La Colline française, ou une exception française qui surplombe Jérusalem
Ce quartier du nord de Jérusalem, qui accueille une communauté particulièrement diversifiée, vit dans une harmonie plus remarquable encore
Lorsque le maire de Jérusalem Nir Barkat a récemment passé un accord avec les ultra-orthodoxes pour aider à renforcer la présence des Haredim dans certains quartiers de la ville, la Colline française n’a pas été mentionnée.
Et cette décision de conserver les institutions ultra-orthodoxes hors de la Colline française – un quartier fermement laïc situé à un jet de pierres de certaines des enclaves les plus religieuses de la ville – n’est pas un hasard.
Situé à proximité du mont Scopus à l’extrémité nord de la ville, le quartier est, depuis longtemps, un bastion juif laïc. Il accueille également une synagogue conservatrice massortie florissante, un contingent orthodoxe moderne, une communauté coréenne chrétienne et, depuis ces dernières années, des familles arabes israéliennes et druzes qui ont quitté le nord d’Israël pour des raisons professionnelles.
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Il y a également une modeste communauté ultra-orthodoxe – « des ultra-orthodoxes qui travaillent », selon l’une de ses membres – mais aucune institution, école ou synagogue ultra-orthodoxes majeures.
Avec le campus de l’université Hébraïque, surplombant la colline, accessible à pied, comme c’est le cas aussi de l’un des hôpitaux Hadassah, le secteur est un choix résidentiel prisé depuis des décennies pour les personnes natives de Jérusalem comme pour les nouveaux arrivants dans la ville.
Et pourtant, le mélange des habitants dans ce quartier tranquille et sans prétention a quelque chose de remarquable au vu des interactions tendues et souvent explosives entre les individus de toutes sortes au sein de cette poudrière qu’est Jérusalem.
La Colline française n’est pourtant pas protégée de cette intensité qui règne de manière évidente dans la ville. Ce quartier, construit en 1967, après la guerre des Six Jours, est situé entre plusieurs village arabes et jouxte un carrefour routier qui relie le nord de Jérusalem aux routes qui mènent à Maale Adumim, en Cisjordanie, et à la mer Morte, ainsi qu’au camp de réfugiés palestiniens de Shuafat.
Ce carrefour a été le théâtre de 11 attentats terroristes au cours des 15 dernières années.
Les quartiers ultra-orthodoxes de Ramat Shlomo, Maalot Dafna et Ramat Eshkol se trouvent également juste de l’autre côté de cette intersection.
Et pourtant, disent les résidents, la Colline française est une communauté d’habitants cultivant un état d’esprit similaire – une collectivité désireuse de vivre côte à côte dans des immeubles d’appartements construits sur le même moule entourant un centre commercial qui n’a rien d’exceptionnel : Il comprend seulement un supermarché, une banque, une pizzeria, une houmousia et un café.
« C’est comme un kibboutz ici », explique Merav Elbaz qui a grandi dans la Colline française et qui fait dorénavant partie du conseil communautaire local. « C’est un quartier dans tous les sens du terme ».
La congrégation conservatrice est forte et c’est le cas également de la communauté arabe, ajoute le rabbin Haya Baker, qui est à la tête depuis une décennie de la synagogue conservatrice Ramot Zion, sur la Colline française, qui a été construite il y a 25 ans.
« Il y a un mélange qui s’est créé d’une manière indescriptible », dit Baker, dont la synagogue accueille les familles non-religieuses qui peuvent ainsi participer à la vie de la communauté.
Et c’est cet amalgame de gens venus d’horizons différents qui a attiré Suzanne Shihadih et son époux, originaires de la ville arabe de Sakhnin, dans le nord du pays, lorsqu’ils se sont mis en quête d’un quartier de Jérusalem où élever leur jeune famille.
« D’autres étaient arrivés avant nous, ce qui a facilité les choses », commente-t-elle. « Nous avons toujours pensé que nous retournerions à Sakhnin mais c’est plus confortable pour nous ici ».
Shihadih est enseignante et son époux est avocat. Tous deux se sont sentis immédiatement chez eux sur la Colline française, entourés de jeunes familles arabes et juives qui leur ressemblaient beaucoup.
« Nous ne sommes pas Juifs et nous ne sommes pas de Jérusalem-Est », explique Shihadih. « Nous avons l’impression d’être ici chez nous ».
Ce n’est pas commun chez les arabophones d’habiter dans un quartier majoritairement juif à Jérusalem, commente Adam Shay, un habitant juif de la Colline française qui s’y est installé après avoir quitté le centre du pays. Mais sur la Colline française, ça marche.
« Les habitants représentent des communautés qui sont hautement mobiles », constate Shay, se référant à ses amis arabes.
« Ils sont avocats, comptables, universitaires. Certains d’entre eux sont Druzes, d’autres sont chrétiens ou musulmans, et je ne suis jamais sûr de qui est quoi. Ils veulent vivre dans une société bilingue, et ce ne sont pas des habitants non plus de Jérusalem-Est », dit-il, évoquant les résidents arabes de ce quartier particulier de la ville. Ces derniers, en raison d’un statut de résident compliqué au sein de l’Etat d’Israël, occupent une place différente de celle des Palestiniens et des citoyens arabes d’Israël.
Mieux ensemble
Les populations diverses de la Colline française ont vécu pacifiquement mais séparément les unes à côté des autres pendant des années. Plus exactement, jusqu’au mois de novembre 2014, lorsqu’un incendie a été allumé dans les classes de l’école bilingue Main dans la Main, qui offre ses cours en hébreu et en arabe, à Pat, de l’autre côté de Jérusalem.
Cette nuit-là, un groupe de voisins de la Colline française s’était retrouvé à la table d’un café du quartier, très déprimés par la tournure des événements.
« Nous étions tous horrifiés », raconte Shay. « Mettre le feu à une école n’a rien à voir avec la politique, c’est quelque chose que nous avons tous reconnu autour de la table, même si nous étions des gens venus de milieux différents, avec des croyances différentes ».
Ils ont commencé alors à débattre des initiatives à mettre en place après ce qui venait d’arriver. Avec notamment l’idée de classes d’arabe pour les plus jeunes, dans la mesure où la population arabe envoyait ses enfants à l’école publique juive du quartier et n’accédait donc pas à l’enseignement arabe.
Finalement, le groupe a décidé d’organiser un événement au cours du mois de septembre au centre communautaire local – combinant Hanoukka et Noël, en alliant une ménorah et un arbre, avec un homme en déguisement de père Noël.
L’activité ne concernait que les enfants, sans débat ou discussion religieuse, explique Shay. « Nous avons des intérêts partagés, nous voulons une bonne éducation et que nos enfants soient heureux ».
Au milieu des festivités toutefois, quatre hommes sont entrés, filmant l’événement et annonçant que tous les participants, dans la salle, soutenaient par leur présence le terrorisme. Au moins l’un d’entre eux portait un tee-shirt Im Tirtzu, l’organisation sioniste de droite. Le groupe était assez actif dans le quartier à ce moment-là, se souvient Shay.
(Les membres d’Im Tirtzu indiquent ne pas se rappeler d’un tel événement, affirmant qu’ils « n’auraient jamais fait irruption » pour perturber un événement privé en qualifiant de surcroît les personnes présentes de « terroristes » parce qu’elles se sont rassemblées pour célébrer des fêtes religieuses).
Shay, réfléchissant rapidement, a dit aux enfants : « Hé, les gamins, on aime vivre dans la lumière », se référant aux paroles de la chanson classique de Hanoukka « Nous sommes venus pour disperser l’obscurité », et tous les enfants se sont alors mis à chanter, couvrant les paroles des intrus.
« C’était beau et c’est très exactement à ce moment-là que nous avons décidé que nous existions, qu’il y avait une raison justifiant pourquoi nous existons et qu’il fallait que nous éduquions nos enfants pour qu’ils puissent profiter de la présence de chacun d’entre nous », a-t-il ajouté.
Suite à l’incident, les résidents qui s’étaient engagés dans l’initiative ont commencé à se faire appeler Maan Yahad, un nom hébreu et arabe qui signifie « mieux ensemble ».
Presque trois ans après, le groupe continue de se développer, avec près de 200 personnes, qui se divisent assez proportionnellement entre Arabes et Juifs. Leurs événements ne sont pas organisés autour des fêtes religieuses et, si elles ont lieu un samedi, les organisateurs tentent d’exclure la musique, l’argent et l’électricité de manière à ce que les membres Juifs pratiquants puissent également y prendre part.
C’est un mélange qui fonctionne, dit Shay. Personne n’a besoin d’être inscrit afin de participer et les activités sont ouvertes à tous.
« Notre motivation, ce sont nos enfants et maintenant, nous sommes amis, nous sommes là tous ensemble », dit Shay. « Nous avons eu 100 personnes pour l’Iftar, le repas de rupture du jeûne pendant le Ramadan, au mois de juillet. Donc nous nous sommes dit : ‘Walla, la prochaine fois, soyons 200’ « .
Cette année scolaire, Maan Yahad a reçu un budget de la part d’une petite fondation qui, l’espèrent-ils, les aidera à mettre en place un cours d’arabe pour les hébréophones durant le programme périscolaire quotidien, ainsi que des classes de renforcement linguistique pour les arabophones, dans la mesure où la barrière de la langue crée souvent les plus grands manques de compréhension réciproque.
« L’éducation est importante pour nous, on a besoin d’un cadre pour les enfants », dit Shihadih, qui a envoyé son dernier fils dans une école privée américaine jusqu’en troisième année, l’inscrivant par la suite dans l’une des écoles publiques de la Colline française. « Sans camarades de jeux ni amis, vous ne pouvez pas le faire ».
Les choses sont différentes maintenant, estiment Shihadih et Shay, qui évoquent les classes de leurs enfants qui fréquentent la même école.
« Dans la classe de ma fille aînée, il y a une fille qui est chinoise, une qui est française et qui a deux mamans, deux enfants arabes, un druze et quelques enfants d’Anatot, une communauté juive en Cisjordanie. Oui, la majorité des élèves sont des Juifs israéliens, mais il y a une belle diversité et la première chose que vous apprenez en tant que parent, c’est bien que les enfants se fichent des différences », s’amuse-t-il.
Ne veux-tu pas être mon voisin ?
Il y a eu une arrivée d’Israéliens ultra-orthodoxes dans ce quartier majoritairement laïc. Et la croissance supposée de cette communauté dans le secteur a entraîné un reportage diffusé sur la chaîne Kan, au mois de juin, consacré aux changements ostensibles apportés par cette nouvelle population.
Mais le reportage, selon les habitants, a biaisé les réalités du quartier, prétendant montrer que les ultra-orthodoxes voulaient prendre le dessus, en faisant s’élever les prix de l’immobilier et en poussant pour la création de meilleures écoles maternelles, plus grandes aussi, pour leurs enfants.
Mais les chiffres n’étaient pas les bons, dit le rabbin Baker.
« Je ne sais pas où ils sont allés les chercher », ajoute-t-elle. Il n’y a pas le même nombre d’enfants ultra-orthodoxes et d’enfants non-ultra-orthodoxes. Ces chiffres ne sont même pas proches. Il y a trois fois le nombre normal d’écoles maternelles dans le secteur ».
Selon Nelly Ephrati Artom, agent immobilier chez ReMax Vision, il y a de jeunes couples Haredim qui achètent des appartements plus petits à l’entrée du quartier en raison de la distance à pieds qui les sépare de Ramat Eshkol et de Givat Hamivtar, deux secteurs voisins lourdement ultra-orthodoxes.
« La Colline française est bien moins chère que Ramat Eshkol », explique Artom. « Si vous obtenez un appartement à trois millions de shekels sur la Colline française, l’appartement équivalent à Ramat Eshkol coûtera plus cher ».
La Colline française a toujours été moins chère que Ramat Eshkol, dit Artom, dans la mesure où Ramat Eshkol a moins de biens immobiliers disponibles et moins de constructions dans l’ensemble.
Mais les prix ont augmenté sur la Colline française, particulièrement depuis l’arrivée du tramway qui a permis aux jeunes couples d’y vivre sans devoir s’appuyer sur des moyens de locomotion privés.
Il y a également plusieurs petites synagogues ultra-orthodoxes dans le quartier, qui se trouvent dans des habitations privées, explique Ephrati, ainsi que des petits programmes de garderie quotidienne pour les enfants ultra-orthodoxes, organisés eux aussi dans des domiciles individuels.
Il n’est pas surprenant que la Colline française ait retenu une population différente, estime Artom.
« La population de la Colline française a toujours été très intellectuelle, pas riche, avec beaucoup de professeurs et de personnels qui travaillent à Hadassah », dit-elle. « C’est très propre, c’est vieillot, et c’est spécial. C’est comme un kibboutz, socialement, un endroit où les gens se disent ‘salut !’ dans la rue.
Ce sont ces caractéristiques ainsi que son caractère fermement laïc qui ont attiré Shulamit Ansbacher et son époux dans le quartier, faisant d’eux l’une de ces nouvelles et jeunes familles ultra-orthodoxes. Ansbacher est une avocate et porte une perruque pour des raisons religieuses, et elle se qualifie de femme Haredim moderne. Son mari est originaire de la ville côtière de Netanya, et il était important pour lui de vivre dans une communauté mélangée.
« Il était important pour nous d’enseigner cela à nos enfants », dit-elle. « Tout ne doit pas se conformer à la façon dont vous vivez. Pour vivre dans le monde, il faut apprendre à accepter comment les autres vivent ».
La Colline, comme l’appellent les locaux, est un endroit inhabituel, ajoute Ansbacher.
« C’est intéressant ici », poursuit-elle. « Il y a même une synagogue réformée », dit-elle, se référant au lieu de culte de la congrégation massortie, Ramot Zion, en utilisant le mot d’argot en hébreu inapproprié – mais typique – pour désigner n’importe quelle synagogue non-orthodoxe. « Mais alors qu’il y a cette discussion sur les ultra-orthodoxes qui prennent le dessus dans le quartier, ce n’est pas un sujet dont on parle ici, en fait ».
Sa famille a modifié l’équilibre dans l’immeuble en tant que famille avec de jeunes enfants. Et c’est un changement positif pour les voisins, affirme Ansbacher. Elle ne désire malgré tout pas que la Colline française se transforme en un autre Ramat Eshkol, le quartier voisin qui est devenu complètement ultra-orthodoxe.
« Je pense que les Haredim ne viendront pas là si ce sont des ultra-orthodoxes comme nous qui s’installent ici », dit Ansbacher. « Nous sommes des ultra-orthodoxes qui travaillons, comme tous les autres. Nous ne menaçons personne. Je ne ressens aucun antagonisme de la part de qui que ce soit », dit-elle.
Elle adorerait qu’une école ultra-orthodoxe ouvre dans le quartier. Ses filles vont à l’école à Rehavia, à 20 ou 30 minutes en voiture avec la circulation du matin et ses fils vont à Neve Yaakov, une autre implantation juive située au nord de la ville.
« Une école haredim serait fantastique mais cela déboussolerait les gens », note-t-elle. « Il y a des nuances entre les écoles haredim que les laïcs ignorent, ils pensent qu’il n’y a qu’un seul type de Haredim donc cela leur paraît menaçant. Mais je pense que moi aussi, je me sentirais menacée ».
Les religieux qui vivent à la Colline française ne veulent pas vivre dans un shtetl, explique Shay, se référant aux petits villages où les Juifs vivaient dans l’Europe orientale avant l’Holocauste.
« Quand je fais un barbecue le jour du Shabbat, je fais savoir à mon voisin religieux que je vais utiliser mon grill », explique-t-il. « Cela l’ennuie probablement mais il ne dira rien parce que c’est la Colline française ».
Si les résidents de la Colline française devait s’effrayer de l’arrivée relativement modeste d’habitants ultra-orthodoxes et qu’ils devaient commencer à penser que les laïcs locaux vont quitter le quartier, alors cela serait une raison de partir, ajoute Elbaz.
« Tous ceux qui sont ici veulent faire partie de ce qu’il s’y passe », dit-elle. « La ‘haredisation’ de la ville nous inquiète tous mais mes enfants gagnent beaucoup à vivre ici. Il y a une ouverture ici qui n’existe pas dans d’autres lieux ».
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