amis de l’université n’ont jamais rencontrée ».
« J’espère que ce programme montrera que les Juifs britanniques ne sont pas ‘différents' », ajoute-t-elle.
Grâce aux contacts d’Emma, la distribution rencontre un groupe d’étudiants juifs de l’Université de Manchester qui parlent de leur difficulté à organiser des événements sur le campus. La réunion a lieu pendant la semaine annuelle contre l’apartheid israélien, – un membre de l’équipe déplore : « Ils ont peur d’être juifs dans ma Grande-Bretagne ».
L’équipe de la BBC tente de filmer une interaction entre la distribution et certains activistes du BDS, mais les partisans du boycott refusent de se présenter face à la caméra.
Il y a aussi des frictions entre les communautés juives.

Plus tard dans l’émission, alors que le groupe s’est rendu au mur Occidental, Emma s’est revêtue d’une kippa et d’un tallit avant de prier – et a été immédiatement interpellée par une femme orthodoxe américaine, qui expliquait qu’Emma ne devait pas porter de vêtements rituels réservés aux hommes.
« J’ai déjà eu ce genre de réaction négative auparavant », a confié Emma.
« Alors que je vivais en Israël l’année dernière, j’allais prier avec les Femmes du Mur chaque fois que je le pouvais. On nous a poussées, craché dessus, donné des coups de pied, frappées [et évacuées dans un coin entourées par la sécurité] et on nous a confisqué les rouleaux de la Torah ».
« Mais, a-t-elle ajouté, le Kotel n’est pas une synagogue orthodoxe. C’est un site pour tous les Juifs. Nous sommes en 2018 – les femmes ne devraient pas empêcher d’autres femmes de prier comme elles le veulent si cela se fait dans le respect et ne nuit à personne ».
Le membre le plus calme du groupe est peut-être Simon, un consultant en créativité de Manchester, âgé de 26 ans. Il dit éprouver des « sentiments mitigés sur le fait d’être juif et, parallèlement, des sentiments mitigés sur Israël ».
Simon avoue que « la chose la plus surprenante pour moi a été le sérieux avec lequel les gens voient la question de l’antisémitisme au Royaume-Uni. J’en entends beaucoup parler, je le vois fréquemment aux informations, mais je n’ai jamais vraiment vécu la ‘peur’ comme je l’ai fait le jour où nous étions à la réunion sur les crimes de haine avec la police ».
» Cela me surprend encore », a-t-il dit. « Je n’ai jamais vraiment été confronté à l’antisémitisme – ou du moins je ne pense pas l’avoir été. Cette série m’a fait commencer à me demander si cela m’est arrivé et si je n’y ai pas été sensible ».

Ils rencontrent un Palestinien nommé Fadi qui tente d’expliquer ce que signifie vivre de l’autre côté de la barrière de sécurité d’Israël. Plusieurs membres du groupe ne sont pas réceptifs, citant la baisse des attaques terroristes contre les Juifs israéliens depuis la construction de la barrière.
« Si vous ne connaissez pas l’autre, a expliqué Fadi, comment pouvez-vous lui ouvrir votre cœur ? »
Ce message résonnant dans leurs oreilles, le groupe s’est rendu dans la ville de Hébron, où il a rencontré des Juifs et des Arabes. Pour la plupart des membres du groupe, cela a été le moment le plus fort.

Il est clair que l’amitié authentique entre les deux hommes, et leur absence de rancœur, a un effet profond sur les Juifs britanniques.
Simon, le plus taciturne du groupe, a dit : « Rami et Bassam, ces deux pères que nous avons rencontrés à Jérusalem – voir que ces deux-là ont tant perdu de leur côté, et ont toujours un cœur ouvert et la capacité de pardonner, était immense ».
« Les pères m’ont brisé le cœur, confie Emma en larmes. « Quand les gens parlent du conflit, je pense qu’ils oublient parfois que ce n’est pas un sujet tendance à placer sur des pancartes, et que des vies réelles sont en jeu. »
Pour Joseph, avocat pro-israélien basé à Londres, la rencontre avec les deux hommes a été bouleversante.
« Je n’arrive pas à trouver les mots pour expliquer à quel point leurs histoires m’ont ému », déclare Joseph. « Ensuite, [Bassam et moi] nous nous sommes serrés dans nos bras et, en contemplant le mont du Temple, nous avons parlé de la façon dont un jour, si Dieu le voulait, nous pourrions prier au sommet du mont du Temple, côte à côte, un musulman et un juif. La politique nous a divisés, mais l’espoir nous réunit. »

Pour aider la société de production à planifier l’itinéraire, un grand nombre de consultants juifs au Royaume-Uni, ainsi que des conseillers en Israël et dans les Territoires palestiniens ont été consultés.
« Nous voulions que [le groupe] dialogue avec des gens que certains d’entre eux pouvaient considérer comme leurs adversaires les plus féroces, et nous espérions qu’en se rencontrant les uns les autres, il y aurait des idées que tout le monde pourrait partager », a dit Kon.
« Nous nous demandions si cette idée pourrait faire en sorte que certains membres du groupe commencent à penser différemment quant au fait d’être britannique et juif et à leurs relations avec Israël ».
Rien de tel n’avait été montré à la télévision britannique auparavant.