La Haute-cour rejette la requête réclamant la démolition immédiate de Khan al-Ahmar
Les juges ont accepté l'argument avancé par l'État qui a estimé qu'il avait le droit décider du moment choisi pour détruire le hameau de Cisjordanie pour des raisons sécuritaires
Jeremy Sharon est le correspondant du Times of Israel chargé des affaires juridiques et des implantations.
La Haute-cour de justice a rejeté dimanche une pétition qui réclamait la démolition immédiate, par le gouvernement, de Khan al-Ahmar, un hameau bédouin illégal de Cisjordanie, disant qu’il revenait au gouvernement de décider le moment choisi pour procéder à son évacuation et à sa destruction.
La Cour a fait savoir qu’elle ne forcerait pas la main du gouvernement en l’obligeant à démolir Khan al-Ahmar « pour des raisons diplomatiques et sécuritaires de haut-rang. »
Ce jugement signifie que le hameau ne devrait pas être détruit à court-terme malgré les réclamations bruyantes et fréquentes de nombreux politiciens – certains siègent dans le gouvernement actuel – et de nombreuses organisations de droite.
Même s’ils ont demandé à de nombreuses occasions de détruire le village palestinien, notamment depuis qu’ils ont eux-mêmes intégré le gouvernement, ni le ministre des Finances, Bezalel Smotrich, ni le ministre de la Sécurité nationale, Itamar Ben Gvir, n’ont commenté ce jugement pour le moment.
L’organisation qui avait déposé la requête, le groupe Regavim, aligné à droite – qui consacre ses activités aux constructions palestiniennes illégales en Cisjordanie – a fait savoir que la décision prise par les magistrats était « hypocrite ». Elle ajouté que le gouvernement, incapable de mettre en œuvre une démolition que son cabinet avait pourtant promis de mener à bien, était « une honte ».
Le mois dernier, le gouvernement avait demandé à la Haute-cour de rejeter la requête réclamant la destruction immédiate de Khan al-Ahmar, insistant sur le fait qu’il était le seul à pouvoir décider du moment choisi pour raser le hameau.
L’État a par ailleurs fourni au tribunal des documents officiels – notamment les avis du Conseiller à la sécurité nationale Tzachi Hanegbi et d’autres responsables de la sécurité – des écrits qui sont venus illustrer son affirmation qu’une destruction de Khan al-Ahmar entraînerait des difficultés diplomatiques et sécuritaires pour Israël à l’heure actuelle.
Ce positionnement a été élaboré par une commission créée à cet effet et placée sous la direction de Hanegbi, avec en son sein des officiels du ministère de la Défense, le commandant du Commandement central qui est responsable de la Cisjordanie, des délégués du Shin Bet, du ministère des Affaires étrangères et du ministère de la justice. Il a été finalisé lors d’une réunion, le 23 avril, avec le Premier ministre Benjamin Netanyahu, le ministre de la Défense Yoav Gallant, Smotrich et Ben Gvir.
Dans un jugement adopté à l’unanimité, dimanche, par un panel de trois magistrats de la Haute-cour, le juge Alex Stein a écrit que le positionnement du gouvernement, qui réclamait que la Cour l’autorise à évacuer Khan al-Ahmar au moment de son choix, était justifié en raison des dégâts qui pourraient être essuyés par la sécurité et par le statut diplomatique de l’État juif.
Stein a écrit que les documents confidentiels soumis par l’État « nous rassurent sur le fait que toutes ces raisons, sans exception, sont bien liées à la sécurité de l’État et aux affaires étrangères », et il a ajouté que le tribunal n’avait pas pour rôle d’intervenir dans les priorités des autorités de l’État en matière d’application de la loi.
Même son de cloche chez le juge Noam Sohlberg, qui a écrit que l’État avait changé son positionnement – s’il demandait, dans le passé, des reports de la mise en œuvre de l’ordonnance de démolition de Khan al-Ahmar (le premier avait été émis en 2009), il a réclamé, cette fois-ci, le rejet pur et simple de la requête – en raison de responsabilités sécuritaires et diplomatiques dont il assume seul la responsabilité.
« Comme mon collègue, le juge Stein, je suis également convaincu, après avoir examiné les documents confidentiels qui nous ont été présentés et après avoir eu les réponses aux questions que nous avons posées, que les raisons actuelles et réelles qui sont avancées, qui concernent les relations étrangères et la sécurité du pays, ne permettent pas l’évacuation de Khan al-Amar à ce stade », a-t-il écrit.
Il a aussi écrit que dans la mesure où l’exécutif bénéficiait d’un large pouvoir discrétionnaire dans de tels dossiers, la requête contre le gouvernement ne devait pas être suspendue mais rejetée.
Sohlberg a eu toutefois des mots durs pour les résidents de Khan al-Ahmar et leurs soutiens.
Il a écrit que le hameau avait été illégalement construit et que ses habitants ont « ouvertement défié la loi, en toute connaissance de cause » en s’installant dans le village. Il a par ailleurs souligné que Khan al-Amar devrait, quoi qu’il advienne, être détruit pour cette raison.
Le juge a aussi fait remarquer que l’État avait offert des alternatives différentes en matière de relogement à la tribu bédouine qui vit dans le hameau, investissant des sommes et des ressources considérables pour fournir un nouveau site de vie avec un cadre largement amélioré, des infrastructures communautaires et d’éducation et avec des options de transport public.
Des propositions qui ont été « obstinément » rejetées par les résidents de Khan al-Amar, a écrit Sohlberg.
« Il va de soi que choisir l’une des alternatives proposées, des alternatives qui ont été préparées à l’aide d’un investissement financier énorme, est nécessaire pour ceux qui ont réellement à cœur l’intérêt des résidents de Khan al-Amar », a-t-il ajouté.
Cela fait des années que la question du hameau suscite les critiques cinglantes de la droite israélienne et du mouvement pro-implantation, qui déplorent la démolition des avant-postes israéliens de Cisjordanie tout en affirmant que le droit n’est pas suffisamment appliqué contre les constructions illégales palestiniennes.
Le hameau est situé à l’Est de Jérusalem, non loin de Maale Adumim, et il accueillerait un peu moins de 200 habitants. L’État affirme que les structures – des tentes et des cabanes artisanes en majorité – ont été construites sans autorisation et que le village est une menace pour les résidents en raison de la proximité d’une autoroute.
Les Palestiniens de Khan al-Ahmar, des membres de la tribu Jahalin, disent pour leur part être arrivés dans le secteur dans les années 1950 après avoir été déplacés une première fois pendant la guerre de l’Indépendance, en 1948.
En 2018, la Haute-cour avait statué que rien n’empêchait le gouvernement de mettre en œuvre l’ordonnance de démolition du hameau qui avait été émise en 2009 par l’Administration civile, au sein du ministère de la Défense.
Mais l’évacuation du village avait été repoussée de manière répétée pendant quatre ans, largement en raison de l’intérêt porté au dossier par les activistes de la défense des droits de l’Homme, les groupes pro-palestiniens et l’Union européenne.
L’État avait préparé un site pour reloger les habitants à une quinzaine de kilomètres à l’Ouest du hameau, à proximité de la ville palestinienne d’Abu Dis, aux abords de Jérusalem – un site agrémenté de structures rudimentaires variées et de l’infrastructure nécessaire pour le traitement des eaux usées, avec les équipements nécessaires pour l’approvisionnement en eau et en électricité.
Mais les Nations unies, l’UE et d’autres instances internationales ont averti que déplacer les résidents de Khan al-Ahmar par la force serait une violation du droit international et pourrait même constituer un crime de guerre – le déplacement d’une population placée sous occupation étant interdit par le droit international.
L’organisation Regavim, qui avait déposé la requête devant le tribunal pour obtenir la démolition du hameau, a indiqué que le jugement rendu dimanche était la preuve de la partialité affichée par les juges à l’égard du mouvement pro-implantation, affirmant que l’État avait, dans le passé, affirmé que des considérations diplomatiques l’empêchaient de démolir les implantations israéliennes et que le tribunal avait toutefois ordonné leur destruction immédiate.
« D’un autre côté, la capitulation de l’État face aux pressions internationales et l’approbation donnée par la Haute-cour à cette capitulation entraînent l’État vers l’anarchie : A chaque fois qu’une politique avancée par l’État n’est pas appréciée par des éléments internationaux, on pousse le gouvernement à battre en retraite… C’est une honte pour le gouvernement et c’est une honte pour la Haute-cour », a commenté l’organisation Regavim.