La CPI délivre des mandats d’arrêt à l’encontre de Netanyahu et de Gallant
Trois juges votent à l'unanimité des poursuites pour crimes contre l'humanité présumés ; le bureau du Premier ministre dénonce une "décision antisémite"
La Cour pénale internationale a émis jeudi des mandats d’arrêt à l’encontre du Premier ministre Netanyahu et de l’ancien ministre de la Défense Yoav Gallant. C’est la première fois que la Cour émet de tels mandats à l’encontre de dirigeants d’un pays démocratique. C’est une mesure sans précédent qui les expose au risque d’être détenus dans une grande partie du monde.
Les trois juges de la Chambre préliminaire I de la CPI ont délivré les mandats à l’unanimité pour des accusations de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre qui, selon le procureur de la Cour, Karim Khan, auraient été commis dans le cadre de la guerre actuelle contre le Hamas à Gaza.
Netanyahu et Gallant risquent d’être arrêtés s’ils se rendent dans l’un des quelque 120 pays membres de la CPI.
Le tribunal a également émis un mandat d’arrêt à l’encontre du chef militaire du Hamas, Mohammed Deif, qui, selon Israël, a été tué par une frappe des forces israéliennes à Gaza en juillet. Khan avait demandé des mandats d’arrêt à l’encontre de Deif et des dirigeants du Hamas, Ismail Haniyeh et Yahya Sinwar, – tous deux éliminés – pour le massacre perpétré par le groupe terroriste le 7 octobre 2023, qui a déclenché la guerre en cours dans la bande de Gaza.
La décision fait de Netanyahu et de Gallant des personnes recherchées au niveau international, ce qui risque de les isoler davantage et de compliquer les efforts de négociation d’un cessez-le-feu pour mettre fin au conflit qui dure depuis 13 mois.
Mais ses implications pratiques pourraient être limitées, car Israël et son principal allié, les États-Unis, ne sont pas membres de la Cour et la cour ne dispose d’aucun mécanisme d’exécution des sanctions.
La CPI assure que l’acceptation par Israël de la compétence de la Cour n’était pas nécessaire.
Le bureau du Premier ministre a qualifié d' »antisémite » la décision de la Cour pénale internationale, s’estimant victime d’un nouveau « procès Dreyfus ».
« La décision antisémite de la Cour pénale internationale est comparable à un procès Dreyfus d’aujourd’hui qui se terminera de la même façon », selon un communiqué du bureau de Netanyahu. Condamné pour espionnage, dégradé et envoyé au bagne à la fin du XIXe siècle en France, le capitaine juif Alfred Dreyfus avait été innocenté et réhabilité quelques années plus tard.
Le Premier ministre a promis que la décision du tribunal ne dissuaderait pas Israël de protéger ses citoyens et a déclaré qu’il rejetait « avec dégoût » les « fausses » accusations du tribunal, affirmant qu’elles découlaient des efforts de Khan pour « sauver sa peau des graves accusations portées contre lui pour harcèlement sexuel » ainsi que des convictions de « juges partiaux motivés par la haine antisémite d’Israël ».
« C’est pour cela que le procureur a menti lorsqu’il a déclaré aux sénateurs américains qu’il n’agirait pas contre Israël avant d’être arrivé ici et d’avoir entendu sa version des faits. C’est pourquoi il a soudainement annulé son arrivée en Israël en mai dernier, quelques jours après que des soupçons aient été émis contre lui pour harcèlement sexuel, et a annoncé son intention d’émettre des mandats d’arrêt contre le Premier ministre et l’ancien ministre de la Défense », a accusé le cabinet du Premier ministre.
Au début du mois, la CPI a annoncé qu’elle allait lancer une enquête externe sur les accusations d’inconduite sexuelle portées contre Khan.
Khan a catégoriquement nié les accusations selon lesquelles il aurait tenté de contraindre une assistante à une relation sexuelle. La décision d’ouvrir une enquête externe a été prise alors que la Cour subissait des pressions de la part de sénateurs américains pour qu’elle n’émette pas de mandats concernant la guerre de Gaza tant que les allégations d’inconduite n’auraient pas fait l’objet d’une enquête.
« La famine comme arme de guerre »
Khan a demandé ces mandats d’arrêt parce qu’il accuse Israël d’avoir pris pour cible des civils à Gaza et d’avoir utilisé la famine comme méthode de guerre.
» La Chambre a considéré qu’il y a des motifs raisonnables de croire que les deux individus ont intentionnellement et sciemment privé la population civile de Gaza de biens indispensables à leur survie, notamment de nourriture, d’eau, de médicaments et de fournitures médicales, ainsi que de carburant et d’électricité », a écrit le panel de trois juges dans sa décision unanime d’émettre des mandats à l’encontre de Netanyahu et Gallant.
Israël rejette fermement ces accusations, et met en avant le ratio relativement faible entre les victimes civiles et les terroristes tués à Gaza, ainsi que l’utilisation de civils comme boucliers humains par le groupe terroriste, tout en soulignant ses propres efforts pour étendre l’aide humanitaire à l’enclave malgré les pillages réguliers des gangs et des groupes terroristes.
Le tribunal a rejeté les mandats contre Sinwar et Haniyeh, qui ont tous deux été tués depuis que Khan a présenté sa demande. Mais il a maintenu la mesure contre Deif, apparemment peu convaincu que le chef obscur de la branche armée du Hamas était réellement mort.
Le ministère de la santé de Gaza, contrôlé par le Hamas, affirme que plus de 44 000 personnes ont été tuées ou sont présumées mortes dans les combats jusqu’à présent. Ce bilan, qui ne peut être vérifié et qui ne fait pas la distinction entre terroristes et civils, inclut les quelque 17 000 terroristes qu’Israël affirme avoir tués au combat et les civils tués par les centaines de roquettes tirées par les groupes terroristes qui retombent à l’intérieur de la bande de Gaza.
Israël affirme s’efforcer de minimiser les pertes civiles et souligne que le Hamas utilise les Gazaouis comme boucliers humains, en menant ses combats depuis des zones civiles, notamment des maisons, des hôpitaux, des écoles et des mosquées.
Le ministère des Affaires étrangères avait déclaré en septembre qu’il avait soumis deux mémoires juridiques contestant la compétence de la CPI en affirmant qu’Israël dispose d’un système juridique solide et indépendant capable d’enquêter lui-même sur de telles allégations.
Israël a fait valoir que la Cour n’avait pas donné à Jérusalem la possibilité d’enquêter elle-même sur les allégations avant de demander les mandats d’arrêt.
« Aucune autre démocratie dotée d’un système juridique indépendant et respecté comme celui qui existe en Israël n’a été traitée de cette manière préjudiciable par le procureur », avait écrit à l’époque le porte-parole du ministère des Affaires étrangères, Oren Marmorstein, sur X.
Il a déclaré qu’Israël restait « fermement attaché à l’État de droit et à la justice » et qu’il continuerait à protéger ses citoyens contre le militantisme.
Malgré les mandats d’arrêt, aucun des suspects n’est susceptible de se retrouver prochainement devant les juges de La Haye. La Cour elle-même n’a pas de police pour exécuter les mandats, mais compte sur la coopération de ses États membres.
L’avocat Yuval Kaplinsky, ancien chef du département de droit international au bureau du procureur de l’État, a déclaré que les mandats signifient que si Netanyahu ou Gallant se rendent dans l’un des pays membres de la CPI, « il y a une chance qu’ils soient arrêtés et extradés [pour être jugés à La Haye]. Je suppose qu’ils agiront avec prudence et éviteront de se retrouver dans une telle situation ».
S’adressant à la chaîne N12, Kaplinsky a déclaré que si le Premier ministre, par exemple, souhaite se rendre dans un pays membre de la CPI, comme le Royaume-Uni ou la Belgique, pour s’adresser à la communauté juive et
« crier que le monde est antisémite », ils ne lui donneront probablement pas l’assurance qu’il ne sera pas arrêté.
« Mais s’il venait pour un sommet avec des États arabes modérés, afin de forger une coalition internationale pour améliorer la situation au Moyen-Orient, il y a une chance qu’il puisse [obtenir de telles assurances] ».
Il a ajouté que le Premier ministre pouvait continuer à se rendre directement aux États-Unis, « parce que là-bas, il n’y a pas de problème ».
Emmanuel Fabian et Sam Sokol ont contribué à cet article.